L’adolescence est une période du développement où la maturation physiologique entraîne des changements significatifs à la fois émotionnels, cognitifs, sociaux et relationnels (Claes, 2003 ; Windle, Spear, Fuligni, Angold, Brown, Pine, & al., 2008). L’adolescent fait face à d’importants défis développementaux qui rendent la question de l’élaboration d’une identité propre et la recherche d’autonomie particulièrement saillants (Arnett, 2004 ; McAdams, 2001). Ces questions s’inscrivent dans un long travail d’élaboration d’une identité individualisée, d’abord face aux figures principales d’attachement telles que parents, fratrie et ensuite dans un contexte plus large de la société, face aux des normes culturelles (Delage, 2008 ; Koepke & Denissen, 2012). L’adolescent s’identifie à un réseau social qui s’élargit graduellement et s’enrichit d’interactions en dehors du cercle familial immédiat, notamment avec les pairs et les adultes non apparentés (Blyth, Hill & Thiel, 1982 ; Claes, 2003 ; Delage, 2008). L’adolescence se parachève lorsque l’individu arrive au terme de différents enjeux permettant de former un noyau identitaire plus ou moins différencié des membres du réseau social, avec ses propres référents, valeurs et croyances (Kunnen & Bosma, 2006) et d’accepter la vie d’adulte selon ce qu’elle comprend de responsabilités et de rôles sociaux (Gagnon & Rochefort, 2010 ; Claes, 2003).
Bronfenbrenner et ses collègues ont su léguer une compréhension intégrative du développement, unissant l’influence de l’environnement et les déterminants individuels (Rosa & Tudge, 2013). En effet, selon le modèle bioécologique du développement de Bronfenbrenner, l’individu est le produit d’une longue construction auquel il participe activement et qui se fait au fil des interactions avec son environnement, tant social que culturel (principales figures d’attachement, pairs, objets physiques qu’il consomme et utilise, symboles d’ordre culturel, social, relationnel, etc.) (Bronfenbrenner & Evans, 2000).
Durant le processus développemental, où l’une des tâches principales est de construire son identité propre, l’adolescente utilise ses relations avec les pairs afin de prendre progressivement de l’autonomie et de l’indépendance face à ses parents (Hay & Ashman, 2003). Claes (2003) définit les relations interpersonnelles comme étant des rapports et des échanges à l’intérieur notamment de relations dyadiques, dans le contexte d’un plus large univers relationnel incluant les proches, les pairs et les adultes en autorité. Claes (2003) mentionne que la transition des rôles de soutien, d’affection, d’agent de socialisation, de modèle d’identification, sont d’abord assumés par les parents jusqu’à ce que leurs enfants entrent graduellement dans l’adolescence et accordent plus d’importance à leur réseau de pairs. Pour les adolescentes, les notions d’interdépendance et d’influence mutuelle conséquentes à ces rôles se trouvent à prendre plus d’importance dans le contexte des relations significatives du réseau social de pairs (Claes, 2003). En d’autres termes, l’échange et le soutien émotionnel promulgués à l’intérieur des relations d’amitié offrent un contexte où se forme l’identité, se développent les compétences sociales, les comportements sociaux, etc. Les adolescentes et leurs meilleurs(es) amis(es) s’influencent mutuellement, au moyen du partage d’une culture sociale commune, avec son système de croyances, de valeurs et d’attitudes.
Par ailleurs, le réseau de pairs devient mixte plus tôt chez l’adolescente que chez l’adolescent et inclut fréquemment des garçons plus âgés de quelques années (Poulin & al., 2007). Windle et al. (2008) soulèvent à ce sujet le risque que peut représenter la maturation pubertaire débutant plus tôt chez les filles. De fait, si le contexte biologique et environnemental y est favorable (maturation pubertaire, comportements déviants des pairs, perception de la pression sociale, etc.), il est possible que ces jeunes femmes représentent un attrait pour les garçons plus vieux. Bien que ces amitiés mixtes fassent partie intégrante du développement normal de l’adolescente (Poulin & al., 2011), l’affiliation à des pairs masculins plus âgés a néanmoins des impacts sur le développement de la stabilité émotionnelle (sentiment de quiétude, diminution de l’anxiété, etc.) (Hay & al., 2003), et sur la consommation de substances psychotropes (Harden & Mendle, 2012 ; Windle & al. 2008).
