L’innovation, approche théorique et exemples de pratiques

L’innovation, approche théorique et exemples de pratiques

Le choix du cadre méthodologique répond en grande partie aux impératifs de la grounded theory : il est issu du terrain et a été déterminé à la suite de premiers entretiens exploratoires. Plusieurs arguments ont motivé ce choix. D’une part, la familiarité de cette notion d’innovation chez les acteurs interrogés. Qu’il s’agisse des scientifiques ou des opérationnels des services, elle est facilement maniée, les seconds se montrant relativement sensibles aux discours sur l’innovation développée par les métropoles prises dans la compétition urbaine. Notre ambition visait à donner consistance et cohérence à cette notion spontanément utilisée par les acteurs eux- mêmes. D’autre part, l’ouverture et la plasticité de cette notion permet de saisir des changements de nature autant technique que sociale et organisationnelle, donc d’appréhender l’ensemble des évolutions observées. Enfin la référence à l’innovation permet de spécifier le changement. L’innovation vient en effet sanctionner une transformation de la norme, particulièrement intéressante pour saisir les transformations de l’action publique.L’ensemble des acteurs a été très réceptif à la notion d’innovation. Cette dernière est  spontanément employée par les scientifiques : « l’innovation », dans l’imaginaire collectif, est associée au monde des chercheurs, a fortiori lorsque, comme c’est le cas pour l’hydrologie urbaine, on vise une forme d’utilité sociale des travaux produits. L’innovation est intrinsèquement liée aux normes professionnelles des chercheurs en sciences appliquées, qui doivent justifier en partie leur recherche par leur opérationnalité. Ce mot est donc évocateur pour la plupart d’entre eux. notion, popularisée dernièrement par les pratiques de marketing territorial. Les sites Internet des collectivités reflètent combien la notion « d’innovation » s’est imposée pour promouvoir l’identité des métropoles, qu’il s’agisse d’innovation institutionnelle (réorganiser les services), d’innovation technologique (des méthodes de traitement novatrices dans une station d’épuration), ou encore d’innovation culturelle (les actions en faveur du « développement durable »). Il nous semblait pertinent de partir de cette notion, appropriable et appropriée par tous, familière aux deux catégories d’acteurs (chercheurs comme opérationnels) pour appréhender les transactions entre les deux groupes et la plus value apportée par cette expertise inédite, placée sous notre regard. Le caractère positif et valorisant de cette notion a aussi favorisé les échanges et les discussions lors des entretiens. Si ce mot parle à chacun, il faut noter que sa pertinence dans le cadre de notre objet de recherche a parfois été discutée. Certains l’ont trouvé trop ambitieux pour qualifier des changements jugés plus modestes. L’ensemble des acteurs s’est pourtant efforcé de réfléchir à partir de cette notion, de lui faire correspondre une situation ou un exemple, ce qui a favorisé la diversité des définitions proposées.

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Derrière les discours, un énoncé à plusieurs facettes

Les représentations de l’innovation peuvent aussi être perçues comme des indices du changement ayant affecté l’action publique ces trente dernières années. De fait, l’innovation évoquée par une première génération de praticiens (celle des années 1980) distingue des formes d’innovation décrites par les opérationnels en poste aujourd’hui. Cette différence est particulièrement significative dans le cas de la Seine-Saint-Denis, considérée comme le haut lieu de l’innovation dans la gestion des eaux pluviales sur la période 1970 – 1980. Lorsque l’on interroge cette génération pionnière, les agents en place à cette période inscrivent l’innovation dans la lignée du progrès technique : les mots « invention », « découverte », « progrès social » habitent leur discours. La Seine- Saint-Denis était alors administrée par des élus communistes, la politique d’assainissement ambitieuse mise en place était une façon d’inscrire la politique du Département dans l’idéal de progrès social : développement technologique, politique égalitaire et amélioration de la qualité de vie allaient de paire, et structuraient le discours des élus et de leurs services. (Rioust et al., 2012).

Notre approche de l’innovation, largement inspirée par les travaux de N. Alter (Alter, 2000) et détaillée dans la section suivante, place au centre le processus d’institutionnalisation d’une nouvelle norme venant supplanter l’ancienne. Nous parlons ici de norme sociale, au sens de comportement légitimé par un groupe social (ici, dans un cadre professionnel). Il y a « innovation » lorsque cette substitution a lieu, même si ce remplacement n’est que provisoire et que les processus qui travaillent la réalité sociale et ses règles sont continus. Cette façon de « sanctionner » le changement nous paraît particulièrement intéressante dans la mesure où elle permet de le repérer et de l’expliciter. Alors que les théories du changement, la plupart du temps, ne désignent pas conceptuellement d’épreuve permettant de repérer un « avant » et un « après », l’innovation telle qu’appréhendée par N. Alter suggère une transformation repérable : le passage d’une pratique marginale, initiée par des acteurs prenant leurs distances par rapport à la doctrine du moment, en une pratique consensuelle appliquée à terme par le plus grand nombre. Cette vision des choses permet de préciser les modalités du changement, son ampleur, son enracinement. Le rapport à la règle dominante permet de discriminer entre une simple perturbation dans le système (perturbation qui lui reste périphérique et l’affecte peu), un changement en cours sur le point de prendre de l’ampleur (phase de substitution d’une norme par une autre), une nouveauté plus si nouvelle que ça puisque pleinement rentrée dans les mœurs, etc.

 

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