L’ISLAM ET LES DROITS DE L’HOMME
CONCEPTION ET EVOLUTION DES DROITS DE L’HOMME
L’histoire de l’humanité nous renseigne que la vie des êtres humains, en tous temps et en tous lieux, est caractérisée par des soubresauts et des convulsions qui marquent des points de rupture avec l’idéal d’existence d’une vie stable et paisible où toutes les conditions de paix, de sécurité, de bonheur et d’épanouissement sont réunies pour le bénéfice des êtres humains. Les obstacles auxquels ces derniers sont confrontés sont généralement issus de deux facteurs : naturels et humains. Les facteurs naturels, comme les tremblements de terre, les volcans, les inondations, les changements climatiques entraînent des conséquences néfastes de très grande ampleur, avec une forte incidence sur la possibilité de réalisation de la vie idéale à laquelle aspirent les êtres humains. Leurs responsabilités dans la survenue de ces catastrophes naturelles ne sont pas toujours nulles. Les facteurs humains qui interrompent le cours normal d’évolution de la vie dans le temps et dans l’espace sont nombreux et variés. Classifiés, ils manifestent généralement moins de conflits entre les hommes et la nature qu’entre les hommes et leurs semblables. C’est cette dernière catégorie qui pose davantage de problèmes et intrigue plus la raison dans tous ses questionnements en vue de cerner les véritables causes des problèmes et de trouver les remèdes appropriés. Ce qui est unanimement admis est que les perturbations n’ont pas été de nature statique depuis la nuit des temps. Elles 9 évoluent et changent suivant le temps et l’espace. La lecture des différentes époques de l’histoire de l’humanité édifie amplement sur leur nature, leur étendue et leur évolution à travers toute l’existence de la vie humaine sur terre. Si l’on se situe dans la période moderne ou contemporaine de l’histoire de l’humanité, l’on trouve que les problèmes deviennent de plus en plus complexes et les solutions de plus en plus difficiles à trouver. Pour n’en citer que quelques exemples, pour lesquels la responsabilité des humains est entièrement engagée, il suffit juste de tourner le regard autour de soi-même pour dresser une liste qui ne peut jamais prétendre d’être exhaustive. Ils ont généralement pour noms : guerres, meurtres, famines, maladies, colonisation, invasion, esclavage, discrimination, violence, destruction, déperdition, immoralité, errements etc. Les moyens développés au cours de l’histoire pour optimiser les chances d’une vie idéale sur terre sont variés, mais l’un des traits spécifiques de l’époque moderne est la tentative de trouver des solutions aux problèmes actuels en se basant sur une approche holistique qui fédère le maximum de ressources possibles, afin de créer les chances d’un règlement définitif à même de satisfaire tous ceux qui sont directement ou indirectement touchés par ces problèmes. Pour se faire, deux mots fétiches sont souvent apparus dans le langage d’ensemble : la nature humaine et le droit. La nature humaine se comprend comme une qualité intrinsèque qui permet à la personne d’être dotée d’une dignité qui confirme une appartenance à la famille humaine, et du coup, d’avoir des facultés qui lui permettent de développer un rapport avec la nature basés sur les besoins de sa survie et de nouer un rapport avec ses pairs dans un esprit de positif de construction et de sauvegarde des intérêts individuels et communs. Le droit est étroitement lié à la nature humaine et est coextensif à son évolution. Qualifié de naturel, le droit se distribue à tous les êtres humains sans considération de sexe, de race, de couleur, d’ethnie, de religion ou de condition sociale. Il renferme un ensemble d’éléments dont la finalité est de permettre à l’individu de vivre en paix et de réaliser le bien-être. C’est l’ensemble de ces droits humains qui constitue aujourd’hui le rempart face aux multiples problèmes qui assaillent l’humanité. C’est une nouvelle philosophie et une nouvelle culture des temps modernes. L’idée générale qui se dégage quand on aborde la question des droits de l’homme est de penser à la civilisation occidentale ou à la culture judéo-chrétienne comme étant le creuset au sein duquel la gestation et l’élaboration du droit international de personne ont pris naissance, avant de tendre ses tentacules dans le reste du monde. Selon cette idée, l’Occident représente la source d’articulation du système juridique et politique qui a permis l’évolution historique de la pensée humaine ainsi que les transformations radicales qui ont marqué les sociétés occidentales à travers les