L’insuffisance du dispositif prudentiel face à la nature des crises

L’insuffisance du dispositif prudentiel face à la nature des crises

A travers une analyse descriptive des mécanismes à l’œuvre avant et pendant les crises d’illiquidité, voire d’insolvabilité bancaire, les développements contenus dans ce chapitre s’appuient sur des travaux empiriques et théoriques pour mettre en avant certaines insuffisances liées au Système monétaire et financier international, auxquelles un PIDR est susceptible de répondre. L’objectif de ce premier chapitre est donc double. Il s’agit, d’une part, d’exposer les mécanismes à l’œuvre pendant les crises, d’autre part, de justifier l’orientation suivie dans les chapitres suivants, en particulier, la confrontation des bénéfices du PIDR et des externalités liées à son action, voire à sa seule existence, notamment appréhendées sous l’angle du risque d’aléa moral.

La nature et les manifestations du risque en question

Le risque d’illiquidité bancaire est à la base des phénomènes de run, voire de panique (Brunnermeier, 2001)3 : la perte de confiance qui précipite les retraits massifs peut être formalisée comme la réponse à une tâche solaire, c’est-à-dire un signal qui influence les croyances des déposants alors même qu’il ne véhicule pas d’information sur la banque ou l’économie dans laquelle elle opère (Diamond & Dybvig, 1983). La perte de confiance généralisée répond, ici, à la crainte d’une perte de confiance généralisée, elle-même provoquée par des premiers retraits liés à des chocs de liquidité affectant certains déposants. Ce comportement s’explique par la contrainte de service séquentiel : le caractère fractionnaire des réserves liquides induit que tous les déposants ne seront pas remboursés, s’ils sont trop pouvant de nouveau concerner tout un système bancaire : si cet endettement est jugé insoutenable, il est rationnel de retirer au plus vite ses avoirs. Cette soutenabilité est évaluée au regard de l’actif bancaire, assujetti au risque de crédit (risque de défaut), au risque de taux, et au risque de marché (ainsi qu’à un risque opérationnel5). A nouveau, des doutes sur la qualité des actifs détenus amènent les déposants à retirer leurs avoirs avant que la valeur nette des banques ne devienne négative, sachant qu’elles commencent par se débarrasser des actifs de bonne qualité (Mojon, 1994). Dans ce cas, l’hypothèse de détention d’actifs de mauvaise qualité est confirmée, alors qu’il peut simplement s’agir de pertes liées à leur nature illiquide (distress sales amplifiant la préférence pour la liquidité des agents [Cifuentes & al., 2005] tout en réduisant la liquidité disponible pour les banques saines susceptibles de se porter contrepartie [Acharya & Yorulmazer, 2007b]).

L’expérience des systèmes financiers ne bénéficiant pas d’un PDR crédible (ni d’assurance des dépôts), montre cependant que le simple doute sur la liquidité ou la solvabilité bancaire est déstabilisant, voire paralysant (Mojon, op. cit.). A contrario, « l’accès privilégié à la liquidité ultime fournie par les banques centrales, c’est à dire la couverture du [PDR] a pour contrepartie l’imposition aux banques membres des systèmes de règlement d’un ensemble de règles prudentielles de limitation des risques de paiements. Celui-ci comprend des limites bilatérales de découverts entre banques, des limites de déficits nets à l’égard de la chambre de compensation, des accords de partages des pertes entre les banques membres en cas de défaut de l’une d’elles et/ou des réserves obligatoires » (Scialom, 2002, p.4).

La procyclicité du système financier, liée à l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs, est intrinsèque, et à la base du mécanisme d’accélérateur financier (Lowe, 2002). En période de boom (Mishkin, 1991), les banques sont moins attentives à la réputation des emprunteurs et à la qualité de leurs collatéraux, dans le cadre de leur activité de crédit (Jiménez & Saurina, 2006). En terme de réglementation, le provisionnement statique, qui mène à enregistrer les pertes en phase descendante du cycle, pèse sur la position en capital, donc sur l’offre de crédit, puis l’investissement (dès lors qu’une augmentation de capital est devenue trop risquée ; Mishkin, 1999b), renforçant la procyclicité du crédit (Levieuge, 2005), et fragilisant les systèmes bancaires.

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Avec l’internationalisation des marchés de capitaux et des activités bancaires, le fractionnement monétaire (Boyer & al., op. cit., 198-9) caractéristique de désajustements d’échéances couplés au différentiel de devises entre actif et passif (Choi & Cook, 2004), eu égard à la très courte maturité des prêts (Valev, 2002), place la défense des réserves de change au cœur du problème des crises bancaires internationales (plus encore dans un futur proche ; Dockès, 2007), et, surtout, interdit toute simplification hâtive avec les crises de liquidité cantonnées aux territoires nationaux ou intégrés sur le plan monétaire. Eichengreen & Hausmann (1999) désignent cette conjonction, caractéristique des pays émergents des années 1980-1990, sous le terme de péché originel (lié à un déficit d’épargne, comme en Amérique latine, ou au sous-développement des infrastructures financières locales en Asie).

L’impact de la libéralisation sur le risque de crise

Il y a plusieurs degrés d’ouverture du compte de capital ; les restrictions peuvent concerner l’entrée de capitaux, ou la sortie de l’épargne nationale, les Investissements Directs à l’Etranger (qui favorisent la croissance, l’emploi, et les transferts de technologie, donc les gains de productivité [Blalock & Gertler, 2008], tout en induisant un risque de change faible), les investissements de portefeuille et les prêts bancaires. Les Institutions financières internationales préconisent aujourd’hui une progressivité dans l’ouverture, fonction de l’autonomie de la politique monétaire, de la flexibilité du régime de change, et de la modernisation du secteur financier (Saxena, 2008). Ainsi, la Malaisie vient seulement de lever les contrôles instaurés suite à la crise de 1998. croissance que permettent les afflux de liquidité, grâce aux opportunités d’investissement, affecte progressivement la perception des risques, de sorte que même un système bancaire initialement sain – robuste – s’expose rapidement à des risques excessifs, en liaison avec les impératifs de rentabilité bancaire dans l’environnement nouveau de la concurrence internationale : « One difficult problem is that much of the dubious financial-market behaviour that chronically emerges during the expansion phase is the result not of ignorance of badly underpriced risk, but of the concern that unless firms participate in a current euphoria, they will irretrievably lose market share » (Greenspan, 2008).

Un processus de montée des risques s’engage d’autant plus rapidement qu’une libéralisation du compte de capital commence par rassurer largement les investisseurs internationaux, qui exportent leurs capitaux, avant de contracter leur offre (effondrement du marché de la dette bancaire), dès lors qu’ils obtiennent des informations plus précises quant à la réalité des fondamentaux microéconomiques des pays récipiendaires. Ce schéma, mis en évidence par Giannetti (2007), montre que des faillites bancaires peuvent s’expliquer directement par la libéralisation, sans qu’une distinction entre facteur push et pull ne puisse être clairement établie. Le risque de crise apparaît alors très élevé au terme du premier cycle d’expansion qui suit l’ouverture du compte de capital, a fortiori si un sous-développement relatif des marchés financiers a limité les possibilités pour les banques de se lecture de ces garanties peut engendrer des mécanismes de sélection adverse12 porteurs d’instabilité (régionale ou internationale), favorisés par la présence de banques multinationales (Calzolari & Loranth, 2005), voire par une faille dans le système des paiements (Northcott, 2002).

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