L’influence gidienne ou l’empreinte gidienne

Le Café de Gide, un titre ambigu

Dans notre analyse de la première de couverture (qui suivra après) nous avons, certes, été frappé par la non neutralité de l’illustration, mais nous ne restons pas, tout de même, indifférent au titre (écrit avec des caractères plus grands que ceux du nom de l’auteur). Pourquoi avons- nous d’abord abordé le titre ? Il est le premier indice qui va nous captiver, nous attirer vers lui, nous orienter un peu vers le contenu du livre même. Et comme le noterait Michel Butor, « On pourrait faire une étude méthodique des titres, parce que dans le titre il y a une micro-grammaire, et une micro-grammaire énormément grossie »45. Selon Vincent Jouve, « deux éléments jouent un rôle primordial dans le pacte de lecture romanesque : le titre et, lorsqu’elle est présente la préface »46. Mentionnons que les raisons, qui nous ont amené à faire une étude titrologique, résident dans le fait que le titre en lui-même est source de questionnement et de mystère.

S’agit-il du café de Gide(en tant que lieu spatial), ou faudra-t-il étudier sa charge sémantique ? Là, « il s’agit de considérer le titre comme topique du roman ou un commentaire de ce dernier »47. « Quand quelque chose qu’on a dit est dit un peu à contresens ou d’une façon déformée, est paradoxalement une preuve de richesse. Le contresens couvre, en quelque sorte, la richesse de ce qu’on a écrit : parce que, justement, c’est une retombée. C’est une retombée que vous n’aviez pas prévue »48. Notons à ce niveau que Butor, Jouve, Hoek ainsi que Barthes rejoignent la même idée, et donnent la même importance au titre du moment qu’il accomplit un rôle fondamentale, et que si son sens paraît ambigu ou déformé, il ne sera que preuve de richesse. Le titre, donc, ne nous laisse pas indifférent, il nous captive et nous accroche même dès le début et ce qui attire le plus notre attention, l’illustration qui ne reflète point un café. C’est celle d’une rue principale à Biskra, avec une construction sur le côté droit sur laquelle est inscrit « Royal », lieu mythique qui connut des gens de renom à l’époque où Biskra était le lieu de prédilection des peintres, des artistes et même des cinéastes. Mais qu’a d’énigmatique ce titre ? Est-ce pour annoncer le roman en lui-même ou doit-on s’attendre à découvrir un café où Gide animait des cercles littéraires ? Pourquoi, alors, Biskra?

Même après la lecture du roman, un ensemble de questions surgit et demande une minutieuse et profonde résolution. Car, lire un roman, dans le but de l’analyser, implique une lecture approfondie, « c’est donner à chacun la possibilité de s’engager, de proposer son hypothèse »49. C’est-à-dire être attentif à tous les éléments le constituant afin d’en dégager le sens, car tout texte est polysémique. Si l’on part à partir du titre comme étant source à nos réponses, nous nous permettons alors de partager le titre en deux mots essentiels : café et Gide. Le premier est un lieu spatial, alors que le second est le nom d’un homme de lettres. Déjà, nous nous retrouvons avec un espace (qu’est le lieu, un café) et un personnage (qu’est André Gide, une figure de proue des lettres françaises). S’agit-il d’une intrigue? Le titre de notre corpus possède une certaine charge sémantique, qui semble présenter une ambiguïté d’une part, et proposer une multitude d’interprétations d’une autre part. Si le titre « toujours équivoque et mystérieux, […] est ce signe par lequel le livre s’ouvre : la question romanesque se trouve dès lors posée, l’horizon de lecture désigné, la réponse promise »50, ce n’est que par l’acte de lecture et notre effort à déchiffrer le texte et le décoder que nous serons amené à lier cette première phrase du texte qu’est le titre à tout le texte lui-même.

