L’IntoLérance dans les Tragiques d’agrIppa d’aubIgné
Les actes de cruauté exercés par les catholiques
Les actes d’atrocité affligés aux protestants
Les événements issus de la fracture religieuse installent chez Agrippa d’Aubigné un sentiment mêlé d’indignation et de haine qui l’obligent à joindre à l’épée, une plume de feu au service d’une minorité encline dans sa foi, menacée par une majorité dominante qui rejettent hermétiquement la Vérité divine. Ce schisme religieux conduisit l’humanité chrétienne à une inévitable guerre civile. En traçant ce parcours tragique du peuple réformé, peuple de Dieu, le poète calviniste avertit ces ennemis en leur révélant un des traits son caractère intransigeant : Mon courage de feu, mon humour aigre Au travers de sept monts faict breche au lieu de porte. Je brise les rochers et le respect d’erreur Qui faict douter Cesar d’une veine terreur.18 De ce trait, d’Aubigné nous mène sans contrainte à la lumière de ces manifestations de l’intolérance religieuse dont certains actes de cruautés catholiques s’installèrent et poussèrent le camp protestant à marcher dans les feux de la souffrance. Ainsi pour rendre plus détailler ces actes d’atrocités affligés au peuple protestant, il nous est plus intéressant de faire une double étude des faits c’est-à-dire de parler d’abord les feux du bûcher suivi des condamnations et ensuite, de mettre à la lumière les séries de massacres et d’assassinats. Ainsi, les feux de la persécution s’allumèrent et furent dressés contre les hérétiques qui étaient brulés sans la moindre compassion des persécuteurs qui voulaient répandre très rapidement la terreur de l’hérésie. Dès lors, le combat pour le maintien de la foi se présentera dans « l’épouvantable gehenne »19 . Les victimes furent mises à mort au milieu de véritables tortures et les bourreaux les plus cruels ordonnent d’adoucir le feu afin de proroger leur souffrance. En dépit de ces méthodes bien inventées et calculées, ces fidèles gardaient toujours leur constance jamais démentit et rien ne vint troubler leur foi. La joie et le courage que respiraient le visage de ces hérétiques qui se rendaient au milieu des flammes et la charité avec laquelle ces fidèles répondaient à leurs bourreaux transformaient la colère en pitié et la haine en amour mais rassurait surtout les autres à ne jamais abandonner la lutte. Dans les 18 Jacques Bailbé, Agrippa D’Aubigné, Les Tragiques, Garnier-Flammarion, Paris,1968 (I, 5-8) 19 Jacques Bailbé, Agrippa D’Aubigné, Les Tragiques, op. cit., (IV, 161) 12 flammes, ces hommes étaient pénétrés par le sentiment de la présence de Dieu qui, éloigne les fidèles de toutes les douleurs explique parfois l’absence de cri ou tout autre geste : La foy demeure ferme et le secours de Dieu Mit les tourmens à partir, le corps en autre lieu ; Sa plainte seulement encore ne fut ouïe, Hors l’ame toute force en elle esvanouïe20 Ce courage extrême du martyr qui accepte de mourir pour le salut de Dieu requiert un degré absolu de conviction et de foi. Cependant, comme l’histoire se situe dans une certaine perspective cyclique, l’histoire des Tragiques ne peut pas s’en passer de l’histoire primitive de l’Église et de ses premières persécutions. L’histoire du martyr protestant au XVIe siècle n’était pas une explosion brutale, mais bien l’aboutissement d’un cheminement historique légitimes. S’inspirant de cette histoire, où la sainteté de l’Église primitive s’y trouve, d’Aubigné poursuivit, cette fois-ci en tant que témoin oculaire, cette même pureté de l’Église chrétienne dont les flambeaux sont portés par les fidèles protestants. De ce fait, le poète huguenot n’avait pas tort de mentionner l’exemple de l’héroïsme de certains élus qui avaient honoré avec tant d’enthousiasme la foi religieuse jusqu’au milieu des flammes : « Huss, Hierome de Prague, images