Sur la boîte métallique qui protège ses délicieuses friandises, une fameuse marque de nougat de Montélimar a reproduit sa toute première « réclame ». Sur la gravure d’époque, s’étalent ses nombreuses médailles, témoins de son excellence, sous la légende : « Usine à vapeur ». Usine par ailleurs représentée avec sa haute cheminée à l’orée d’une forêt, que traverse, progrès oblige, une locomotive entourée de lourdes volutes … Hormis, le décalage recherché par le publicitaire contemporain, un tel argumentaire ne serait plus de mise aujourd’hui. Imagine-t-on un industriel de l’agro-alimentaire mettre en exergue ses fours au gaz ou au mazout? En terme de puissance installée, le nougatier de Montélimar ferait pâle figure… Mais pour vanter des douceurs, les temps présents sont plutôt à l’image bucolique, aux dessins enfantins, à la nature indomptée… La publicité traduit les aspirations du moment. Foi dans le progrès à une époque, regret d’un Eden, rêvé sans doute mais sûrement perdu, pour une autre… Quelques semaines avant les jeux olympiques de Beijing en 2008, les autorités locales, ont soudainement pris conscience de la médiocre qualité de l’air de la ville, dommageable pour les athlètes et, sans doute aussi, pour l’image de la Chine. Sans délais, elles ont restreint la circulation automobile dans l’agglomération et sa vaste banlieue et, simultanément, ont ordonné l’arrêt partiel de certaines industries polluantes… Belle illustration d’une mondialisation qui dilapide ses ressources naturelles et soudain rattrapée par les réalités écologiques ! Prise de conscience, aussi, que le respect de l’environnement n’est plus ce luxe suranné réservé à des pays industrialisés cacochymes et moralisateurs. Pourtant, les pays émergents, moteurs de ce développement brutal, à leur tour, n’auraient-ils pas le droit de suivre le modèle occidental qui fit beau jeu de la santé et du bien-être de ses travailleurs, de ses populations et des ressources naturelles considérées comme infinies et gratuites ? L’empressement du gouvernement chinois pour « verdir » Beijing démontre par l’absurde que protéger l’environnement est une nécessité absolue pour réussir un développement économique maîtrisé.
De nos jours, dans tous les pays, industrialisés ou émergents, l’industrie, l’agriculture et les transports individuels constituent les principales sources des atteintes à l’environnement. Pour la France, l’ensemble des secteurs industriels et agricoles, énergie comprise, représentent la part la plus important des émissions de CO2, ce, malgré les progrès réalisés par les entreprises en matière de lutte contre les gaz à effet de serre (diminution de 9 à 22% entre 1990 et 2003). Le secteur de la production émettait en 2003, près de 54,8 pour cent de ces gaz (industrie manufacturière, énergie et agriculture) . Les transports, les déchets et les bâtiments, quant à eux, représentaient le reste des émissions, en progression constante en valeur absolue.
Le faible intérêt des secteurs productifs pour une gestion maîtrisée des facteurs de production environnementaux est structurel. Il tient à la particularité de l’organisation industrielle de nos sociétés. Quel que soit le régime politique, celles-ci se sont orientées vers une production de masse afin d’assouvir des besoins individuels et collectifs infinis. L’unité de base de cette organisation est l’entreprise et ses établissements productifs. Celle-ci, a principalement pour fonction de produire des biens aux coûts les plus bas afin d’être échangés sur un marché. A priori, elle est dépourvue de toute incitation « naturelle» pour préserver l’environnement. Qu’elle soit publique ou privée, sa nature est de transformer, par étapes successives, les matières premières en produits destinés à la commercialisation sur des marchés de biens d’équipement ou de consommation. Ce processus est réalisé par des procédés qui impliquent le stockage, l’emploi et le rejet de produits chimiques, de gaz ou d’hydrocarbures dangereux pour la santé, l’environnement, les paysages… Du « berceau à la tombe », le produit industriel ou agricole, avant de produire ces effets bénéfiques (bien souvent éphémères) pour la consommation et le confort de ses usagers, dévore durablement de la santé humaine et animale, de l’espace, de l’air, des sols, des eaux, des paysages… Les entreprises, sous l’emprise d’une concurrence internationale et en l’absence de règlementation, font régner la loi du moins coûtant, et ne peuvent développer, de leur propre chef, des incitations propres pour instaurer une autodiscipline respectueuses de valeurs nonmarchandes telles que la santé humaine ou l’environnement. De ce fait, dans ce mouvement, la production de masse ne peut s’empêcher d’attenter à des droits acquis à d’autres perspectives. Un conflit d’usages inévitable naît des destinations contradictoires de ces biens sans propriété attribuée a priori, c’est ce que Garrett Hardin a traduit par le terme de « the tragedy of the commons ».
Sous la pression des victimes, des opinions publiques et des scientifiques, les Etats ont été amenés à considérer la protection de la santé et de l’environnement comme de véritables intérêts publics. Cela les a conduits à règlementer, peu à peu, les conditions d’accès aux ressources naturelles . Des réglementations destinées à limiter les effluents des tanneries, ou d’autres activités polluantes, existent depuis l’antiquité. Néanmoins, les mesures systématiques pour protéger les populations des nuisances datent du début de la révolution industrielle. Ces premières mesures, toutefois, n’étaient pas destinées à préserver l’environnement ou la santé, mais à se prémunir de désagréments tels que les odeurs ou les bruits. Ce n’est que peu à peu que ces réglementations se sont muées en législations destinées à protéger l’environnement, ce, notamment à partir des années soixante-dix. Préserver la Nature, au niveau d’un Etat, suppose, alors, que soient remplies deux conditions. La première est constituée d’une pénétration dans les législations des pays d’un droit de police protecteur d’intérêts liés à l’environnement. Le droit, impose obligations et délimitations de ce qui est admissible et définit les droits et devoirs de chacun. La deuxième est que l’ordre écologique doit disposer de moyens pour pouvoir être respecté et se faire respecter. Ces moyens sont une volonté politique claire ainsi que la définition et l’application effective d’instruments incitatifs et coercitifs. Aujourd’hui, ces moyens vont de la soft law tels que les recommandations ou les engagements volontaires jusqu’à la répression du droit « dur » qui pénalise les infractions. Dans le domaine industriel, de nos jours, en matière de préservation des ressources naturelles, les sociétés occidentales se caractérisent par une coexistence non pacifique entre une infrastructure productive et les aspirations des populations d’un droit à la santé et à un cadre de vie agréable ou tout au moins acceptable. En France, dès le début du XIXème siècle, l’Etat a tenté d’encadrer les premiers développements de la révolution industrielle par la réglementation de l’activité industrielle. Aujourd’hui, celui-ci est réalisé par la législation sur les «Installations Classées pour la Protection de l’Environnement » (ICPE par la suite). Cette dénomination très administrative résulte de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement qui s’est substituée aux textes antérieurs qui régissaient, à l’origine, l’activité industrielle essentiellement. Elle est actuellement codifiée aux articles L.511-1 et s. du code de l’environnement, du titre I du livre V, « Prévention des pollutions, des risques et des nuisances » . Au niveau européen, l’encadrement de l’activité industrielle date de la directive dite IPPC de 1996 .
1ère partie : LA LEGISLATION ET LES CONTENTIEUX DES INSTALLATIONS CLASSEES : PROXIMITE OU ENVIRONNEMENT ? |