Le titre est donc une « des balises, qui sollicitent immédiatement le lecteur, l’aident à se repérer et orientent, presque malgré lui, son activité de décodage », pour reprendre les propos d’Henri Mitterrand51. Le titre fonctionnera « comme embrayeur et modulateur de lecture », selon la définition donnée par Claude Duchet dans son étude sur la titrologie en 1973. Quelles sont, alors, les différentes interprétations qui nous sont venues à l’esprit? Premièrement, il s’agit du café de Gide ; Gide avait peut être un salon littéraire, dont il était le maître des lieux comme nous l’avons déjà souligné dans notre problématique. Deuxièmement, Gide fréquentait surement un café, où il animait des conférences littéraires et ainsi le café gagna son nom. Troisièmement, le titre peut véhiculer un sens implicite et il acquiert, alors, une dimension connotative. Là, il désignerait peut être, le cas fait de Gide ou le cas fait à Gide. Mais de quel cas s’agit-il ? Quatrièmement, si le roman aborde la topographie du Vieux Biskra, ce qui nous a amené à mettre en relief la manière avec laquelle est peinte la reine des Zibans et qui concerne l’écriture de cet espace dans notre corpus d’étude, l’auteur a eu l’idée d’utiliser un espace pivot (il s’agit du café) et un prétexte solide (Gide, l’homme de lettres).

L’influence gidienne ou l’empreinte gidienne ?

Écrivain influencé dont le roman est empreint de la trace gidienne, Hamid Grine eut-il connaissance de l’oeuvre d’André Gide ? Telle est la question initiale, qui nous hanta dès notre première lecture. La résolution à notre questionnement commença à prendre forme après les relectures de l’ouvrage et l’analyse minutieuse à laquelle nous procédâmes. Cette dernière nous permit d’avoir des lueurs sur l’effet gidien sur notre auteur. Gide parlait de la puissance de l’influence littéraire sur le processus créateur lui –même qui renforce l’originalité d’un écrivain. Dans son apologie de l’influence, Gide disait : « J’ai lu ce livre ; et après l’avoir lu je l’ai fermé ; je l’ai remis sur ce rayon de ma bibliothèque, – mais dans ce livre il y avait telle parole que je ne peux pas oublier. Elle est descendue en moi si avant, que je ne la distingue plus de moi-même […] Comment expliquer cette puissance ? Sa puissance vient de ceci qu’elle n’a fait que me révéler quelque partie de moi inconnue à moi-même … »58. Si pour Gide, cette parole qui le hante après avoir remis le livre sur le rayon de la bibliothèque, crée non seulement en lui une puissance mais lui fait découvrir une partie de lui-même ; cette puissance créatrice fera la raison même d’être de l’oeuvre. Abdelwahab Meddeb dit : « […] le plus original des textes s’affirme répétition ou en moins inscription neuve s’incrustant dans un déjà-dit, page précédemment écrite et sur laquelle on décide d’écrire, sans effacer ce qui précède, ce qui lui délivre raison d’être ».

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Dans notre questionnaire porté en annexe V, Hamid Grine nous révéla qu’il connaissait l’oeuvre gidienne y compris son journal qui a été consacré aux années algériennes et notamment Biskra. Il ajouta, ensuite, qu’en plongeant dans la lecture de l’oeuvre gidienne, nous sommes pris d’une douce torpeur. Là donc, nous pensons qu’il y a influence d’une part, et empreinte d’une autre part. Notons que le roman se présente comme un canevas d’extraits et de scènes des textes d’André Gide, qui ont été bien façonnés afin d’être insérés et pouvoir tisser la trame textuelle sans qu’il n’y ait rupture ou défaillance, de façon à ce que l’auteur puisse maintenir et l’évolution du texte et retenir le lecteur. Nous reprendrons, là, les propos d’Antoine Compagnon : « Le travail de l’écriture est une récriture dès lors qu’il s’agit de convertir des éléments séparés et discontinus en un tout continu et cohérent […]. Récrire, réaliser un texte à partir de ses amorces, c’est les arranger ou les associer, faire les raccords ou les transitions qui s’imposent entre les éléments mis en présence »59. S’il y a eu la part de l’auteur de réaliser un texte à partir de ses amorces, en les arrangeant et en les associant sans oublier de faire les raccords ou les transitions, la part du lecteur est quasi importante dans ce phénomène. Pourquoi ? Il doit être « en mesure de repérer dans un texte des éléments structurés antérieurement à lui […]. On distinguera ce phénomène de la présence dans un texte d’une simple allusion ou réminiscence, c’est-à-dire à chaque fois qu’il ya emprunt d’une unité textuelle abstraite de son contexte et insérée telle quelle dans un nouveau syntagme textuel »60.

