L’interroge sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger aujourd’hui

L’interroge sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger aujourd’hui

Interroger la notion de rayonnement culturel : définition et délimitation 

De l’identité au rayonnement

Les fondements de la réflexion développée dans cette partie s’appuient sur le postulat suivant : la culture se définit comme une série de représentations communes à un groupe d’individus, non pas tant pour que ces derniers s’y conforment que pour qu’ils puissent s’en servir comme point de repère : partager une langue, une histoire, des traditions et des codes sociaux communs qui facilitent leur 5 Barthet, Elisabeth. Internautes et intellectuels s’insurgent contre « la mort de la culture française ». Le Monde. [en ligne].  . C’est la première étape de la construction d’une identité culturelle. Celle-ci nous permet de nous orienter dans le monde, elle comble le besoin fondamental d’appartenir à un groupe, de se sentir rattaché à un tout. Mais appartenir à un tout, pourquoi ? N’est-ce pas pour pouvoir se « différencier » des autres ? C’est en fait par autrui que s’appréhende l’identité. En comparant l’ensemble de nos caractéristiques collectives respectives, la conscience de la différence émerge et, par là même, dans l’altérité, la conscience identitaire7 . L’autre est à la fois objet de curiosité et de répugnance. De curiosité, car l’éventualité d’un mode de vie différent, tant qu’on ne l’a pas observé de près, est inimaginable, à l’exemple du « Comment peut-on être Persan ? » de Montesquieu (Les Lettres persanes, 1721, lettre XXX) qui se scandalise à l’idée que l’on puisse être différent de soi, ne pas obéir aux mêmes rituels, codes et traditions qui font le ciment de l’identité collective. De répugnance, car l’identité d’autrui constitue une vague menace pour la nôtre, susceptible de l’effacer. C’est de ce sentiment de menace que naît une posture auto protectrice, qui consiste à tenir l’identité propre comme seul référent intrinsèquement valable et à caricaturer l’autre par comparaison, attitude dont les fruits ne sont autres que les clichés et les stéréotypes. Ces derniers, cependant, s’ils sont certes réducteurs, sont nécessaires : première étape du processus d’acceptation de l’autre, il apporte bien des clefs de compréhension pour décrypter ses comportements, comprendre ses réactions, discerner ses peurs et ses désirs. Ces éléments sont un atout clef de la communication des instituts culturels à l’étranger : jouant sur les représentations mentales de la culture cible à propos de la culture source, ils décuplent les symboles et s’en servent pour véhiculer de nouvelles idées. Ainsi l’identité culturelle arbore-t-elle au moins deux facettes : d’une part, mon identité de groupe telle que je la perçois en tant que membre dudit groupe, dans toute la richesse de ses codes et de ses valeurs, portés par les interactions sociales, et d’autre part mon identité telle qu’elle est perçue par les autres. Les deux visions s’enrichissent mutuellement : la mienne, en ce que, de par mon histoire personnelle, je l’alimente et la fait constamment évoluer, et celle de l’autre, qui analyse les codes les plus visibles pour lui et cristallise mes valeurs et mes traditions jusqu’à les ériger au rang d’imaginaires sociaux. Plus ces imaginaires sont forts, marquants, attractifs, plus ma culture est-elle susceptible d’être « comprise », au sens étymologique du terme, autrement dit « absorbée » par les autres .

