S’il est deux termes qu’on a peu l’habitude de voir se côtoyer, ce sont ceux de culture et de droit. Pourtant, manifestation évidente de leur proximité, les droits de propriété intellectuelle sont un véritable pont entre ces deux mondes : rigueur juridique et créativité artistique, on a déjà vu des mariages plus heureux. Partant de ce constat, nous avons décidé de nous concentrer sur un phénomène propre à la propriété intellectuelle qu’est la contrefaçon. Si celle-ci existe depuis que le monde est monde et a investi chaque centimètre carré de l’économie mondiale, l’art n’échappe pas à cette expansion effrénée : fausses estampes, fausses gravures, fausses peintures, faux bronzes, fausses sculptures… se multiplient à foison. L’histoire de la contrefaçon est faite de rebondissements, d’attributions par des experts bientôt désavoués par leurs pairs, de peintures tombées en désuétude pour revenir en grâce par la force des choses, de contrefaçons méprisées et ensuite transformées en chefs-d’œuvre par la critique… La copie est fascinante par les métamorphoses qu’elle subit au fil des jours, semaines, mois, années, siècles et même plus . Ces multiples facettes de la contrefaçon nous paraissent en faire un sujet extrêmement varié, captivant et expliquent notre choix du présent sujet dans le cadre du travail de fin d’études réalisé à l’occasion du séminaire « Droit et culture ».
Bien qu’une telle analyse mérite des développements fournis, nous ne pouvons traiter l’ensemble de la question de la contrefaçon au sein du milieu artistique dans le cadre du présent travail, et ce, en raison des limites imposées. Dès lors, nous avons décidé de concentrer notre étude à un domaine particulier du monde artistique : la contrefaçon au sein de l’art pictural. Ces barrières étant posées, nous nous sommes interrogé sur les différentes étapes qu’une copie connaît au cours de sa vie, de sa conception en passant par son expertise jusqu’à sa vente tout en nous interrogeant sur les éventuels droits d’auteur que pourrait faire valoir le faussaire. Nous terminons ce travail par la question de la conservation de ces faux au sein des collections muséales. Quelques affaires ayant défrayé la chronique, notamment suite aux tribulations que ces (faux) tableaux ont rencontrées, mais également en raison du génie et de la personnalité de ces contrefacteurs qui fascinent autant qu’ils répugnent, ponctueront ce travail de fin d’études.
Quant à la méthode développée, nous prenons le parti de raisonner au travers du prisme de la propriété intellectuelle belge et ce, quelque soit l’origine, l’ancienneté… des œuvres étudiées, faisant fi des éventuels anachronismes que notre démarche présente ainsi que de la problématique internationale.
L’ŒUVRE D’ART AUTHENTIQUE
Les conditions de la protection par le droit d’auteur
En matière de peinture, le droit d’auteur accorde une protection à la création artistique dès l’instant où celle-ci répond à deux conditions essentielles que sont l’originalité et la mise en forme. L’appartenance au domaine littéraire et artistique, si elle a été par le passé une condition discriminante de la protection, ne l’est plus depuis la directive européenne de 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Ces notions sont centrales en matière de contrefaçon puisque ce sont elles qui conditionnent non seulement le caractère authentique d’une toile et la protection accordée par le droit d’auteur, mais également, par voie de conséquence, ce sont elles qui permettent d’actionner les différents moyens de lutte contre la contrefaçon à disposition de l’artiste.
La notion d’originalité
Condition indispensable à la protection accordée par le droit d’auteur, l’originalité de l’œuvre ne fait l’objet d’aucune définition dans le Code de droit économique (CDE) et il en était de même dans la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, précédente mouture de notre législation. Face à cette lacune, les juridictions, nationales et européennes, ont dû élaborer elles-mêmes une définition de ce que recouvre cette notion d’originalité. Bon nombre d’arrêts furent rendus sur la question et, en 1989, notre Cour de cassation, dans une affaire concernant des photographies, définit l’originalité d’une œuvre comme étant : « l’expression de l’effort intellectuel de celui qui l’a réalisée, ce qui constitue une condition indispensable pour donner à l’œuvre le caractère individuel à travers lequel une création existe » . La Cour met ainsi en avant une séquence de réflexion permettant de déterminer si une œuvre est originale ou non, enchaînement que Alain Strowel résume parfaitement de la manière suivante : « la Cour exige donc un Ŗeffort intellectuelŗ ; de ce dernier découle le Ŗcaractère individuelŗ de l’œuvre en cause ; de ce caractère se déduit enfin qu’il y a Ŗcréationŗ » . Autrement dit, elle exige de la part des artistes un certain travail, un certain investissement, une réflexion quant à l’œuvre créée afin que celle-ci puisse jouir de la protection accordée par le droit d’auteur.