bien connues Des tesmoins que Sodome trainé par ses rues […]. »22 Ces hommes, refusant l’état de la corruption du clergé, étaient iniquement et précipitamment condamnés à mort par des loups carnassiers. Ces hérétiques se rendirent dans les flammes du bûcher avec une foi ferme : « Ô Seigneur ! Je remets mon esprit ; tu m’as racheté, Ô Dieu, tout bon et tout fidèle. » ; « Jésus- Christ mon Seigneur a été attaché avec une chaine plus pesante que celle-ci pour moi ; pourquoi alors aurais-je honte de cette vieille toute rouillée. » 23Cette inflexibilité de la foi à laquelle se joint le courage, la force dans les flammes font de leurs images, des images bien connues dans les annales de l’histoire religieuse. Dans Les Tragiques, d’Aubigné jetait également son regard sur des prisons cruelles et dévastatrices qui entassent les huguenots comme des bêtes sauvages. Et ces prisons semblaient même dégager une atmosphère obscure par des fumées puantes des bûchers. Cependant, sur le chemin du feu, ces martyrs fouillent d’abord un sentier parsemé 20Ibid., (IV, 179-182) xd21 Pierre Cameron., Le martyrologe de Jean Crespin, étude de ses éditions au XVIe siècle, Thèse présentée à la Faculté des études supérieurs en vue de l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph. D.) en étude classique et médiévales, juillet 1995. https://www.collectionscanada.gc.ca 22 Jacques Bailbé, Agrippa D’Aubigné, Les Tragiques, op. cit., (IV, 61-62) 23 John Foxe, Le livre des martyrs, pp 97-98, https://levigilant.com 13 d’humiliations, d’opprobres et de souffrances avant de subir les dernières tortures possibles. C’est dans cet état de demi- mort que le condamné rejoint ses amis fidèles dans les sombres couloirs des prisons, ainsi renait le courage et l’espoir de vie : Le corps fut emporté des prisons comme mort. Les membres defaillans l’esprit devint plus fort Du lict elle instruisit et consola ses frerers Du discours animé de ses douces miseres.24 Dans ces moments de feu, les martyrs protestants qui étaient dépouillés de leurs forces considèrent ces prisons comme étant des lieux de repos de leurs âmes et la fin de leurs peines, un lieu de geste qui leur donne plus de courage, de force leur permettant de surmonter les ténèbres, la puanteur de l’espace, la faim et la soif, les injures et encore la subtilité des ennemies de l’Évangile : c’est un espace de communication, d’échange entre l’Être et son Créateur. Ce dialogisme avec l’Éternel permet de secourir le martyr au milieu les flammes. Mais, ce Dieu providentiel qui n’était dans le corps du martyr ou qui n’était pas encore possédé par Lui. Cette distanciation disparaît complètement lorsque le condamné se trouvait dans les flammes et qui sollicite davantage la puissance divine afin de lui vaincre les flammes du bûcher et c’est bien là, que l’action divine se manifeste en lui. Et là maintenant, le martyr n’est plus ce corps simple qui souffre mais un Dieu vivant. Et ces propos du poète protestant résument : Mon Dieu, vray juge et pere, au milieu du trepas Je ne t’ay point laissé, ne m’abandonne pas : « Tout-puissant, de ta force assiste ma faiblesse ; Ne me laisse, Seigneur, de peur que je te laisse.25 Dans cet affreux jardin de supplice où étaient condamnés les martyrs, existe des actes les plus cruels que la vraie conscience humaine ne saurait admettre. Emmi les flammes le martyr abandonne ses membres, instruments de feu comme un arbre sec qui se déchaine de ses branches sous l’épreuve du feu. Ces actes inhumains font penser à Agrippa d’Aubigné l’image de ce martyr anglais qui lève au ciel ses bras dont le feu à déjà transformer les os de squelette en cendre et en charbon :« Tu as ici ton rang, ô invincible Hauss ! »
Discours contraire à celui des Écritures saintes
