L’intervention communautaire en matière de contrats de « tourisme »

UNE EXTRÊME PARCELLISATION

A la question de savoir si, aujourd’hui, l’existence d’un droit communautaire des contrats spéciaux peut être affirmée, il semble falloir donner une réponse négative. Le fait que l’étude du droit communautaire des contrats soit le plus souvent abordée sous la forme interrogative est, en soi, révélateur. Cet a priori négatif est essentiellement fondé sur le constat du caractère parcellaire des dispositions qui sont censées contribuer à la constitution du droit communautaire des contrats spéciaux. Il convient d’avertir le lecteur que cette dualité rend complexe la démonstration du caractère parcellaire du droit communautaire en la matière.
Autant il est aisé de présenter un corps de règles complet et cohérent, autant la présentation d’un ensemble de textes caractérisé par une certaine anarchie est un exercice difficile, qui pour cette même raison, présente toute son utilité 369. Pour reprendre une image utilisée par le professeur Delmas-Marty, il est possible d’affirmer que notre tâche consiste en « l’assemblage d’un puzzle dont il manquerait de nombreuses pièces et dont les fragments existants seraient rangés dans des boites différentes » 370. Une organisation est toutefois possible puisque, d’un côté  des pans entiers du droit des contrats spéciaux sont totalement ignorés par le droit communautaire, et que d’un autre l’intervention du législateur communautaire est marquée par une très nette tendance à la spécialisation, à travers la réglementation de contrats que les droits nationaux avaient eux-mêmes laissés à la liberté contractuelle mais aussi à travers la réglementation de techniques spécifiques. La parcellisation du droit communautaire revêt donc un aspect négatif : son caractère lacunaire (§1) et un aspect positif : sa spécialisation (§2).

DES DISPOSITIONS LACUNAIRES

Le droit des contrats spéciaux est traditionnellement présenté comme contenant les dispositions propres à chaque contrat ou plus précisément à chaque catégorie de contrats. En droit français, c’est l’article 1107 du Code civil qui présente cette réglementation : « Les règles particulières à certains contrats sont établies sous les titres relatifs à chacun d’eux et les règles particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au commerce ». Mais aucun ordre juridique ne peut prétendre réglementer l’ensemble des contrats que la liberté contractuelle permet aux parties de conclure. En effet, si le droit romain pouvait se permettre d’énumérer les différents contrats susceptibles d’être conclus, appelés les contrats « nommés », aujourd’hui une telle énumération n’est plus possible « puisque leur nombre dépend de la volonté et de l’ingéniosité de l’homme » 371. Par conséquent, seuls certains contrats sont nominativement réglementés par les droits nationaux. Ce sont les contrats que certains auteurs présentent comme les « principaux contrats spéciaux »372.
L’exigence de sécurité juridique a effectivement commandé la réglementation de certains contrats présentés comme les plus importants, les plus fréquemment conclus, les contrats de la vie quotidienne. La doctrine française a l’habitude d’utiliser des classifications pour présenter le régime de ces nombreux contrats. La classification la plus utilisée est celle qui se fonde sur l’objet du contrat. C’est ainsi que sont soumis à une réglementation propre les contrats ayant pour objet de transférer la propriété d’un bien, au titre desquels figurent principalement le contrat de vente (article 1582 et suivants du Code civil), mais aussi l’échange (article 1702 et suivants). Font aussi l’objet d’une réglementation spécifique les contrats ayant pour objet d’emporter le transfert de jouissance d’un chose comme le contrat de bail (article 1709 et suivants) ou de prêt (1874 et suivants) ou encore de crédit-bail. Sont aussi réglementés les contrats portant sur des services, comme par exemple le contrat de mandat (articles 1984 et suivants), de dépôt (article 1915 et suivants) ou encore le contrat d’entreprise (article 1779 et suivants).

Des dispositions ultra spécialisées

Le caractère spécialisé du droit communautaire des contrats est aussi flagrant que son caractère lacunaire. L’intervention des autorités européennes porte sur des contrats que l’on peut qualifier de contrats « très spéciaux » 402 puisqu’il s’agit, le plus souvent, non pas des principaux contrats spéciaux faisant habituellement l’objet des dispositions nationales, mais de contrats longtemps ignorés par ces derniers. Par ailleurs, cette intervention revêt en elle-même un caractère spécial : à quelques exceptions près, les contrats visés sont rarement réglementés de façon générale mais sont le plus souvent abordés sous un angle spécifique. Quelquefois même aucun contrat n’est particulièrement visé et seules sont en cause des techniques contractuelles spécifiques, des clauses ou aspects déterminées desdits contrats. Il est donc possible d’affirmer qu’il s’agit donc d’un « droit très spécial » (I) « des contrats très spéciaux » (II).