différentes époques de leur constitution. En rattachant la naissance de l’idéologie des droits de la personne à une aire géographique caractérisée par une identité culturelle commune, cette idée exclut, à bien des égards, d’autres civilisations et cultures de toute contribution à ce patrimoine commun de l’humanité. Evoluant dans un cadre épistémologique différent, le monde musulman révèle une culture qui tranche dans plusieurs de ses aspects avec les valeurs culturelles occidentales. Foncièrement articulée sur une morale et une éthique d’ordre confessionnel, la culture islamique développe sa propre conception de l’organisation juridique et politique de la société qui n’est spécifiquement pas conforme à la vision occidentale. Ce qui est déjà problématique par rapport à la vocation universaliste des droits de l’homme. En effet, lorsqu’un système universel s’adapte harmonieusement à une culture spécifique et se distingue à travers des points de divergences par rapport à une autre, la reconnaissance des principes et valeurs qu’il véhicule risque de buter sur des obstacles difficiles à surmonter. L’Islam a beaucoup contribué au développement des droits de l’homme. Toutefois, en raison de son système juridique fondé sur la charia, l’intégration de ses principes religieux dans le système international pose problème, du fait de la sécularisation qui caractérise la formulation des droits de la personne. Ce qui nous amène à nous interroger sur la place de la religion dans le système des valeurs universelles proclamées par les instruments des Nations Unies. – Est-ce que le rôle de la religion est simplement limité à l’adoration ? – Au-delà des limites de l’adoration, n’existe-t-il pas dans la religion islamique une source intarissable de valeurs juridiques, philosophiques, morales, à même de satisfaire les besoins d’épanouissement de l’être humain ? – L’existence des droits de l’homme sous ses formes actuelles est-t-elle incompatible à la religion ? Devrait-on faire table rase des préceptes religieux afin de mieux garantir l’exercice des droits de l’homme ? Les droits de l’homme déclarent-ils la caducité des principes religieux ? Les réponses à ses différentes interrogations se feront à travers l’analyse de la conception de la notion du droit et des sources qui le sous-tendent (Chapitre I) mais également l’idéalisation et l’internationalisation des principes des droits de l’homme (Chapitre II).
Les sources du droit dans la pensée islamique et occidentale
Dans toute société humaine, la garantie de la cohésion et de l’ordre est subordonnée à l’observation des normes juridiques, morales et éthiques qui régissent les rapports entre les différents individus de cette société. L’humanité étant marquée par la diversité de ses référentiels ethniques, linguistiques et religieux, les sources dans lesquelles elle puise ses règles sont diverses et variées. L’humanité a connu plusieurs formes d’organisation et de regroupement qui sont rendues possibles grâce à des normes reposant sur des principes religieux, idéologiques, philosophiques et politiques et diverses. Ce sont ces normes qui devaient en principe générer les droits de la personne, mais compte tenu de leur diversité et parfois de leur contradiction, une relation à sens inverse a été trouvée entre ces normes et les droits de la personne. En effet, les droits de l’homme tels que définis et articulés semblent ne pas se contenir exclusivement dans ces normes qui ont déjà servi à l’humanité de s’organiser en société. Ils ne considèrent pas les principes religieux, idéologiques, philosophiques et politiques comme des finalités mais comme des moyens pour se réaliser en tant que prérogatives ou attributs autonomes des hommes. Cette attitude est révélatrice d’une culture qui prend l’homme comme centre d’intérêt et base du raisonnement légal et légitime des droits fondamentaux. Or, du point de vue islamique, les actions des individus doivent être conformes à la volonté de leur Créateur qui est le Législateur suprême. C’est ainsi que les sources du droit musulman puisent leur substance dans la Révélation qui fournit les principaux éléments de réponses aux besoins des membres de la communauté musulmane, que ce soit dans leurs rapports avec leur Créateur ou dans leurs rapports individuels et collectifs. La législation islamique est construite sur la base de textes religieux dont le Coran et la Tradition prophétique constituent les premières sources. Elle est progressive, en ce sens qu’elle ne se limite pas à la seule période du vivant du Prophète, elle la transcende pour traverser les