« Le droit progresse dans la mesure où il réalise plus certainement son objet. »
George Ripert .
L’ère des intermédiaires. Avant l’émergence des communications électroniques, celui qui transmettait une information courait toujours le risque d’en être blâmé. «Personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles ». Certains l’ont payé de leur vie ! L’internet a donné au messager de l’époque moderne les traits de l’intermédiaire technique. La tentation de le charger du poids des dommages qu’il véhicule est toujours présente, mais les libertés dont il est le vecteur semblent aujourd’hui interdire de tuer le messager.
Ceux qui ont eu à souffrir de l’apparition de l’internet ne se sont pourtant pas résolus à la fatalité . Les nombreuses actions en justice qu’ils ont initiées ont placé la responsabilité civile au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler le droit de l’internet. Dans les contentieux les mettant aux prises avec les intermédiaires techniques, ils se sont souvent heurtés aux impératifs tenant à la liberté de communication. Cette liberté que l’internet a exaltée est l’objet de toutes les attentions. Le concept de neutralité du net a été formulé dans le but d’en garantir la pérennité. Ce « mythe fondateur » du réseau est devenu, en peu de temps, un véritable concept émergent en droit . La responsabilité a été largement éludée par les travaux qu’il a inspirés. Or, il est bien connu que « liberté et responsabilité sont deux concepts complémentaires et indissociables » . La responsabilité ne peut être oubliée par un concept qui se présente comme une garantie de liberté. D’autant que la responsabilité civile a su appréhender le réseau et ses usages bien avant que quiconque entende parler de neutralité du net. L’émergence de ce nouveau concept impose donc une conciliation.
La marque du temps sur la responsabilité civile. Le droit français de la responsabilité civile a su, par le passé, répondre aux « métamorphoses d’une civilisation » . À la société individualiste et libérale du XIXe siècle a succédé une société industrielle que la responsabilité civile n’a pu appréhender que par une profonde évolution de ses fondements . Celle-ci anime encore aujourd’hui la matière à sa base. Si les textes de droit commun ont permis au juge de trouver les moyens d’une politique centrée sur l’indemnisation des victimes, le législateur a largement participé au nouvel édifice en créant de nombreux régimes spéciaux poursuivant ce même objectif. L’adaptation a cependant eu un coût. Elle s’est effectuée au prix d’un déclin, d’une « dilution du concept » ou d’un émiettement . L’époque contemporaine invite à de nouvelles évolutions radicales afin que la responsabilité sache prévenir des risques systémiques pour la santé humaine et l’environnement.
Dans ce contexte instable, la responsabilité civile a dû se saisir, à la fin des années 1990, de l’internet. Alors que la matière portait déjà les marques d’une longue confrontation aux faits, elle devait, une nouvelle fois, faire preuve de sa capacité à appréhender les évolutions sociales et techniques. Des questions inédites allaient être soulevées par un mode de communication universel et mondialisé.
L’appréhension trop réussie de l’internet. L’internet a été un laboratoire permettant de tester la persistance de l’adaptabilité et de la généralité de la matière. Le contentieux s’est agrégé autour de la responsabilité civile des intermédiaires techniques. Ces acteurs qui, au cœur du réseau, sont les vecteurs de tous les dommages causés par l’internet. Bien loin de valider la crainte instruite du passé d’une nouvelle déformation des concepts originaux, l’internet leur a redonné une certaine verdeur.
Cela ne s’est pas fait sans à-coups et régressions. Alors que l’apparition d’un nouveau support aurait dû rendre son empire au droit commun et que le vide juridique aurait dû apparaître chimérique , l’application aux intermédiaires techniques d’un droit commun devenu évanescent a suscité avant tout des inquiétudes et des appels à la loi. De fait, c’est l’une des particularités de la loi en ce domaine que d’avoir limité le pouvoir créateur des juges afin de garantir un degré de liberté suffisant aux acteurs d’un secteur économique. Il est vrai que l’« antagonisme du législateur et de la jurisprudence est un phénomène inévitable de la formation du droit » . Il met ici en lumière que la responsabilité civile de droit commun a atteint un tel degré de flexibilité qu’un doute s’est porté sur sa capacité à assurer un niveau de sécurité juridique suffisant, particulièrement lorsqu’elle conquiert de nouveaux territoires.
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