L’information géographique dans les stratégies des coopérations internationales d’appui à la décentralisation

L’information géographique dans les stratégies des coopérations internationales d’appui à la décentralisation

Au début des années 1990, en Afrique de l’Ouest, le soutien au renforcement des autorités locales devient un nouvel axe majeur des actions des bailleurs de fonds avec un consensus quasi général. Pour les économistes néolibéraux, la décentralisation est envisagée comme un moyen de limiter le pouvoir concentré des États. Dans les régimes démocratiques, elle est considérée comme un moyen de gouvernement plus réactif aux besoins locaux et de prise de parole des populations sur les questions de gestion publique. Pour les leaders de régimes autoritaires, et sous des formes édulcorées, elle est utilisée comme un substitut de la démocratisation à l’échelle nationale [CROOK R. et MAJOR J., 1998]. Pour les États en crise, la décentralisation peut être recourue comme un moyen d’établissement ou de rétablissement de la paix sociale : « A primary objective of décentralization is to maintain political stability in the face of pressures for localizations » [Rapport de la Banque mondiale, 1999, page 107].

La décentralisation permettrait d’atténuer les velléités indépendantistes de certains régions, voire de renforcer l’unité nationale de pays fragilisés par une fragmentation ethnique ou religieuse importante. Économiquement et socialement, les appuis internationaux à la décentralisation sont justifiés par une meilleure efficacité de la distribution de l’aide publique au développement. Accorder plus de pouvoir à l’échelon local doit favoriser une plus grande transparence, une meilleure probité et efficacité des gouvernements en instituant « un contrôle de proximité par voie électorale et un projet de développement local tablant sur de nouveaux gisements de croissance » [DE MIRAS C. 2004 b, page 119]. Le choix de déléguer à des niveaux infranationaux la tâche de définir les problèmes et intérêts collectifs s’inscrit, aussi, dans l’espoir d’un accroissement de la « responsabilité » des opérateurs dans la gestion d’un « bien commun local » [DORIER-APPRILL E. et JAGLIN S. 2002 b – DUBRESSON A. et FAURE Y-A. 2005]. Pour plusieurs institutions financières internationales, et notamment la Banque mondiale, la décentralisation s’inscrit, également, comme un moyen de réduire la corruption des États présentée comme un « cancer pour le développement » [Discours de J. Wolfensohn, président de la Banque mondiale lors de la réunion annuelle de la Banque mondiale et du FMI d’octobre 1996]. Cependant, ces différents arguments en faveur de la décentralisation sous l’influence des thèses démocratiques et libérales sont largement « descendantes » et se situent chronologiquement en phase avec les politiques d’ajustement structurel qui visent à réduire le périmètre de l’État. Ces arguments sont impulsés par les bailleurs de fonds internationaux à des États endettés dont la marge de réaction est faible comme le souligne le directeur du Partenariat pour le Développement Municipal (PDM – Cf. description infra) lui-même dans plusieurs communications [table ronde « Coopérer avec les collectivités locales », Journée d’Étude AdP du vendredi 9 septembre 1994 – Référence Internet Journée d’Étude de l’AdP].

D’autre part, si nous pouvons douter de la réelle adhésion des États à ce concept de la décentralisation, nous pouvons également mettre en question les intérêts de ces même États à engager cette réforme. Pour M-F Lange « le processus de décentralisation est toujours affiché comme un facteur de démocratie et de prise de responsabilité par la communauté. Mais (la décentralisation et la gestion communautaire opèrent) de manière simultanée et cumulative aux dépens des populations ou des communautés les plus défavorisées : (…) elles apparaissent le plus souvent comme « imposée » par les institutions internationales (…) comme « suggérées » par les grande ONG et comme des réponses aux exigences de la globalisation (…) ou « déterminées » par l’adhésion à l’économie libérale. » [LANGE M-F. 2000, page 7]. Pour C. Nach Mback, il semble que les États africains aient bien souvent instrumentalisé la décentralisation pour d’une part obtenir la paix civile et d’autre part pour retrouver la confiance des bailleurs de fonds internationaux [NACH MBACK C., 2001]. En Afrique de l’Ouest, les politiques menées en faveur de la décentralisation ont, ainsi, donné lieu à de très nombreuses études critiques [JAGLIN S. et DUBRESSON A. 1993 – TOTTE M. DAHOU T. et BILLAZ R. dir. 2003, DUBRESSON A. et FAURE Y-A. 2005 – DE MIRAS C. dir. 2004 b – LE BRIS E. et PAULAIS T. 2007]. E. Le Bris et T. Paulais se demandent, par exemple, si la décentralisation n’a pas conduit en fait à une occultation du politique et à la négation du concept même d’espace public et si la décentralisation ne renforce pas le jeu de mécanismes clientélistes. En partant de ce contexte de promotion de la décentralisation, ce chapitre va s’intéresser à la situation particulière du Bénin où l’application des réformes, par rapport aux autres pays sahéliens, a été plus tardive [LE MEUR P-Y. 2006 a].

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En décembre 2002, date des premières élections municipales au Bénin, plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest avaient, pour comparaison, déjà derrière eux un mandat de plus de 5 ans (Burkina Faso 1995 et 2000, Sénégal 1996 et 2002, Mali 1999 – Figure 3). Ce retard dans l’application de la réforme a permis, par contre, par rapport à d’autres pays de la sous-région une meilleure préparation technique en amont opérée par les coopérations bilatérales européennes et, par cette approche, ce retard peut être appréhendé comme un point largement positif.

Les bailleurs de fonds, très nombreux au Bénin, ont pu anticiper certaines difficultés repérées dans les pays voisins qui ont déjà expérimenté le processus. Par rapport à la situation malienne, des retours d’expérience ont pu être pris sur les tensions et conflits en relation au choix des découpages de territoires communaux fondé sur des regroupements volontaires [LIMA S. 2003 et 2006]. On a pu, également, prendre le temps de mettre en place des outils de gestion et notamment des outils d’information géographique susceptible de favoriser la mobilisation de ressources propres pour les nouvelles communes. Nous allons analyser, au cours de ce chapitre 3, les initiatives menées qui visent à la fois à optimiser la gestion des nouvelles municipalités des grandes villes et particulièrement des agglomérations de Cotonou et Porto-Novo et à mobiliser les ressources locales pour leur donner des moyens de fonctionnement. En Afrique de l’Ouest, plusieurs initiatives ont été menées dans le but ou l’objectif de ces résultats sous la forme de construction de bases de données comme le programme Economie et Finances locales (ECOFILOC – Chapitre 3.1.1.b) coordonné par le Partenariat pour le Développement Municipal (PDM). Parmi ces initiatives, nous nous intéressons particulièrement au processus de mise en place des premiers registres fonciers urbains, variante locale des systèmes d’informations foncières (SIF), construits autour d’un traitement de l’information foncière et la publication de plans parcellaires. Il s’agit aussi d’outils au centre de nombreux travaux prospectifs au cours des années 1990 qui ont donné lieu à la publication de plusieurs études financées par des bailleurs de fonds

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