Les affrontements religieux du XVIe siècle ont été pétulants dans la conscience du poète des Tragiques. Dans cette immense œuvre de sang et de cri composée en vers alexandrin, Agrippa d’Aubigné décharge tout son fiel sur les carnassières du siècle et exhorte ainsi une 39 Guillaume Félice, Histoire des protestants en France. Continuité depuis 1861 jusqu’au temps actuel par François Bonifas. Toulouse, société des livres religieux, 1880, https://www.mediterranee-antique.fr,p 113 40 Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, op. cit., p 6 41 Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, op. cit., p 5 19 intervention divine. Mais il s’agit bien sûr d’une intervention directe et aveuglée contre les bourreaux : Que ceux qui ont fermé les yeux à nos miseres, Que ceux n’ont point eu d’oreille à nos prieres ; De cœur pour secourir, mais bien pour tourmenter, Point de main pour donner, mais bien pour nous oster, « Trouvent tes yeux fermés à juger leurs prieres ; Ton oreille soit sourde en oyant leurs prieres ; Ton sein ferré soit clos aux pitiez, aux pardons, Ta main seche, sterile aux bienfaict et aux dons. » « Soyent tes yeux clair-voyans à leurs pechez extremes ; Soit ton oreille ouverte à leurs cris de blasphems, Ton sein deboutonné pour s’enfler de courroux, Et ta main diligente pour redoubler les coups ».42 Cette lourde décharge bileuse et des canons de vérité imposent au poète calviniste de prendre le glaive de l’Éternel et sa puissance verbale contre les hommes de l’Église catholique. Doté d’une passion ardente et illimitée pour une patrie blessée, Agrippa d’Aubigné rompit très tôt le vieil style poétique du père de la Pléiade (Ronsard), instaura ainsi dans sa praxis poétique une nouvelle expression verbale de la pensée appelée discours dont les artifices sont beaucoup plus aptes à répondre l’appel urgent de ses coreligionnaires. Ainsi l’analyse pragmatique de ces premiers vers d’Agrippa d’Aubigné à l’endroit des criminels du siècle témoigne que le poète des Tragiques était profondément dominé par un esprit de vengeance. Et cela, n’est possible que par une certaine rupture poétique. De ce fait, le poète protestant de confession calviniste construit un discours agressif d’une ampleur exceptionnelle qui permettra de faire : Étalage d’images avilissantes, déferlement de propos blessants, tendance à l’hyperbole ironie glissantes, jeux de contrastes piquants, exaspération, etc. avec ce langage lapidaire dicté par le désir d’importuner le camp vallois, s’exécute une pratique engagée de la poésie qui entreprend les cibles personnelles dans leur chair. Pour cette vocation pragmatique le discours poétique des Tragiques atteint alors une véritable éloquence de l’indignation où la polémique exploite toutes les ressources de la verve licencieuse dont l’enjeux essentiel n’est autre que la croyance dans l’attitude des mots 42 Jacques Bailbé, Agrippa D’Aubigné, Les Tragiques, op. cit., (I, 1357-1368) 20 déplacés à administrer des blessures morales assez proches des coups d’épée du fantassin huguenot.43 Cette citation explicite clairement l’ambition poétique d’Agrippa d’Aubigné. Comme Juvénal son prédécesseur, le poète huguenot donne libre cours à son indignation en répondant âprement aux vices et à la violence des cruautés catholiques. De ce fait, d’Aubigné embrasse sans contrainte toutes formes de perversités du siècle. En effet, chez Juvénal, l’inspiration poétique naît d’une réaction contre les vices de l’époque vécue44. Et c’est bien ce dynamisme poétique qu’entreprend le poète protestant, chez qui, écrire c’est agir sur les ennemis. Ce satiriste ou pamphlétaire du XVIe siècle effarouche par la virulence de ses mots tout une cité régie par un prince Infernal. Prenant ainsi les couleurs de son siècle, Agrippa d’Aubigné s’accoutre en rouge et poursuit les ennemis de Dieu par un langage lapidaire. À en croire, que l’histoire