Le pluriculturalisme et l’émergence de cultures hybrides, à l’ère de la Mondialisation de la communication
Barack Obama, lors de son premier discours, le 20 janvier 2009, en tant que président des Etats-Unis d’Amérique, déclarait: « Nous savons que notre héritage multiple est une force, pas une faiblesse. Nous sommes une nation de chrétiens et de musulmans, de juifs et de hindous, et de non-croyants. Nous avons été formés par chaque langue et chaque culture, venues de tous les coins de la terre ; et parce que nous avons goûté à l’amertume d’une guerre civile et de la ségrégation, et que nous avons émergé de cette période sombre plus forts et plus unis, nous ne pouvons pas nous empêcher de croire que les vieilles haines vont un jour disparaître, que les frontières tribales vont se dissoudre, que pendant que le monde devient plus petit, notre humanité commune doit se révéler, et cette Amérique doit jouer son rôle en donnant l’élan d’une nouvelle ère de paix. »4 De nombreuses sociétés sont aujourd’hui caractérisées par leur multiculturalisme, leur communautarisme et leur multi confessionnalisme.
On peut considérer qu’il s’agit là d’une des formes de la modernité et l’une des conséquences de la mondialisation. Il est vrai que l’interaction économique croissante entre nations, ces cinquante dernières années a conduit à une intégration économique, mais cette même croissance a aussi posé des questions de cohabitations culturelles. Selon le botaniste Francis Hallé : « Il y’a une mondialisation pour chaque activité humaine. Distinguons avec soin celle qui concerne la culture de celle qui a trait à l’économie. »5 En effet, depuis 1980, on a beaucoup parlé de la mondialisation au sens économique et technique du terme. Toutefois, cette mondialisation signifie que les entreprises implantées dans divers endroits du monde produisent et commercialisent des produits et services relatifs à leur propre culture tout en négligeant la culture des autres, celle des pays dits récepteurs ou du Sud.
La mondialisation est définie par le même auteur comme suit : « Dans les régions tropicales où je travaille, la mondialisation économique a un puissant relent colonial. (…) la concurrence des produits venant des régions les plus avancées avec ceux des pays les plus pauvres procède d’une mondialisation injuste. Les délocalisations industrielles, bénéfiques à court terme, finissant par ruiner les fragiles économies locales et par induire des mentalités de larbins. »6 Parallèlement, les déplacements et les phénomènes migratoires ont augmenté, produisant un entrelacement au niveau des cultures, des croyances religieuses, des modes de vie et des manières de penser. Ainsi, les sociologues et chercheurs en communication, approfondissent leurs recherches dans l’analyse interprétative du rôle des médias en s’interrogeant sur des questions relatives à l’identité, les conflits socio-confessionnels ainsi que l’assimilation culturelle de groupes ethniques différents dont notamment celle d’immigrants et de communautés confessionnelles particulières. Dans les chapitres suivants, nous nous interrogerons sur l’influence des médias sur la communication entre les personnes issues de cultures différentes ; et si, au Liban, les médias sont favorables ou non à la communication intercommunautaire.
Parmi ces chercheurs, Dominique Wolton s’intéresse à la troisième révolution, c’est-à- dire à la révolution qui vient après la révolution politique et celle économique. Sa réflexion, comme le décrit Christine Mellin, s’articule autour de la mondialisation de l’information et de la communication. « En effet en rendant accessible tout type d’information émise majoritairement par les pays occidentaux, la mondialisation accentue les différences culturelles au plan mondial. Le principal handicap au développement de la mondialisation culturelle vient de l’immense diversité des récepteurs qui subissent en quelque sorte le point de vue des occidentaux. Or ce n’est pas parce que l’accès à l’information est facilité que cette information est comprise et qu’elle est source de cohésion. Le fait que l’autre soit aujourd’hui présent partout renforce chez les gens le besoin d’appartenance culturelle, régionale et linguistique. »7 Il est vrai que le XIXème et le XXème siècle ont été caractérisés par le triomphe de la technique, de la télégraphie au téléphone, puis les moyens de transport et de communication révolutionnaires. Le XXIème siècle, au contraire, est marqué par le rejet de ces techniques et une rupture entre les peuples qui ne parviennent plus à se communiquer entre eux, entendu dans le sens de partage d’idées et de cohabitation culturelle. Plus les gens s’identifient à une culture, une civilisation, une nation ou encore une religion, plus ils se sentent en sécurité et protégés par la collectivité à laquelle ils appartiennent. Il n’est de doute aujourd’hui que les réseaux de la communication façonnent le mode d’organisation de la planète.
En deux siècles, la révolution technologique a permis aux hommes de communiquer entre eux et d’être connectés en continue. La globalisation rime avec « petit village » où des échanges ont lieu grâce aux nouvelles technologies, à l’évolution des moyens de transport, à l’ouverture de la plupart des marchés et aux flux transfrontaliers générés par des interactions économiques et sociales. Des interrogations se posent à ce niveau sur l’impact qu’a laissé la mondialisation sur les diverses sociétés. Est-ce un impact positif ou négatif ? Est-il constructif et favorable à la cohabitation culturelle ou au contraire destructeur et défavorable à la communication interculturelle? De même, lorsque nous parlons de « village global », est-ce que les progrès au niveau des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont atteint leur objectif en parvenant à une mondialisation de l’information constructive ? Les peuples s’expriment-t-ils à égalité ? Si non, le développement des nouvelles technologies n’entraîne-t-il pas de l’incompréhension, de la haine et des guerres entre les différentes communautés du monde entier ? Ou encore entre communautés d’une même nation comme dans le cas particulier du Liban ? Dominique Wolton est l’un des chercheurs qui a réfléchi sur les risques encourus en valorisant la mondialisation technique.
