L’intervention du droit pour pallier l’insuffisance de la prévention

L’intervention du droit pour pallier l’insuffisance de la prévention

La prévention secondaire, si elle devient donc un élément central et essentiel à la stratégie française de lutte contre le discours djihadiste et la radicalisation, n’a pas suffi pour endiguer la vague d’attentats sur son sol et de départs vers la zone irako-syrienne. Pour cette raison, et parce que le discours djihadiste devient inaudible et inacceptable dans une France meurtrie par les attentats, sont développées de nouvelles mesures juridiques exceptionnelles qui visent elles aussi à prévenir le risque terroriste, mais en procédant au blocage et à la suppression des sites et contenus, et en sanctionnant ceux qui prétendent le consulter. Le développement du droit, notamment pénal, pour lutter contre la propagande s’enracine pleinement dans une politique beaucoup plus large d’anticipation du risque terroriste par la sanction705. Il s’intègre dans une législation stricte et punitive, qui, face à la difficulté d’éradiquer les sites et contenus, va finalement venir traiter les personnes qui consultent de la propagande en quasi complices de terrorisme eux-mêmes et en potentiels djihadistes. En effet, si le droit a d’abord entendu bloquer et supprimer la propagande en s’attaquant aux sites, comptes et publications, il apparait que cette méthode a trop de lacunes pour être pleinement efficace seule. C’est pourquoi, il prend le parti de sanctionner directement les spectateurs, ceux qui consultent régulièrement la propagande sur Internet. La sanction se déplace des sites sympathisants et de l’autorité administrative aux spectateurs et au champ pénal et judiciaire. La propagande devient un élément à charge et une infraction à part entière, qui trouve toute sa place dans les prétoires. La politique française de lutte contre le terrorisme se place traditionnellement sur un versant avant tout sécuritaire, et ce constat continue de s’appliquer après 2014706 . 24 L’intervention du droit pour bloquer les sites sympathisants Le premier plan d’action présenté par le gouvernement, le PLAT, pose la problématique du cyber djihad dès avril 2014, en reconnaissant le rôle d’Internet dans les processus de radicalisation. Dans ce plan composé de soixante mesures, dans la première partie appelée « Prémunir les esprits contre la radicalisation », on retrouve d’une part le développement d’un contre-discours institutionnel, et d’autre part la nécessité d’élaborer des nouvelles mesures de retrait des contenus sur Internet. Par la suite, trois autres grands plans, présentés par le gouvernement, vont être élaborés et mise en place entre 2016 et 2018, et chacun prendra de nouvelles mesures pour renforcer la lutte contre le cyber-djihad et le discours djihadiste. 

