Les enfants qui grandissent en institution sont soumis à des règles spécifiques simplement car ils sont forcés à vivre en groupe. Ils doivent grandir et se construire avec un lien familial fragile ou inexistant. Bien que souvent les foyers éducatifs mettent en avant l’autonomisation des enfants, ces derniers sont constamment en contact avec les éducateurs et avec des adultes en général. Leur marge de liberté est plus restreinte et vivre en communauté dès son plus jeune âge limite les moments face à soi même et à son intimité. A contrario, beaucoup de tâches leur sont demandées très tôt. Faire son lit, se laver et s’habiller seul, gérer ses émotions et ses larmes sont des apprentissages auxquels les enfants doivent faire face dès leur plus jeune âge. Certains enfants utilisent des réponses toutes faites et savent « jouer » du système dans lequel ils ont grandi. Ils s’adaptent et sont façonnés par celui-ci. Un enfant grandit différemment selon le lieu dans lequel il vit. Le foyer éducatif modifie ses comportements. Quelle est l’influence de cette enfance sur la vie future des ces enfants ?
Buts visés par la recherche
L’objectif principal de ce travail est d’analyser l’entrée à l’âge adulte des jeunes ayant grandi en institution et d’évaluer l’impact sur la vie adulte qu’entraîne une telle enfance. Afin de répondre à ces questions, il est nécessaire de passer par différentes étapes.
• Développer des connaissances sur le placement en institution, sur les critères, les enjeux et les difficultés liées au placement.
• Prendre conscience du vécu de ces individus, de leur développement et des obstacles personnels rencontrés.
• Mettre en évidence les barrières imposées par la société et la façon dont ces «anciens placés » ont su les franchir.
De plus, cette recherche basée sur le regard et le vécu de personnes ayant grandi en foyer éducatif permet de mieux comprendre le rôle de l’éducateur social. Mettre en évidence les comportements et les positionnements à favoriser en tant que professionnel afin de s’ajuster au mieux à l’usager et à ses besoins est également intéressant. Michel Maestre (Maestre, 2009, p.16-23) explique l’importance pour le professionnel de s’interroger sur le regard porté sur le patient et de la place que l’on lui donne dans la vie.
Enfin, à travers le regard de ces anciens placés, ressortira la vision que possède la société des adultes ayant grandi en institution. Ces éléments mettront en avant les difficultés et les éléments facilitateurs d’insertion liés aux idées préconçues de la société.
Finalement, ce travail permet de partager un bout du vécu d’anciens placés, d’entendre leurs points de vue, leurs ressentis, les obstacles et les éléments aidants qu’ils ont rencontrés durant leur parcours de vie. Il met en évidence la diversité des ressources dont peut faire usage tout un chacun, des différents facteurs aidants. Cette enquête est un recueil de vécus de personnes ayant traversé cette « vie en institution ». Il permet de faire quelques pas en direction de ces adultes au passé différent.
Hypothèses
Première hypothèse :
Grandir en institution formate les comportements des enfants placés et affecte leur vie d’adulte. Ces enfants devenus adultes auront moins de ressources pour faire face aux exigences de la vie adulte. Les enfants entourés au quotidien semblent faire preuve de moins de persévérance. Ils sont surprotégés et savent que les adultes qui les accompagnent sont là pour eux, qu’ils ont les « réponses » dont ils ont besoin. Le gain d’autonomie se fait souvent de façon artificielle. Des activités sont organisées dans ce seul but. Tôt ou tard, ces enfants, devenus adolescents puis adultes, ne pourront plus compter sur le système qui les entoure. Ils devront utiliser leurs propres ressources et continuer seuls leur parcours de vie. Y arriveront-ils ? Ont-ils suffisamment de ressources ? Quelles sont les stratégies mises en place pour faire face à ce passage ?
Deuxième hypothèse :
Les adultes ayant grandi en institution souffrent de préjugés durant leur parcours de vie. Cette stigmatisation perturbe leur vie d’adulte. Dans la tête de tout un chacun, un enfant qui vient d’un foyer éducatif porte avec lui des difficultés familiales ou personnelles. Ce ne sont pas des enfants « normaux » puisqu’ils ont dû être placés. Ils véhiculent des préjugés et des aprioris qui peuvent compliquer leur insertion dans la vie professionnelle par exemple. « Il a eu une enfance difficile », « il a dû grandir seul », « il a des problèmes de comportement » sont autant de phrases que nous pouvons entendre au sujet de ces enfants. Celles-ci sont réductrices. Quelles influences ont-elle sur la façon dont la société se comporte avec ces enfants ? de la pitié, de l’empathie, de la méfiance. Arrivent-ils à dépasser ces préjugés ? En souffrent-ils? Finalement, ces préjugés et idées reçues, existent-ils réellement ?