Références à André Gide dans le roman Nous avons, déjà, mentionné plus haut que nous mettrons en relief la trace gidienne dans l’écriture de notre auteur. Comment se traduit, alors l’inscription gidienne dans notre corpus d’étude ? Cette question vint à notre esprit car il y a une abondance de références à André Gide dans notre roman. Ceci nous encouragea même à découvrir toute l’oeuvre gidienne, dans laquelle nous nous sommes intéressé à certains passages utiles pour notre recherche. L’auteur ouvre son roman avec deux citations. La première de Voltaire, « L’homme de lettres est sans recours ; il ressemble aux poissons volants : s’il s’élève un peu, les oiseaux le dévorent ; s’il plonge, les poissons le mangent ». Mais, dans ce que nous venons d’avancer, c’est la deuxième citation, qui nous importe le plus du moment qu’elle est de Gide, et surtout du fait que la seconde isotopie du titre (qui est référentielle) est le nom même de cet écrivain. Notons à ce niveau que le titre ainsi que la citation adoptent une fonction mnésique, puisqu’ils font appel au savoir antérieur du lecteur, et ainsi ils acquièrent une fonction poétique du fait qu’ils suscitent notre intérêt et notre curiosité.

Antoine Compagnon avança le fait que la citation soit une pratique intertextuelle. Il la définit comme « un énoncé répété et une énonciation répétante »69. « La citation est la reproduction d’un énoncé(le texte cité), qui se trouve arraché d’un texte origine (texte 1) pour être introduit dans un texte d’accueil (texte 2) »70. La seconde citation d’André Gide, alors, est tirée de L’Immoraliste : « Biskra. C’est donc là que je veux en venir…Oui, voici le jardin public ; le banc où je m’assis aux premiers jours de ma convalescence. Qu’y lisais-je donc ? Homère ; depuis je ne l’ai pas rouvert-voici l’arbre dont j’allai palper l’écorce. Que j’étais faible, alors !… Tiens ! Voici des enfants ». Nous avons trouvé ce passage dont voici la suite : « Non ; je n’en reconnais aucun. Que Marceline est grave ! Elle est aussi changée que moi. Pourquoi tousse-t-elle, par ce beau temps ?- Voici l’hôtel. Voici nos chambres ; nos terrasses. Que pense Marceline ? Elle ne m’a pas dit un mot. Sitôt arrivée dans sa chambre, elle s’étend sur le lit ; elle est lasse et dit vouloir dormir un peu. Je sors »71. « De retour à Biskra, avec sa femme Marceline, elle aussi malade, le narrateurauteur tire de tous ses poumons ce cri d’enthousiasme »72.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. Motivation et choix du corpus
2. Problématique
3. Plan de travail
CHAPITRE I : ETUDE DU CORPUS
Introduction
1. Que raconte Le Café de Gide ?
2. Le Café de Gide, un titre ambigu
3. Analyse de la 1ère de couverture
4. Structure du roman
Conclusion
CHAPITRE II : L’INSCRIPTION DE HAMID GRINE DANS LA TRAJECTOIRE GIDIENNE
Introduction
1. L’influence gidienne ou l’empreinte gidienne
2. Techniques d’écriture gidienne
3. Références à André Gide dans le roman
Conclusion
CHAPITRE III : TOPOGRAPHIE DE LA VILLE OU DU VIEUX BISKRA ?
Introduction
1. Organisation de l’espace
A- L’inventaire des lieux
B- Les personnages
2. Stratégie d’écriture
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
I. Magazine littéraire consacré à André Gide
II. La première de couverture
III. Tableau représentant les chapitres
IV. Structure détaillée du roman
V. Questionnaire adressé à l’auteur
VI. Bibliographie de l’auteur

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