Il a exposé la nécessité évidente de construire une autre mondialisation, celle qui prend en compte la cohabitation culturelle pour sauvegarder la paix dans le monde. Il est essentiel donc de comprendre et d’admettre qu’il existe de fortes disparités économiques entre le Nord et le Sud et que sans richesses économiques, il n’y a pas de diversité culturelle possible. Selon C. Mellin : « La pauvreté nuit au développement de la culture et l’invasion des produits du Nord intensifie le rejet culturel »8. L’auteur accentue son analyse sur le sentiment d’humiliation perçu par les peuples du Sud face au pouvoir capitaliste et la manière dont interviennent les institutions internationales. « Les pays du Nord, qui prônent l’intérêt des nouvelles technologies de l’information ne semblent pourtant pas rechercher l’échange avec les peuples du Sud mais au contraire fuir la proximité des cultures autres que la leur. »9 Un retour sur l’histoire des nouvelles technologies de la communication, leur début et leur expansion, nous permettra de mieux appréhender leur fonctionnement actuel et le rôle qu’elles tiennent en favorisant ou non la véritable communication interculturelle.
Le pluriculturalisme en danger dans l’ère de la mondialisation des moyens de communication10 Armand Mattelart nous rappelle le phénomène de rapprochement des peuples malgré les distances qui les séparent et la globalité du monde prévu par des auteurs ancêtres, il appuie son idée grâce au texte suivant de Victor Hugo accentué sur le rapprochement des peuples au monde : « Comme les peuples se touchent ! Comme les distances se rapprochent ! Et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité… Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. »11 Dans les années 20 et 30, précisément à Chicago, des écoles de sociologie se posent la question du pluriculturalisme. Ce polycentrisme voit le jour et se gère grâce aux médias, surtout parce que ces derniers jouent un rôle de fédérateurs. Toutefois et en parallèle, se forgent les médias communautaires tels que, à titre d’exemple, les médias chinois aux Etats-Unis ou les médias à thème : cuisine, femme, tourisme et autres. À la fin des années 20, en particulier en 1929, la crise économique éclate et la société américaine s’interroge sur son identité cosmopolite, composée d’Européens, d’Africains, de Sud-Américains Une question s’impose à ce niveau : ce multiculturalisme est-il avantageux ou désavantageux pour les Etats-Unis ? Et pour le monde entier ? Est-ce une force ou une faiblesse face à la mondialisation ?
Nombre de sociologues s’interrogent ainsi en remettant en question la richesse de la mondialisation face à la destruction du pluriculturalisme et le risque que peut engendrer une expansion inégale ? Dans les années 30, le président américain Franklin Roosvelt12, et suite à la crise économique de 1929, crée l’Etat-Providence, sous le nom de « Welfare State ». Ce modèle d’État s’est développé aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves afin d’éviter l’implosion du capitalisme par l’instauration d’un système de redistribution des richesses vers les plus pauvres. Il faut toutefois relever, que le schéma de l’État-Providence, a été remis en question au début des années 80 à cause du niveau élevé des prélèvements obligatoires qu’il implique et de son effet néfaste sur l’initiative économique. Ainsi, le président Roosvelt, et en adoptant le modèle d’État-Providence est parvenu à injecter de l’argent dans tous les secteurs et a essayé d’utiliser les sciences pour mesurer les caractéristiques de chaque communauté, en ayant recours aux médias comme outil d’étude pour pouvoir regrouper toutes ces cultures. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis deviennent une super puissance, au moment où les pays européens subissent les conséquences de leur passé colonial. Le trente-troisième président américain Harry Truman déclara dans ce contexte: « Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit ambitieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre pensée industrielle au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous développées ».
Plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies approuva la création du programme élargi d’assistance technique puis le transfert de capitaux du Nord vers le Sud par l’intermédiaire de la Banque mondiale. Jean Paul Lafrance, Anne-Marie Laulan et Carmen Rico de Sotelo exposent la théorie « étatsunienne » de Lerner (1958), Schramm (1963) et Rogers (1983). Une théorie selon laquelle : « Les techniques et méthodes communicationnelles employées relèvent d’un modèle linéaire, allant du haut vers le bas, axé sur l’individu et non sur la société et destinées à changer les mentalités en s’appuyant sur les médias de masse. »13 Cette idéologie prend le relais de l’économie de marché et en la force civilisatrice de la technologie. Selon Armand Mattelart, « pour s’extirper du sous-développement, pour « décoller », un pays doit avoir atteint un certain taux d’équipement en sièges de cinéma, en postes de radio et de télévision. Vecteurs de « conduites modernes », les médias sont envisagés comme les agents innovateurs (…) ils propagent les modèles de consommation et d’aspirations symbolisés par les sociétés qui ont déjà accédé à l’étape supérieure de l’évolution.1 4»
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