des guerres de religion est une réécriture de l’histoire de l’Église primitive et Agrippa d’Aubigné poursuit bien cette continuité historique. À son tour, Agrippa d’Aubigné réécrit et écrit45 l’histoire des guerres de religion et mit du coup l’épée à la main gauche, la plume de flamme à la main droite et les mots satiriques ou pamphlétaires dans la bouche. Ce fils de la Réforme calviniste réécrit comme nous l’avons souligné tantôt, l’histoire en invoquant la Muse de Saint Paul et de l’Apocalypse. Cette double inspiration poétique a permis au nourrisson des Muses à feuilleter avec colère les pages anciennes des Écritures saintes. Toutefois cette invocation des Muses conjugue dans le cœur meurtri du poète huguenot, un sentiment d’indignation extrême qui l’obligea à tenir à l’encontre des barbares de la France déchirée, un discours contraire à celui des Écritures saintes. Cette extrême indignation conduit donc le poète des Tragiques « à des stratégies discursives percutantes que commande l’impératif oppressant de réagir face aux offenses perpétrées contre son camp »46 . Un tel discours du poète des Tragiques vise bien un dessein argumentaire précis c’est-à-dire qu’Agrippa d’Aubigné s’était servi semble-t-il du caractère incomplet de ces Écritures saintes pour le tirer dans le sens de son argumentation tout en essayant de relayer parfois le texte original. En effet, ce type de discours apparaît souvent dans Les Tragiques sous forme 43 Sangoul Ndong, L’écriture polémique dans les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné : La potée pragmatique du châtiment discursif. Thèse de doctorat Ès-Littérature Française, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2007- 2009, p 301 44Idem., L’enrôlement à rebours dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, p 221-238 45 Agrippa d’Aubigné écrit l’histoire en tant poète-soldat il avait vécu l’histoire racontée dans son œuvre. Témoin oculaire comme il l’avait dit ces yeux sont sujets de vers, il écrit ce qu’il avait vu sur les champs de bataille. 46 Sangoul Ndong, L’écriture polémique dans les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné : La potée pragmatique du châtiment discursif, op. cit., p 304 21 d’ironie du sort ou de l’histoire que le poète calviniste tente de montrer dans ce discours papal : Je dispense, dit-il du droict contre le droict, Celui que j’ai damné, quand le ciel et le voudroit, Ne peut estre sauve ; j’autorise le vice ; Je fai le faict mon faict, de justice injustice ; Je sauve les damnez en petit moment ; J’en loge dans le ciel à coup un regiment ; Je fai de bouë un Roy, je mets les Rois aux fanges ; Je fai les saincts, sous moy obeissent les Anges Je puis (cause première à tout cet univers) Mettre l’enfer au ciel et le ciel aux enfers.47 Ces vers semblent annoncer malgré les textes originaux ou bibliques la venue de l’Antéchrist, l’mage renversée de Dieu sur la terre des hommes. Et ici cette image de l’Antéchrist est appliquée au Pape des Tragiques qui, sans contrainte, révèle toute sa puissance. Ce renversement des valeurs du mundus inversus dont les effets néfastes ne semblent jamais prendre fin est en fait un monde d’absurdité, d’incohérence mais aussi un univers de perversion totale. Ce discours percutant pousse davantage le poète indigné à utiliser des factums, arme fatale contre les persécuteurs de l’Évangile. La violence verbale portée par le style rude très récurrent dans Les Tragiques est elle aussi un fait de l’énoncé comme c’est le cas de ces illustres passages destinés à l’écriture même du poème huguenot : Enfans de vanité, qui voulait tout poli, A qui le stile sainct ne semble assez poli, Qui voulait tout coulant, et coulez perissables Dans l’eternel oubli, endurez mes vocables Longs et rudes […] 48
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