Pharos : un outil pour collaborer avec les réseaux dans la traque aux contenus

Pour reprendre les propos de François Xavier Masson et Patrick Mariatte : « Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont entraîné une mutation profonde de la nature de l’expression publique qui est devenue directe, massive et peut atteindre n’importe qui possédant une connexion internet. Elles obligent l’Etat, confronté à une diffusion des contenus  en mode viral, à repenser les modes d’action destinés à protéger les atteintes portées aux droits de la personne mais également à l’ordre public. Elles imposent également aux forces de sécurité intérieure une adaptation constante de leurs structures et de leurs méthodes. Car Internet donne l’illusion d’une liberté d’expression sans limite et en tout anonymat. On assiste ainsi à une dilution de la responsabilité dans le cyberespace accentuée par l’immédiateté, l’interactivité en temps réel et l’absence d’obstacles apparents. » . La plateforme Pharos est l’un des outil clé en France de cette adaptation aux nouvelles technologies, et de lutte contre la haine en ligne. Après l’attentat contre Charlie Hebdo, le gouvernement va créer une cellule spéciale au sein de la plateforme, chargée de traiter, entre autres, les signalements liés à l’apologie, à l’incitation à commettre des actes terroristes, et à la propagande. La plateforme se renforce progressivement, elle fonctionne depuis 2020 vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et compte désormais une cinquantaine de personnes mobilisées. Ces changements ont été opérés avec le déploiement d’un plan d’action, de décembre 2020, qui prévoyait : un élargissement des capacités de Pharos, un resserrement de la collaboration entre les plateformes, les réseaux et l’Etat, et la signature d’une convention, aboutissant à l’installation d’un conseiller de gendarmerie au sein du service de signalement . C’est Pharos qui va permettre de censurer plusieurs vidéos terroristes, comme la vidéo de décapitation du français Hervé Gourdel, enlevé dans le désert algérien en septembre 2014, retirée en cinq minutes, selon le site du gouvernement724. Toujours d’après ledit site, à la suite des attentats de janvier 2015, les signalements en lien avec le terrorisme et les événements qui endeuillent la France explosent, la plateforme reçoit de 6000 à 7000 signalements par jour, pour des contenus en lien avec le terrorisme et l’apologie, et atteint finalement environ 35000 signalements intervenants sur la période suivant les attentats725. Toujours selon les chiffres du gouvernement : « En 2014, la plateforme a reçu 137 000 signalements (+ 14 000 par rapport à 2013) : 56% correspondent à des faits d’escroqueries, 11% sont des signalements liés à la pédopornographie et 12% ont trait soit à l’apologie de terrorisme soit à l’incitation à la haine raciale » 726 , ces données plaçaient les faits liés au terrorisme loin derrière les escroqueries, mais révélaient un pourcentage de signalements significatif sur le sujet sur cette période. Ce constat est également permis grâce aux chiffres des années suivantes, en 2020, le ministre de l’Intérieur, questionné à l’Assemblée sur les moyens de lutte mis en place contre le djihad sur Internet, avançait ces chiffres : « S’agissant des contenus terroristes, PHAROS a enregistré des pics de signalements en 2015 et 2016 avec respectivement 31 302 et 11 411 signalements d’internautes (contre 1 675 en 2014 par exemple). Depuis, le volume oscille entre 4 500 et 6 500 signalements par an. ». Le ministre soulignait l’existence d’un pic important opéré sur la période la plus active de l’Etat Islamique sur Internet, soit entre 2015 et 2016727. En 2018, on retrouve les chiffres suivants : 4.567 signalements dans le domaine de l’apologie et de la provocation à des actes terroristes, soit 2,79 % des signalements, contre 4,08 % en 2017, soit des chiffres qui baissent progressivement. D’après un rapport du ministère : « Les données de l’année 2018 confirment la tendance observée en 2017 : un retour à la volumétrie antérieure aux années 2015 et 2016, qui avaient été marquées par un nombre important de signalements en lien avec le terrorisme » 728. Enfin, dans son rapport sur « l’état de la menace liée au numérique » daté de 2019, le ministère de l’intérieur notait également qu’en 2018, Pharos avait transmis 12 100 demandes de retrait pour des contenus en lien avec le terrorisme et l’apologie, contre 30 634 en 2017, soulignant ainsi la baisse progressive de ce type de signalement729. Ces chiffres remontent en 2020, comme après chaque attentat médiatisé, à la suite de l’affaire Samuel Patty, qui aboutit donc à un renforcement du contrôle et des effectifs sur la plateforme. On le voit bien, Pharos est un outil central de la lutte contre l’expansion du discours djihadiste en ligne. En guise de comparaison : « La plateforme CTIRU est l’équivalent britannique de PHAROS. Elle collabore avec les réseaux sociaux et a réussi à faire supprimer plus de 72 000 contenus de type terroriste depuis février 2010. Il s’agit d’une collaboration avec les éditeurs et les hébergeurs puisqu’il n’existe pas de moyen coercitif pour les contraindre à supprimer un contenu en ligne. » 730. Aussi, la France n’est pas le seul pays à avoir adopté des outils de signalements des contenus pour lutter dans un premier temps. 

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