Limites du concept de rayonnement culturel

Sur le site officiel du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, on trouve actuellement 162 résultats pour le mot « rayonnement », et jusqu’à 408 résultats pour les mots « rayonnement culturel »11, tous articles confondus. Ceci révèle la grande importance que revêt la collocation, consacrée depuis plusieurs décennies et omniprésente dans le jargon politique et diplomatique. Mais depuis quand existe-t-elle exactement et que révèle-t-elle en soi de l’appréhension de la culture française par les Français et leur gouvernement ? Selon le CNRTL (2012), portail de ressources linguistiques en ligne, l’une des nombreuses acceptions du terme « rayonnement » est la suivante : « Influence qui se propage à partir d’une source intellectuelle ou morale dont le prestige exerce une grande attraction et par métonymie, cette source elle-même. Rayonnement d’une civilisation, d’une doctrine, d’une œuvre. « Tous, catholiques, protestants, etc., contribuent à ce rayonnement de la France que l’univers proclame » (Barrès, Cahiers, t. 11, 1916, p. 202) ».  Le recours à ce terme dans le sens métaphorique du déploiement d’une puissance, et non plus dans le sens physique d’un processus énergétique, apparaît cependant bien avant 1916, à savoir dès la fin du XIXe siècle. Selon Benjamin Pelletier, spécialiste des relations interculturelles, la rhétorique du rayonnement culturel trouve en effet ses racines dans le contexte d’une époque obnubilée par l’occupation, puis la colonisation de l’Afrique, et dont le point d’orgue n’est autre que la conférence de Berlin : du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, quatorze puissances européennes, dont l’empire allemand de Bismarck, la République française de Jules Grévy ou encore le Royaume de Belgique de Léopold Ier délibèrent le partage de l’Afrique. La France, porteuse des lumières du savoir, la France des années 1880 est un pays solaire à la mission civilisatrice. Centre du monde qui irradie, « phare rayonnant qui éclaire le monde »13, le pays ne doute pas de son pouvoir et de son empire sur les autres. De fait, c’est à cette époque qu’il déploie différentes tactiques pour diffuser sa culture. L’Association nationale pour la propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger est ainsi créée en 1883, avant de devenir le réseau « Alliance française » en 1886 et d’être reconnu d’utilité publique. La langue française est officiellement le premier outil d’influence à l’étranger. Une seconde entreprise, cruciale et d’autant plus délicate, consiste à convaincre le peuple français lui-même de sa propre gloire, et du bien-fondé de sa mission de civilisation. Pour cela, il est nécessaire de l’impliquer dans le rapport aux peuples noirs. L’Exposition Universelle de 1889 à Paris est le premier événement d’envergure à remplir cette fonction : parmi les nombreux pavillons chapeautés par la manifestation, on compte un « village noir » qui accueille près de 400 indigènes. Ceux-ci reproduisent théâtralement des scènes typiques de leur vie quotidienne sous les yeux parfois choqués, parfois méprisants mais toujours curieux des visiteurs européens 15. Ces mises en scène se reproduisent régulièrement au cours des années suivantes, en 1894 à Lyon, en 1906 à Marseille, et pour la dernière fois en 1931, de nouveau dans la ville Lumière. L’Autre devient un phénomène de foire, un objet exotique dont l’incompréhensible extravagance, caractérisée par sa sauvagerie, son ignorance des codes de la civilisation européenne et son impossibilité de communiquer dans la langue du pays d’accueil, ne peut que mettre en lumière, par contraste, la supériorité de la France et, de manière indirecte, celle des Français.

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Culture française en crise interne

Les artistes, fonctionnaires sous perfusion étatique ?

Fruit d’un long débat entre les sphères politique et intellectuelle françaises, la politique culturelle publique de la France est longtemps restée sans exemple au sein de l’Union européenne. Si aujourd’hui, de nombreuses démocraties libérales européennes traitent la question de la culture et des industries culturelles 17 comme une priorité de leur agenda, la lutte pour la légitimité d’une « démocratisation de la culture » a cours depuis la fin des années quarante en France. À la création sans précédent d’un Ministère des Affaires culturelles en 1959, qui marque l’institutionnalisation d’un projet impulsé notamment par le général de Gaulle et confié à André Malraux, le soutien de l’Etat aux artistes et à l’ensemble des industries culturelles se met en place. Un décret daté du 24 juillet 1959 énonce que « le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent »18. L’État devient garant d’une nouvelle forme de liberté, aquelle ne passe plus uniquement par le savoir – que permet la scolarisation obligatoire et gratuite pour tous, héritage de Jules Ferry – mais également par l’accès à la culture. Toutefois, la culture célébrée par la politique malrucienne et celle de ses successeurs demeure élitiste, laissant en marge des expressions culturelles jugées mineures, telles que le jazz ou la mode. Le passage de la gauche au pouvoir avec l’élection de François Mitterrand en 1981 marque un tournant décisif de la politique protectionniste française, jusqu’à devenir aujourd’hui une forme de tradition19 . Le double mandat de Jack Lang au Ministère de la Culture, de mai 1981 à mars 1986 puis de mai 1988 à mars 1993, rend en effet en plus étroites les relations entre Etat et culture. Sous sa direction, le budget est doublé : pour la première fois, la dimension économique de la culture est publiquement assumée. Le ministère connaît de grandes mutations : création de nouvelles manifestations culturelles telles que la Fête de la Musique en 1982, rénovation de nombreuses institutions culturelles (Conservatoire supérieurs nationaux de Paris et de Lyon, L’École du Louvre…), prix unique du livre et plus tard TVA à 5,5% sur les biens culturels.

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