Pour sa part, Agnew (1991) soutient que l’influence de l’affiliation dyadique, indépendamment du type de dyade (filles-garçons ou filles-filles), sur la consommation de psychotropes dépend généralement de l’importance relative accordée aux pairs. Une influence du sexe des pairs serait ici à prendre en considération. L’importance relative s’observe par le degré d’attachement, la quantité de temps passé en leur compagnie, le besoin de conformité face aux normes et aux valeurs du groupe (Agnew, 1991). Baumeister et Leary (1995) suggèrent que la conformité aux valeurs partagées par le groupe de pairs, ainsi que la sous-culture (comportements types, aspects moraux, règles, etc.) transmise entre ses membres, vise à répondre à un besoin d’appartenance, motivation fondamentale à l’établissement de relations d’attachement.
Or, il a été soulevé que les filles présentent généralement un degré d’attachement aux pairs plus élevé que les garçons, qui tendent quant à eux à répartir davantage leur attachement sur une multitude de figures du réseau social (Claes, 1992 ; Hay & al., 2003). Purdie et Downey (2000) suggèrent qu’en raison de l’aspect central des relations interpersonnelles dans la vie des adolescentes, la sensibilité au rejet représente un facteur de risque dans le développement de certaines problématiques. À titre d’exemple, plus le degré de sensibilité au rejet est élevé, plus les adolescentes sont enclines à adopter des comportements déviants (comportements de consommation de substances psychotropes, intimidation, etc.), si elles leur attribut une valeur de protection contre ce rejet (Purdie & al., 2000) et si elle considère ces comportements comme condition à l’appartenance à un groupe (Baumeister & al. 1995). Considérant le degré d’attachement aux pairs plus élevé chez les filles et la peur du rejet qui peut y être associée, l’impact présumé de l’importance relative accordée aux pairs sur le niveau de consommation de substances des adolescentes pourrait s’avérer important.
Un examen critique de la documentation scientifique a permis à Morizot et Le Blanc (2000) de conclure que l’influence directe des comportements déviants des pairs sur la consommation de psychotropes est possiblement surestimée dans les études ayant abordé la question (soit : Dishion, Capaldi, Spracklen, & Li, 1995 ; Esbensen, & Huizinga, 1993). Bien que ces pairs déviants exercent un effet précipitant sur l’émergence de comportements déviants tel que la consommation de substances psychotropes, l’affiliation à ces pairs ne peut, en effet, expliquer à elle seule le développement de comportements déviants (Morizot & al., 2000).
Kunnen et Bosma (2006) abordent le développement de l’identité à l’adolescence comme étant le produit d’une interaction entre les facteurs contextuels (soit : le système de croyances et d’attentes provenant du groupe de pairs) et les facteurs internes (p.ex : l’estime de soi, le contrôle de soi, sensibilité au rejet, etc.). Il s’agit d’un processus transactionnel où l’environnement influence l’adolescente en développement, qui influence à son tour le milieu social à l’intérieur duquel elle évolue (Grotevant, 1987 ; Kunnen & al., 2006). Les facteurs individuels détiendraient donc autant, sinon plus, d’influence sur le développement du comportement de consommation de substances (Morizot & al., 2000) et sur le maintien de ses relations aux pairs déviants (Tarantino, Tully, Garcia, South, Iacono, & McGue, 2014).
En somme, chez les adolescentes, l’importance relative des pairs de même sexe et de sexe opposé et les facteurs individuels relatifs à la dimension interpersonnelle et sociale semblent être liés sur le plan théorique. Le lien entre ces facteurs et leurs interactions mérite une exploration plus précise. À la lumière des informations pertinentes à la compréhension de l’influence des pairs sur la consommation des adolescentes, il apparaît difficile de se soustraire à l’influence de facteurs internes en lien avec la sphère sociale de l’adolescente, soit la sensibilité interpersonnelle et l’estime de soi sociale .
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