LITTÉRATURE ET AFFIRMATION IDENTITAIRE

LITTÉRATURE ET AFFIRMATION IDENTITAIRE

Le joual entre la honte et la fierté

Dans le mouvement de revendication identitaire et dans la recherche d’une autonomie de la littérature, les écrivains de la Révolution tranquille ont été conduits presque naturellement à poser la question de la langue et à chercher dans la langue française les éléments linguistiques permettant de mettre en avant la spécificité québécoise de cette langue. Le mythe d’une « langue à soi » pour reprendre l’expression de Lise Gauvin73 reste tenace à toutes les étapes de la constitution progressive de la littérature nationale.

On peut comprendre que lors de cet éveil culturel, littéraire et institutionnel qui a animé la Province dans les années 1960, la question de la langue se soit avérée centrale. C’est ainsi que de nombreux auteurs ont fait le choix de réinvestir la langue afin de lui donner les signes de la québécité nouvellement ressentie et proclamée. Le joual est alors devenu, si l’on ose dire, le « cheval » de bataille de nombreux auteurs et ces derniers ont opté pour cet état aliéné de la langue dans une logique de revendication identitaire. Réunis autour de la revue Parti Pris, nombre d’écrivains ont donc livré une littérature marquée plus que jamais auparavant par les particularités linguistiques de la société parlante.

Le joual, à la fois revendiqué et décrié par les auteurs comme par les linguistes a été à l’origine de nombreux débats, encore visibles et vivaces aujourd’hui. Il résume bien la difficile et délicate articulation du choix d’une langue « québécoise » et de sa conséquence en littérature. a) Le joual : tentatives de définition d’une notion problématique Le mot « joual » vient du mot « cheval » prononcé à la québécoise. Ce terme, utilisé de longue date dans le Canada francophone, désigne au départ le langage des locuteurs peu instruits qui disent « joual » pour « cheval ».

Par extension, et notamment à la suite d’un article d’André Laurendeau paru dans Le Devoir le 21 octobre 1959, auquel s’ajoute un essai de Jean-Paul Desbiens Les insolences du frère Untel74, il prend un sens plus large pour désigner l’ensemble des particularités du parler québécois, de la variante québécoise de la langue française, et, au moins pour André Laurendeau, pour évoquer la trop grande influence de l’anglais sur cette dernière75, « le joual est un langage qui se décompose à cause d’un contact trop étroit et trop massif avec une autre langue »76. Langue « qui se décompose » ou langue qui s’émancipe en s’éloignant des standards d’outre-Atlantique ? On voit d’emblée que le terme de « joual » et les variétés de langage, de pratique et de représentations qu’il recouvre et embrasse, posent problème à bien des égards.

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Joual et écriture

Dans le contexte particulièrement mouvant de la « Révolution tranquille », le terme de « joual » consacre donc l’ensemble des modes de présence de la « langue québécoise » dans le discours public et privé. Ainsi le joual n’est-il pas limité aux pratiques langagières des sujets parlants, mais associé à l’écriture du parler québécois et se présente également comme la forme d’une retranscription et d’une inscription du parler populaire dans la littérature. Le manque de normalisation de la langue déjà relevé lors de la définition du joual comme pratique du parler quotidien, se retrouve naturellement dans la littérature.

Ainsi l’orthographe des termes spécifiquement québécois varie d’un auteur à l’autre. La retranscription de la langue parlée à l’écrit s’effectue de manière anarchique et diversifiée en fonction des auteurs, elle relève donc d’une invention personnelle et non de décisions concertées. Si le joual, tel qu’il apparaît dans les œuvres littéraires de cette période ne saurait constituer une langue à part entière en voie de constitution, c’est probablement parce que tel n’était pas là l’objectif poursuivi par les écrivains qui y recouraient.

La raison première de ce recours au joual relève d’une dimension mimétique du langage et de la volonté de reproduire la réalité des pratiques populaires. La littérature d’avant les années soixante restait, comme on l’a vu, en grande partie une littérature d’imitation des modèles français « de France ».

Il s’est donc agi dans un premier temps de proposer une nouvelle représentation de la société québécoise et d’en faire parler les membres de manière plus conforme à la réalité. Dans une société récemment et rapidement urbanisée, et face aux pratiques langagières d’une certaine classe populaire, la littérature se devait de donner de nouveaux modes de représentation pour être plus conforme à cette nouvelle société

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