Liquides ioniques dérivés de l’histidine comme
organocatalyseurs chiraux pour la réaction d’aldolisation croisée
Généralités sur la catalyse
La catalyse est un processus qui accélère une réaction chimique. En activant un ou plusieurs réactifs, le catalyseur ne modifie pas l’équation bilan de la réaction, mais le chemin réactionnel suivi : l’état de transition est remplacé par un autre, dont l’énergie d’activation est moins élevée. La réaction nécessite ainsi moins d’énergie pour s’effectuer. De plus, le catalyseur peut favoriser un produit plutôt qu’un autre et même contrôler la stéréosélectivité de la réaction. Cela implique que l’un des chemins réactionnels est favorisé par rapport aux autres ce qui se traduit par une sélectivité de la réaction en faveur du produit issu de cet état de transition. La catalyse, et tout particulièrement la catalyse asymétrique, a connu un développement considérable au cours des dernières décennies. Cet essor est dû à l’utilisation d’une faible quantité d’espèce chirale en tant que catalyseur, tout en étant en accord avec deux prérequis qui ont façonné la synthèse organique récente : la nécessité croissante d’obtenir des molécules chirales complexes de manières simple, rapide et efficace, et celle d’établir des méthodologies synthétiques plus respectueuses de l’environnement. La catalyse moléculaire peut être divisée en plusieurs catégories dépendant de la nature de la molécule employée comme catalyseur : par exemple, la biocatalyse, un mime des processus chimiques cellulaires et qui emploie des enzymes 2, 3 comme catalyseurs ; la catalyse organométallique qui a recours à un centre métallique coordonné à un ou plusieurs ligands et l’organocatalyse qui utilise de petites molécules organiques comme catalyseurs. Dans ce chapitre, on s’intéressera plus particulièrement à l‘organocatalyse dont les avantages sont multiples. L’absence de métal de transition dans le catalyseur permet d’éviter tout risque de contamination du produit par des traces de ce métal, contrairement à ce que l’on observe avec la catalyse organométallique. Les organocatalyseurs sont souvent aisément disponibles, peu onéreux et stables en milieu aérobie (O2). De plus, ils sont en général moins substrat-dépendant, et plus facilement accessibles sous leurs deux formes énantiomères, que les enzymes. Parmi leurs utilisations possibles, la création asymétrique de liaisons carbone-carbone, permettant l’accès à des chaînes carbonées fonctionnalisées et à des molécules biologiquement actives, est devenue de plus en plus courante. C’est notamment le cas des réactions d’aldolisation, de Mannich, de Michael, de Morita-Baylis-Hillman ou de cycloadditions organocatalysées.
Introduction à l’organocatalyse
Les organocatalyseurs sont de petites molécules organiques capables d’activer différentes fonctions chimiques grâce à leur(s) site(s) chimique(s) appelé(s) notamment site catalytique. Les différents modes d’activation peuvent être classés selon leur nature chimique (base de Lewis, base de Brønsted,10 acide de Brønsted, acide de Lewis11,12). Cette classification a été introduite par Benjamin List en 2005.13 Contrairement aux trois autres modes d’activation, les bases de Lewis se lient de manière covalente au substrat à activer. Certains catalyseurs sont dits « multifonctionnels », c’est-à-dire qu’ils présentent deux ou plusieurs groupements fonctionnels distincts capables d’interagir soit en tant qu’acide soit en tant que base avec les substrats mis en jeu. Il existe plusieurs grandes familles de catalyseurs organiques chiraux, telles que les acides phosphoriques, les carbènes N-hétérocycliques (NHC), les (thio)urées ou les amines telles que les alcaloïdes, les acides aminés ou les peptides (Figure 2). Ces derniers sont au cœur des travaux décrits dans ce manuscrit. Figure 2: Exemples d’organocatalyseurs chiraux En 1912, Georg Breding14 a utilisé des alcaloïdes naturels issus du quinquina, la (-)-quinine 4 ou son stéréoisomère la (+)-quinidine, comme catalyseur pour la réaction d’addition de l’acide cyanhydrique 2 sur le benzaldéhyde 1 (Schéma 1). Schéma 1: Exemple d’addition de l’acide cyanhydrique 2 sur le benzaldéhyde 1 catalysée par la (-)- quinine 4 Même si cette réaction conduit au produit 3 avec un faible excès énantiomérique (<10 %), elle constitue le premier exemple de catalyse énantiosélective induite par de petites molécules organiques chirales. Il a ensuite fallu attendre l’année 1960, pour que Horst Pracejus15 publie l’addition du méthanol sur le méthyl phénylcétène 5 en présence de la Oacétylquinine 6 comme catalyseur, conduisant à l’ester méthylique 7 avec une conversion quasi-totale (99%) et une bonne énantiosélectivité (ee à 74%) (Schéma 2). Schéma 2: Addition du méthanol sur le composé 5 catalysée par la O-acétylquinine. Le dernier exemple significatif est celui qui a été rapporté indépendamment par Eder, Sauer et Wiechert (en 1971) et également par Hajos et Parrish 17 (en 1974). Leurs travaux concernaient l’étude de la réaction d’aldolisation intramoléculaire de la tricétone 9 prochirale catalysée par un acide aminé naturel, la (S)-proline 8 (Schéma 3).
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