Toutefois, cette conception de l’originalité n’est pas la seule à avoir cours au sein de la jurisprudence nationale puisque la Cour de cassation elle-même adopte parfois une définition différente de l’originalité, plus subjective en l’occurrence . Ainsi, dans un arrêt du 25 octobre 1989, celle-ci dénie la protection du droit d’auteur à un catalogue de pièces détachées au regard cette fois-ci, non pas du critère de l’effort intellectuel précédemment évoqué, mais sur base de « l’empreinte de la personnalité de son auteur » . Selon la Cour de cassation, ledit catalogue est dépourvu d’une telle empreinte de la personnalité puisque cet inventaire « ne comporte que des renseignements auxquels tout professionnel expérimenté peut avoir accès, à condition d’effectuer des recherches parfois longues et compliquées » .
Si ces deux perceptions de l’originalité sont différentes, elles ne sont en rien contradictoires et cohabitent plus ou moins harmonieusement, les Cours et Tribunaux recourant tantôt à l’une, tantôt à l’autre voire cumulant celles-ci pour déterminer le caractère original ou non d’une création artistique . En toutes hypothèses, l’utilisation de l’une ou de l’autre de ces définitions par nos juridictions aboutit à un résultat identique .
Les droits de propriété intellectuelle ayant fait l’objet d’une harmonisation au niveau de l’Union européenne, faut-il encore tenir compte de la jurisprudence développée par la Cour de Justice de l’Union européenne. Cette dernière, dans le désormais très célèbre arrêt Infopaq du 16 juillet 2009, considère qu’« un objet […] est original en ce sens qu’il est une création intellectuelle propre à son auteur » et explicite ce concept de « création intellectuelle propre à son auteur » au considérant 45 : « ce n’est qu’à travers le choix, la disposition et la combinaison de ces mots qu’il est permis à l’auteur d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle » . La vision de l’originalité dégagée par la Cour de Justice nous paraît correspondre à celle développée par la Cour de cassation belge au travers de la notion de l’empreinte de la personnalité de son auteur puisque toutes deux mettent en avant la manière dont l’artiste conçoit sa propre création et « arrange », « organise », « compose » celle-ci en fonction de sa propre créativité. Jurisprudences belge et européenne conçoivent donc le critère de l’originalité de façon identique de manière telle qu’une œuvre reconnue originale par les juridictions nationales bénéficie de la même protection au regard du critère européen de l’originalité.
La mise en forme
Toute œuvre, aussi originale soit-elle, nécessite d’être mise en forme pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Cette seconde condition indispensable peut être définie comme le fait que « l’auteur ait marqué sa volonté de communiquer en coulant sa création dans une certaine forme » . Quant à la nature de cette mise en forme, celle-ci importe peu pour autant qu’elle permette la communication de l’œuvre au public. Une création originale doit être impérativement incorporée dans un support pour bénéficier de la protection accordée par le Code de droit économique, mais la nature de celui-ci est sans importance . À cet égard, pratiquement tous les réceptacles possibles et imaginables peuvent être envisagés, allant des plus classiques tels les toiles, morceaux de bois, de métal, terre pour la poterie… aux plus originaux comme les monuments ou encore certains objets du quotidien . Tout comme les idées, les supports pouvant accueillir celles-ci sont sans limites.
Cette nécessité d’une mise en forme, d’une concrétisation du concept envisagé par l’artiste, a donné naissance à l’adage, attribué à Henri Desbois, selon lequel« les idées sont par essence et par destination de libre parcours » . La distinction opérée entre, d’une part, les idées relevant du domaine public, de la mémoire collective de l’humanité et donc disponibles pour tous, et, d’autre part, la mise en forme, l’exécution même de l’idée, sa concrétisation, appartenant par essence à un seul auteur, n’est pas aussi aisée à réaliser qu’il n’y paraît.
Pour illustrer cette dichotomie, nous prendrons l’affaire ayant opposé l’artiste, ou plutôt les artistes Christo et une célèbre agence de communication qui, pour promouvoir une campagne publicitaire, décida, à la manière dont le duo d’artiste l’avait fait avec le Pont Neuf à Paris, d’emballer à son tour, non pas cette fois un monument historique, mais les biens promus par ladite campagne . Devant ce qu’ils considéraient comme une contrefaçon, Christo attaqua l’agence en justice devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, mais, à son grand dam, la sentence fut irrévocable : il n’y avait guère de contrefaçon . En réalité, les juridictions avaient repris à leur compte le désormais très célèbre adage selon lesquels les « les idées sont par essence et par destination de libre parcours », considérant que le concept d’emballage en lui-même appartenait à ce réservoir des idées à la disposition de tous, seule l’exécution de celui-ci appartient au duo .
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