L’IRREVOCABILITE CONTRACTUELLE

L’IRREVOCABILITE CONTRACTUELLE

Le principe d’irrévocabilité : corollaire de la force obligatoire

L’irrévocabilité contractuelle constitue la première zone d’influence du droit commun des contrats sur le contrat de société. Par application du droit commun, le contrat devient irrévocable une fois formé. Ce principe d’irrévocabilité se déduit explicitement de la formulation de l’article 1134, alinéa 2, du Code civil : les conventions « ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ». L’irrévocabilité est érigée en principe. Seul un nouvel accord permet de déroger à la force obligatoire. Il n’en va autrement qu’en présence d’une loi, mais cette intervention du législateur doit, semble-t-il, être exceptionnelle. Les deux causes de révocabilité du contrat : consentement mutuel et loi ne sont-elles pas séparées par une virgule ? Cette virgule pourrait signifier que la loi ne doit intervenir qu’à titre exceptionnel. L’article 1134, alinéa 2, apparaît ainsi comme le pendant de l’alinéa premier aux termes duquel « les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». En effet, la relation étroite qui unit la force obligatoire à l’irrévocabilité des engagements contractuels ne constitue-t-elle pas un axiome ? Ne peut-on pas affirmer une corrélation de principe ? Selon un auteur « intangibilité rime avec irrévocabilité » 89. N’est-ce pas là reconnaître une alliance classique entre la force obligatoire et l’irrévocabilité ? Le fondement de l’irrévocabilité des engagements contractuels réside indubitablement dans leur force obligatoire. Les fondements traditionnels qui gouvernent cette dernière, à savoir la sécurité juridique et la liberté, sont ceux-là mêmes de l’irrévocabilité, corollaire naturel de la force obligatoire90. De cette force obligatoire du contrat il résulte bien un principe d’irrévocabilité contractuelle91. Ce principe a pour conséquence que le contrat ne peut être résolu qu’au terme convenu par les parties ou de manière anticipée par l’accord mutuel de ces mêmes parties. Or, à cet égard, le droit commun des contrats exerce incontestablement son influence sur le droit des sociétés. En effet et d’une part, non seulement la seule manifestation de volonté d’un associé est impuissante à éteindre le contrat de société, mais, d’autre part, elle est également impuissante à se départir de sa qualité d’associé, autrement dit à mettre fin à son seul contrat d’apport (SECTION 1). 18. Dissociation de la force obligatoire et du principe d’irrévocabilité. Toutefois, il est possible d’admettre une dissociation exceptionnelle des deux notions. En effet, ce n’est pas parce qu’un engagement est librement révocable qu’il se trouve dépourvu de force obligatoire92 . Autrement dit, toute révocabilité unilatérale d’un engagement ne constitue pas automatiquement une négation de la force obligatoire. « Il existe une relative autonomie entre la première (l’irrévocabilité) et la seconde (la force obligatoire) » 93 étant donné que « si l’irrévocabilité participe de la force obligatoire d’un engagement, cette dernière ne postule pas automatiquement l’irrévocabilité de l’engagement » 94. Tout engagement, irrévocable unilatéralement ou non, a bien force obligatoire en ce qu’il doit être respecté et exécuté jusqu’à ce qu’il y soit mis fin de manière licite sous peine d’être sanctionné. 19. Portée ab initio relative du principe d’irrévocabilité. En outre, si l’irrévocabilité contractuelle est érigée à titre de principe, celui-ci n’a jamais eu vocation à s’appliquer à l’ensemble des engagements. Il se trouve en réalité et implicitement circonscrit à certains types seulement. Ainsi, « le principe d’irrévocabilité des engagements prévus à l’article 1134 alinéa 2 du Code civil résulte, en réalité, de la force obligatoire des obligations à exécution instantanée et de la force obligatoire du terme extinctif » 95, excluant, par conséquent, de son champ d’application les contrats à durée indéterminée. En effet, concernant ces derniers, le principe est précisément inverse : « l’absence de terme extinctif postule l’absence d’obligation accessoire à respecter, expliquant sa révocabilité de principe… » 96. Présentée classiquement comme le corollaire de la prohibition des engagements perpétuels, cette faculté de résiliation unilatérale ne se révèle être que l’expression de la protection de la liberté individuelle des contractants. Dénotant ainsi la dépendance relative qui existe ab initio entre la force obligatoire et l’irrévocabilité contractuelle, l’engagement à durée indéterminée a bien une force obligatoire. Toutefois, il se trouve soustrait au principe d’irrévocabilité. Là encore, le droit des sociétés ne témoigne d’aucune originalité. L’associé dispose en principe d’une faculté de résiliation unilatérale du contrat de société et du contrat d’apport chaque fois que ceux-ci se présentent à durée indéterminée ou par assimilation à durée excessive (SECTION 2) En raison du caractère pluripartite du contrat de société et de l’existence d’une personne morale à laquelle il donne naissance, l’étude du principe d’irrévocabilité est d’autant plus complexe qu’elle implique une analyse dualiste de son application : de prime abord, mise en œuvre du principe à l’égard du contrat de société qui unit tous les associés ; puis, mise en œuvre dudit principe à l’égard du seul contrat d’apport qui unit chaque associé à la société97 .Or, si le principe d’irrévocabilité a bien vocation à jouer dans ces deux cas de figure, il ne s’exprime pas de la même manière selon que l’on envisage le contrat de société ou le contrat d’apport. Ainsi, si l’influence du droit commun joue quasiment de manière absolue en ce qui concerne le contrat de société lequel requiert en principe un mutuus dissensus pour son extinction anticipée (§1), l’influence ne joue que de manière relative en ce qui concerne le contrat d’apport (§2).

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L’APPLICATION QUASI ABSOLUE DU PRINCIPE D’IRREVOCABILITE AU CONTRAT DE SOCIETE

Si le contrat de société applique bien le principe d’irrévocabilité en ce qu’il prescrit une décision collective des associés pour mettre fin prématurément au contrat de société (A), son originalité afférente à son caractère pluripartite rejaillit sur la mise en œuvre du mutuus dissensus. En effet, la condition d’unanimité des parties au contrat normalement exigée est ici assouplie et substituée par une simple condition de majorité (B).

LES MANIFESTATIONS DU PRINCIPE D’IRREVOCABILITE

Si l’irrévocabilité contractuelle constitue bien le principe en tant que corollaire direct de la force obligatoire du contrat, encore faut-il s’accorder sur le sens exact de la formule. L’irrévocabilité contractuelle est une formule elliptique pour désigner, d’une part, l’irrévocabilité du contrat à exécution instantanée et à exécution successive à durée déterminée (1) et, d’autre part, l’irrévocabilité unilatérale desdits contrats (2) dont le contrat de société constitue une parfaite illustration.

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