siècles et couvrir les réalités des sociétés modernes. En fonction du développement et de l’évolution des intérêts de la communauté musulmane, le système juridique s’est enrichi de plusieurs apports qui complètent le substrat initial sur lequel repose le droit musulman. Cette position contraste avec la philosophie conceptuelle de la pensée occidentale, selon laquelle les principales sources du droit sont des textes élaborés par les hommes en fonction des intérêts des individus et des Etats, qui sont regroupés dans des traités internationaux, des constituions, des lois, des règlements, ainsi que d’autres textes comme la jurisprudence et la doctrine. S’agissant des droits de l’homme, les principales sources sont les instruments internationaux adoptés par les Etats en vue d’en assurer leur promotion et leur protection. SECTION I Conception du droit en Islam et dans la pensée occidentale positiviste La conception de la notion du droit prend emprunte des perspectives différentes quand elle est abordée sous l’angle des cultures religieuses et philosophiques. En Islam, le droit est la traduction de la volonté divine, codifiée en normes et règles qui régissent la vie des individus. Cette conception n’a pas d’analogue dans la pensée occidentale moderne qui perçoit le droit comme un ensemble de règles établies pour régir la vie des hommes en société. Cette dichotomie se dépeint sur la formulation des droits de l’homme comme moyens d’assurer aux individus une existence digne de leur statut d’êtres humains. C’est ainsi que dans le modèle occidental, la supériorité juridique est accordée aux textes conventionnels des droitsde l’homme et affirmée avec davantage d’intensité dans les lois fondamentales. Dans le monde musulman, la référence aux textes religieux demeure une réalité soutenue, avec des degrés disproportionnés suivant la nature et la composition des sociétés, même si, il faudrait également reconnaître la présence des traités internationaux sur les droits de l’homme qui sont expressément affirmé dans les lois constitutionnelles. D’ailleurs, l’élaboration de constitutions, copiée sur le modèle occidental, comme substrat juridique principal dans la pyramide législative constitue en soi un acte qui reflète la vigueur de l’influence de la vision occidentale dans le monde musulman. Comme pour le fond, les constitutions dans les pays du monde musulman renferment des textes formulés, à bien des égards, avec une certaine analogie au modèle imprimé par la culture occidentale. En se joignant au mouvement de la communauté internationale dans son énergie débordante de promotion et de protection des droits de l’homme, les Etats qui se réfèrent à l’Islam soulignent dans leurs constitutions la garantie de jouissance par les citoyens des droits et libertés dont l’inspiration relève visiblement de la philosophie politique du monde chrétien, telle qu’elle a reçu son expression, aux grandes étapes de ses développements successifs.4 Or, cette réalité n’est pas sans générer une problématique d’harmonisation entre les textes juridiques et les idéologies religieuses et morales embrassées par les sociétés musulmanes à travers les différentes étapes de leur évolution vers des Etats modernes. I- Des systèmes juridiques construits sur des bases antinomiques 4RABBATH, Edmond. La théorie des droits de l’homme dans le droit musulman. In Revue internationale de droit comparé, Vol. , N° 4, Octobre-décembre 59, p.674 Les Etats ont eu au cours de leur évolution construit des systèmes devant assurer l’ordre et la règlementation des rapports entre les citoyens, sur la base de normes socialement édictées. Or, la diversité des sources du droit entraîne des conceptions divergentes sur les options et les orientations à faire quand il s’agit d’élaborer des codes de conduite pour toute une société. C’est là où surgit le rôle des cultures dans la construction des systèmes juridiques. Dans la pensée islamique qui prend sa source dans la religion, les préceptes religieux visent à mettre sur pied un ensemble de valeurs qui devant être observées afin que la conduite des actions humaines soit référée à la lumière qu’elles dégagent. Ces valeurs sont des principes qui sont appelés à représenter des forces motrices capables de stimuler auprès des citoyens la reconnaissance et l’adhésion individuelles et collectives, aux fins de préserver un l’ordre public. Ne parlant pas le même langage que la culture occidentale dans sa conception de la notion du droit, le système juridique que l’Islam prône est axé sur la foi en Dieu, en sa volonté, alors que dans la culture occidentale, les enseignements religieux ne représentent pas des règles de droit devant être appliquées dans la sphère publique. 