Orientation de la recherche théorique
Après avoir posé le cadre juridique et légal du placement, nous allons nous intéresser au vécu des personnes ayant été placées.
Bien que les raisons et les conditions du placement de chaque enfant soient différentes, il existe certaines similitudes lorsque la séparation se fait. Les éléments sur lesquels se base le début de la recherche sont les dénominateurs communs de chaque enfant vivant un placement. Tout d’abord, l’enfant est arraché de sa famille, le lien est affaibli parfois même rompu. Il doit construire le reste de sa vie en composant avec cette rupture familiale inscrite dans son parcours. Il doit donc quitter pour un temps, généralement indéfini, sa famille et vivre avec des personnes inconnues. De plus, il doit partager les espaces et les personnes. Son intimité est alors réduite. Coûte que coûte, l’enfant devra s’adapter à la vie en communauté. Finalement, tout enfant placé doit changer de lieu de vie, adopter un nouveau foyer et composer avec celui-ci et l’ancien. Ceci implique la perte partielle ou totale de ses repères, de ses amis, de ses habitudes, etc.
Dans un deuxième temps, nous verrons ce qu’est l’âge adulte et quels sont les éléments concrets qui permettent de distinguer ce passage. Que l’enfant ait été placés ou non, certains critères tels que la situation à propos du logement, de l’emploi ou encore de la famille, permettent aux jeunes de se définir comme étant adulte. Grâce à ces facteurs tangibles, nous pouvons mettre en évidence les difficultés rencontrées par les jeunes ayant été placés. « Le constat partagé est aujourd’hui celui d’une accession différée à l’autonomie, avec une période de transition à l’âge adulte plus longue et plus difficile que par le passé pour l’ensemble des jeunes au sein de la population générale et a fortiori pour ceux dans une situation de rupture familiale et/ou rencontrant des difficultés sociales. » (Capelier, 2014, p. 5).
Lorsque nous parlons de l’âge adulte, émergent également des concepts plus abstraits. En effet, nous entendons fréquemment qu’être adulte c’est être autonome, indépendant et responsable. Mais que signifient ces termes et quelles sont leurs différences ? Peut-on être l’un sans l’autre ? La vie en foyer éducatif accompagne-t elle vers l’acquisition de ces ressources sociales ? Les jeunes placés font partie des groupes sociaux les plus vulnérables. De par leurs parcours chaotiques et entravés d’embuche de tout genre (pauvreté, abus, maltraitance, violence, abandon, etc.), ils ont plus de risques de rencontrer des difficultés diverses : consommation abusive, problèmes de santé mental, parentalité précoce, opportunités d’emploi restreintes, etc. (Capelier, 2014, p.11). Cependant, certains jeunes, malgré les traumatismes et les tragédies liés à leur enfance et à leur placement, parviennent à surmonter ces obstacles. Pourquoi certains portent-il le poids de leur passé, pourquoi ne quittent-ils jamais totalement le système social et pourquoi d’autres s’en sortent bien mieux ? Derrière cette question se cachent certains concepts et thématiques liés à l’individu lui-même, à ses interactions avec son entourage ainsi qu’à la société au sens plus large. La résilience, les stigmates, les préjugés ou encore les stéréotypes peuvent expliquer en partie pourquoi un jeune « réussit » ou non sa vie d’adulte après son enfance en institution. Ces derniers points seront développés dans une seconde partie. Ainsi, par ces bases théoriques, nous allons pouvoir cheminer aux côtés d’enfants placés. Qu’en est-il avant le placement, quelles sont les blessures causées par le placement ? Comment se passe le placement, que met-il en avant et vers quoi accompagne-t-il les jeunes ? Quelles difficultés rencontrent-ils au départ de l’institution ? Le placement peutil aboutir à une réussite sociale ou au contraire à une certaine détresse, qu’est-ce qui influence la prise d’une trajectoire ou d’une autre ?
1 INTRODUCTION |