L’ingénierie publique locale, essai de définition et état des lieux
L’expression, récente d’« ingénierie publique locale », utilisée pour la première fois dans les années 2000 lors d’un comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, recouvre pourtant une réalité quant à elle bien ancienne. Si certains de nos interviewés remontent jusqu’aux rôles tenus sous la IIIème République par les figures du médecin, du curé et de l’instituteur pour décrire les premières formes de protoingénierie, il serait même possible de remonter à la création du corps des Ponts et Chaussées en 1716 pour « dater » formellement la naissance de l’ingénierie. Le terme, issu de l’ancien français engigneor6, a toujours relevé de la maîtrise d’un savoir, d’une expertise, souvent rare, et donc reconnue, développée pour compte propre ou pour le compte de tiers. Cette expertise a pris de multiples formes au cours de son histoire, selon la nature du lien que les collectivités locales entretenaient avec l’Etat central et le degré de complexité de la problématique à traiter. En se gardant de figer de manière trop rigide toute borne chronologique, il est néanmoins possible de dégager plusieurs périodes dans l’histoire de l’ingénierie publique locale, témoins du camaïeu de pratiques politiques allant du jacobinisme à l’aboutissement de la décentralisation. Cette lente structuration de l’ingénierie publique locale a été marquée par le retrait lent, mais continu, de l’Etat sur ses territoires. De l’Etataménageur dans les années 60, qui, par le « génie » de ses grands corps d’Etat et de la DATAR intervenait directement sur les territoires pour structurer leurs réseaux ou leurs grands équipements, à l’actuel retrait des derniers services d’ingénierie stratégique et technique à disposition des collectivités, ce retrait est manifeste.
Comme en témoigne l’aménagement de la Région IledeFrance avec la construction des villes nouvelles, tant que l’Etat bénéficiait de la surface institutionnelle et financière suffisante pour intervenir directement « à la place » des collectivités sur leur propre territoire il cherchait à développer avant tout ses propres ressources d’ingénierie (Corps des Ponts et Chaussées, Corps des Mines, etc.). Les lois de décentralisation successives et le renforcement d’acteurs locaux ont affaibli ce modèle d’intervention directe de l’Etat, à l’exception toutefois notable des Opérations d’Intérêt National (OIN). Comme nous l’avons déjà développé, le contexte législatif et institutionnel a contribué à l’émancipation – sous contraintes et donc sous une forme de tutelle – des collectivités locales, peu à peu montées en responsabilité. Cependant, cette autonomisation forcée ne s’est pas réalisée sans quelques dysfonctionnements liés à l’apprentissage des réalités de la gestion locale. La « gabegie » financière des collectivités locales, souvent critiquée pour leurs projets dispendieux et inutiles ou le financement de projets sans contreparties, s’est également retrouvée dans la constitution de leurs outils et satellites, parfois concurrents d’un échelon à l’autre. Le paysage actuel des acteurs de l’ingénierie en est d’ailleurs directement hérité. Complexe, foisonnant, il n’a d’égal que l’absence de cohérence de l’ensemble. Aujourd’hui, notamment sous la pression budgétaire, une nouvelle période de l’ingénierie publique locale est en passe de s’ouvrir7, et c’est pour cellelà qu’il nous semble urgent d’agir.
Les travaux de recherche pour ou sur l’ingénierie publique locale, bien qu’élusifs sur les contours de cette notion, la réduisent souvent au seul champ du développement économique ou de l’urbanisme (au travers de l’ATESAT). Pourtant, son objet est technique et vaste, sa réalité protéiforme. Selon que l’on s’intéresse aux compétences qu’elle requiert, aux instruments qu’elle mobilise, aux institutions auxquelles elle se rattache ou aux domaines qu’elle recouvre, l’ingénierie territoriale se voit attribuer un large éventail de définitions différentes. Toutes s’accordent cependant sur le fait que la notion recouvre tant l’expertise nécessaire en amont des projets pour les études préalables, la conception que la réalisation ou l’assistance à réalisation des projets qu’enfin les études d’assistance en aval, l’exploitation ou la maintenance de ces projets. Dans le contexte juridique, institutionnel et financier actuel, l’ingénierie territoriale a un rapport étroit avec la gestion de la complexité de la sphère publique locale et, dans une logique prospective et transversale, avec le traitement de problèmes et besoins nouveaux (comme la recherche de financements). Il s’agit finalement de poser des « limites » pour distinguer ce qui relève de l’ingénierie de ce qui n’en relève pas, pour déterminer où se situe le niveau d’expertise suffisant pour compter parmi les acteurs de l’ingénierie publique locale. Pour prendre l’exemple des ressources humaines, nous estimons que la gestion de paie, bien que nécessitant une expertise propre, n’exige pas une compréhension complexe des collectivités locales et de leur environnement, contrairement à la réalisation d’une GPEEC. Nous développerons dans la suite de cette partie l’exemple de l’ingénierie des politiques touristiques pour illustrer notre approche.