UN DROIT DES CONTRATS « TRES SPECIAUX »

Ne font l’objet de textes spécifiques, au plan européen, que les contrats qui « intéressent » le marché communautaire. Or ces contrats ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui sont visés par les droits nationaux. Il s’agit en fait de la contrepartie logique à la non-intervention communautaire dans le domaine des contrats les plus usuels. Ces contrats « très spéciaux » sont d’une part des contrats de tourisme (A) et d’autre part des contrats commerciaux entre entreprises (B).

L’intervention communautaire en matière de contrats de « tourisme »

Les contrats dits « de tourisme », longtemps laissés à la liberté contractuelle, se trouvent aujourd’hui soumis à un formalisme de plus en plus strict 403. Considérant le secteur touristique comme un élément essentiel de l’achèvement du marché intérieur, le droit communautaire a joué un rôle important dans cette évolution en élaborant la réglementation applicable à deux types de contrats. Le droit communautaire, par le biais de la directive 90/314 404, a fait apparaître une nouvelle catégorie de contrat qui était inconnue pour certains États membres 405 dont l’Etat français : le contrat de voyages, vacances et circuits à forfait. En effet, alors que dans la pratique la conclusion de cette catégorie de contrats se développait, la législation française ne comportait aucune définition légale du contrat de voyage à forfait 406. En conséquence celui-ci était soumis aux règles du droit commun des contrats. Le contrat était aussi partiellement réglementé par un arrêté 407 qui englobait également l’ensemble des contrats conclus par les agences de voyages. En établissant une définition précise du contrat de voyage et vacances à forfait 408, la directive communautaire a donc contribué à la création d’un nouveau contrat nommé dans le droit français 409 et ce faisant a permis de trancher la controverse existant concernant la nature juridique de ce contrat 410.
Toujours parmi les contrats dits de « tourisme », un second contrat « très spécial » est réglementé par le droit communautaire. La directive 94/47 concernant « la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l’acquisition d’un droit d’utilisation à temps partiel de biens immobiliers » 411 régit le contrat d’utilisation à temps partiel d’un bien immobilier, plus connu sous le nom de multipropriété ou de timeshare. Ce contrat, défini par l’article 2 du texte comme un contrat par lequel est créé ou transféré un droit réel ou tout autre droit portant sur l’utilisation d’un ou de plusieurs biens immobiliers pendant une période déterminée ou déterminable de l’année, faisait l’objet de dispositions fort disparates dans les droits nationaux. Si c’est en raison de leur caractère éminemment transfrontière que le droit communautaire a renforcé le formalisme informatif et réglementé le contenu matériel de ces deux contrats issus de la pratique commerciale, il en va différemment pour la réglementation de ces autres contrats « très spéciaux » que constituent les contrats entre entreprises.

L’intervention communautaire en matière de contrats entre entreprises

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Sans compter les accords de concentration ou de fusion d’entreprises dont le principe même peut être mis en cause par les institutions communautaires, sur le fondement du règlement 4064/89 412, deux grandes catégories de contrats entre entreprises font l’objet de l’intervention communautaire : les contrats de distribution, c’est-à-dire ceux qui unissent un fournisseur et un ou plusieurs distributeurs, et les contrats de coopération entre entreprises, c’est-à-dire ceux conclus dans la filière de production. C’est par le biais de règlements d’exemption par catégories adoptés par la Commission européenne que ces contrats ont été placés sous l’emprise du droit communautaire. La tendance en cette matière a évolué : à l’hyper spécialisation de l’ancienne formule (1) est en train de se substituer une approche plus généraliste témoignant d’une volonté de simplification (2). L’intervention communautaire aura quand même révélé à la vie juridique des contrats ignorés des droits nationaux.

L’ultra spécialisation des règlements d’exemption « ancienne formule »

Les contrats de distribution sont des contrats par lesquels un fournisseur organise, sous son contrôle, la revente de ses produits par l’intermédiaire de distributeur indépendants spécialisés. Parmi ces contrats figure le contrat de distribution exclusive qui fait l’objet du règlement 1983/83 413, alors que le règlement 1984/83 concerne les accords d’achat européens, op. cit., n° 16. exclusif 414. C’est dans cette dernière catégorie que s’illustre probablement le mieux le caractère hyper spécialisé du droit communautaire des contrats. En raison des spécificités de leurs modes de distribution respectifs, certains produits font l’objet de dispositions particulières du règlement 1984/83 : il s’agit, d’une part, de la bière et de certaines autres boissons et, d’autre part, des hydrocarbures. Le texte prévoit donc des règles adaptées à l’intention de deux types d’accords très spéciaux qui entrent dans la catégorie des contrats d’assistance et de fourniture : les accords de fourniture de bière et les accords dits de « stations-services ». L’accord de fourniture de bière est défini comme celui par lequel un distributeur est tenu à n’acheter à son fournisseur, dans le but de la revente dans un débit de boissons, certaines bières ou certaines boissons spécifiques en contrepartie d’avantages économiques ou financiers 415. Une définition équivalente est donnée pour les accords portant sur certains carburants pour véhicules à moteur à base de produits pétroliers et autres combustibles à base de produits pétroliers 416. Ces deux types d’accords se voient reconnaître une certaine spécificité par le biais du droit communautaire alors que les droits nationaux ne leur réservaient ni une définition ni un régime particulier 417.