1. Conception religieuse et séculière de la notion du droit Il s’agit de mettre en relief la divergence qui existe entre une idéologie fondée sur la religion et une vision axée sur la foi en l’homme. Si les deux se recoupent dans certains aspects juridiques, ils ne se comprennent pas quand il s’agit de déterminer le sens et l’orientation à donner à certains principes sur lesquels les droits humains sont construits. Cette situation n’est pas neutre lorsqu’il est question de chercher les véritables causes des malentendus ou des violations qui surgissent dans l’exercice des droits de la personne que les Etats sont appelés à assurer en mettant en place les mécanismes nécessaires à cette fin. 1.1 Droit musulman, droit positif et droit international (naturel) Le concept des droits de l’homme tel que conçu et développé dans l’entendement moderne occidental n’a pas d’analogue dans les sources référentielles de l’Islam, notamment dans le Coran et la Sunna. Autrement dit, la législation islamique ne contient pas de textes exclusivement codifiés en instruments juridiques censés représenter soit, une Déclaration, un Code, une Convention, un Pacte ou un Protocole. Cela dit, une abondante littérature s’est développée, à travers les âges, dans ces sources sur la base d’une conception purement islamique de la question des droits et devoirs des individus. L’Islam reconnaît aussi bien à l’individu qu’à la communauté des droits et des devoirs impartis en fonction de l’intérêt supérieur de la personne humaine et de la religion. Le respect de la personne humaine en Islam a été conceptualisé dans un premier plan par le Coran et la Sunna. Les sources secondaires, sous une approche plus détaillée, ont développé la notion de la personne humaine, de ses droits et devoirs. Dans la culture islamique, la dénomination shakhs utilisée pour traduire la personne humaine renvoie, au-delà de l’individu, à la notion de l’honneur (c ird), de l’appropriation farouchement individualiste de l’exemple ancestral (hasab) et de l’hérédité noble (nasab).5 Ce qui dénote de prime abord l’affirmation de l’appartenance de l’individu à une communauté, un clan, ou une famille. Le terme Haqq utilisé en arabe pour traduire étymologiquement le droit dépasse les limites d’une simple définition du droit et engendre d’autres implications. En réalité, ce mot renvoie à plusieurs aspects du droit dans la conception islamique. C’est à la fois la vérité, la justice et le droit. Probablement d’origine médiévale d’après les historiens du droit, l’expression « juspositivum » ou droit positif est utilisée par marquer une opposition par rapport au 5MASSIGNON, Louis. Le respect de la personne humaine en Islam. In « Islam et droits de l’homme : Recueil de textes présentés par Emmanuel Hirsch; Préface de Si Hamza Boubakeur, Librairie des LIBERTES, Paris 84 », p.4 droit naturel. Le dictionnaire de Pierre RICHELET précise que le droit positif est partagé en droit positif divin et en droit positif humain. Le droit positif divin est tout ce que Dieu a ordonné et qui n’est pas connu dans le droit naturel, comme les cérémonies légales prescrites aux juifs et l’institution des sacrements dans la nouvelle loi, alors que le droit positif humain représente ce qui est établi par les lois et les coutumes des hommes.6 En d’autres termes, il s’agit de l’ensemble des règles de droit qui régissent une société donnée à une époque déterminée. Le spécialiste du droit international, Roberto AGO indique qu’ « en s’appuyant sur la tradition canonique médiévale et en se fondant même expressément sur l’étymologie du terme, la doctrine internationaliste du XVIIe et XVIIIe siècles a donc constamment entendu par « droit positif » cette partie du droit qui est expressément créée par des procédés de création extériorisés et préétablis à cette fin ».7 B. S. Markovic nous sert une définition plus détaillée du droit positif qui est « le droit réellement en vigueur dans un Etat déterminé, c’est-à-dire le droit qu’appliquent les tribunaux et d’autres organes de l’Etat et dont l’usage est sanctionné par la contrainte organisée de l’Etat. Et tandis que le droit positif existe et fonctionne dans la réalité, ses compagnons constants et inséparables, les droits naturel, objectif, social, idéal et juste, n’existent que dans la conscience des hommes, des particuliers et des communautés sociales, aspirant eux-aussi à devenir le droit positif ».
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