L’effort de simplification de la « nouvelle approche » du droit communautaire de la concurrence

La politique communautaire en matière de concurrence, et plus précisément en matière d’exemption par catégories, a récemment subi des modifications significatives. Cette « nouvelle approche » conduit à une réelle simplification des règlements d’exemption par catégories, conduisant à relativiser le constat de spécialisation pouvant jusque-là être formulé.
A compter du 31 mai 2000, les règlements concernant les accords d’achat exclusif, de distribution exclusive, et de franchise ont cédé la place à un règlement unique concernant les « accords verticaux » 437. Ce règlement élimine donc la distinction qui existait jusqu’ici entre les différents types de contrats de distribution, et fait même l’impasse sur le sort particulier qui était réservé aux accords dits de « bière » et de « stations-services » qui se verront appliquer le droit commun de la distribution. Aujourd’hui donc, seul le secteur de la distribution automobile garde sa spécificité. Pourtant, le règlement 1475/95 venant à expiration en septembre 2002, il était légitime de se demander si cette spécificité automobile n’allait pas elle non plus voir ses jours comptés 438. Des voix se sont élevées pour qu’à cette date, la distribution automobile tombe sous le coup des dispositions générales applicables aux autres accords de distribution 439. Pourtant, estimant qu’une telle solution ne permettrait pas d’améliorer la concurrence au profit des consommateurs, la Commission européenne a présenté le 5 février 2002 un projet de réforme du règlement 1475/95. Le remodelage des exemptions par catégories en matière d’accords horizontaux, laisse par ailleurs subsister des règles propres aux accords de spécialisation 440 et de recherche et développement 441. S’il est impossible pour l’heure de prédire l’influence de ce changement de cap sur l’avenir du droit communautaire des contrats entre entreprises, il importe de souligner l’effort de simplification et de généralisation fourni par les autorités communautaires afin de répondre aux nombreuses critiques qui lui étaient adressées concernant l’extrême spécialisation de son intervention en ce domaine 442.

Un droit « très spécial » des contrats

A côté de cette forme de spécialisation consistant à limiter l’intervention communautaire à certains contrats qui posent problèmes au regard du fonctionnement du marché commun, il existe une autre forme de spécialisation communautaire en matière contractuelle. Sans réglementer directement un type de contrat, le législateur communautaire est intervenu par le biais de la réglementation des modalités de négociation et de conclusion des contrats (A) des clauses contractuelles (B) ainsi que de l’exercice de certaines professions (C).

La réglementation des techniques contractuelles

C’est ainsi que, sans viser un type de contrat déterminé, certaines directives à caractère horizontal sont destinées à couvrir un grand nombre de situations. Il s’agit essentiellement de celles déjà citées concernant les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux ainsi que de la directive relative aux contrats conclus à distance. La directive 85/577 concernant les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux 443, couvre les situations dans lesquelles le contrat conclu lors d’une visite du commerçant chez le consommateur ou son lieu de travail, ou encore chez un autre consommateur, mais aussi lors d’une excursion organisée par le commerçant. La directive 97/7 concernant les contrats conclus à distance 444 s’applique, quant à elle, lorsque le contrat est conclu par le biais d’une ou plusieurs techniques de communication à distance. Les textes renforcent le formalisme informatif, prévoient un droit de rétractation au profit du contractant-consommateur et pour ce qui est des contrats à distance un délai d’exécution est même imposé au fournisseur. Avec une approche encore plus spécialisée, le Parlement européen et le Conseil ont établi une proposition de directive 445 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs 446. Cette directive qui modifierait les directives sur les contrats à distance et sur le crédit à la consommation, devrait couvrir tous les contrats portant sur des services financiers négociés par toute technique qui n’exige pas la présence physique et simultanée des deux parties. Compte tenu des risques particulièrement élevés que recèle ce type de contrats pour les intérêts du consommateur 447, sont prévus une obligation d’information pré-contractuelle ainsi qu’un droit de rétractation allant de 14 à 30 jours au profit du consommateur. Ce texte n’a, à ce jour, toujours pas été adopté 448.
Certains textes ont le même esprit ; ils concernent des techniques particulières de conclusion des contrats mais ne touchent que partiellement au droit des contrats, c’est le cas de la directive 2000/31 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique 449 et de la directive 1999/93 sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques 450. Partant de l’idée que la conclusion de transactions par la voie électronique constitue un des phénomènes majeurs pour le commerce communautaire actuel, et que les disparités entre les législations nationales en vigueur risquent d’entraver le développement de cette nouvelle modalité de conclusion des contrats, le législateur a adopté deux directives ultra-spécialisées.

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