L’ACCULTURATION
La cohésion de deux cultures différentes provoque ce qu’on appelle le métissage culturel qui est le fait de maintenir sa propre identité culturelle tout en adoptant la culture dominante. Mais quand vient le cas où il y a abandon de son identité culturelle pour adopter la culture dominante, qui est celle des colonisateurs, il y a ce qu’on appelle acculturation, et on assiste alors au méfait destructeur de cette cohésion apportée par la colonisation qui est bel et bien réel hélas.
Les causes de l’acculturation
Si la colonisation et la cohésion de deux cultures sont les causes primaires de l’acculturation, les causes secondaires sont multiples et de différentes origines. Parmi ces facteurs, nous allons étudier quelques uns dont l’école ou l’éducation européenne, l’influence de l’être hybride sur les individus, et enfin l’attrait de la ville.
L’école ou l’éducation européenne
Comme nous le savons, tout le monde est attiré par toute nouveauté ou toute chose inhabituelle ; et la venue de l’école sur le continent africain, importée par les colons est une nouvelle chose non seulement pour le continent africain mais aussi pour tout son peuple qui vivait encore dans la pure tradition jusqu’à l’arrivée des colonisateurs Blancs. L’apparition des colons européens dans leur vie a entraîné tout un changement, et le plus impressionnant est la manière dont s’est fait le passage de leur vie, qualifiée de primitive, vers une vie plus modernisée.
Bien avant l’arrivée de l’école européenne en Afrique, afin d’assurer l’éducation de ses sujets, l’apprentissage purement africain et traditionnel existait déjà. Cette éducation était suivie par tous et bien établie car les choses qu’on leur apprenait et qu’ils devaient savoir étaient tous indispensables, nécessaires et utiles à leur vie et à leur survie. Cette éducation est tout d’abord très bien appropriée aux contextes de l’Afrique traditionnelle comme son environnement, sa Culture et surtout les problèmes qui pourront survenir. Cette initiation est un long processus qui débute dès le plus jeune âge de l’individu pour ne se terminer qu’à l’âge adulte. Elle peut toujours se poursuivre tant qu’il est sous l’influence d’un adulte et/ou demander son aide ou conseil comme dans le cas de Niam demandant conseil au patriarche Bikokolo (p. 23). Cette éducation traditionnelle s’est toujours faite de bouche à oreille évoquée directement ou sous forme de mythes, contes et légendes (p. 30) , et surtout, elle est le fruit d’une accumulation d’expériences qu’ont vécues les grandes personnes. Tout le monde est appelé à contribuer à cette éducation ; même les femmes doivent s’y mettre et ce sont elles qui assurent les premières formations de l’individu dès son plus jeune âge. Les apprenants, ici des enfants, s’instruisent tout en aidant ces femmes qui les éduquent, dans les petites tâches ménagères et aux travaux des champs. A partir de l’adolescence, les adultes n’interviennent que rarement sur l’éducation car cette fois- ci elle ne se fait plus qu’entre adolescents de même sexe afin de leur permettre de se découvrir tout en explorant le monde extérieur. Ils peuvent ainsi mettre en pratique et améliorer ce qu’ils ont pu en retenir et devenir responsables petit à petit. C’est le moment de sevrage pour chacun, que ce soit les filles ou les garçons. Les filles elles, apprennent à devenir de bonnes femmes, c’est-à-dire travailleuses, soumises et silencieuses, tandis que les garçons à être des hommes, c’est-à-dire travailleurs, débrouillards et dominateurs. C’est ce que nous apercevons tout au long du passage de Medza à Kala, où il a pu se découvrir et découvrir beaucoup de nouvelles choses à partir des nombreuses aventures en compagnies des jeunes du même age que lui à Kala comme Zambo, Petrus Fils-de-Dieu,… . Passé à l’age adulte, chacun est prêt à affronter seul la vraie vie, mais toutefois les vieux gardent un œil sur eux et sont toujours là pour conseiller,informer et à rectifier ce qui ne va pas.
Mais l’arrivée en Afrique des colons, surtout de l’éducation occidentale, a bouleversé cette initiation traditionnelle car fascinés et attirés par cette nouvelle forme d’enseignement,petit à petit les jeunes délaissent cet usage traditionnel pour opter la nouvelle éducation. Et peu à peu, les grandes personnes ne trouvent plus de jeunes gens à qui transmettre leur savoir et leur enseignement car tous se ruent vers l’école occidentale. Commence alors la perte de leur Culture et des coutumes parce que au fur et à mesure que ces jeunes reçoivent cette nouvelle éducation, ils perdront alors tout ce qui peut tourner autour de l’Afrique traditionnelle car ils sont transformés par les disciplines de cette nouvelle école qu’ils ont tendance (malgré eux) à vivre et à penser comme les Blancs ; c’est le cas de Medza, le personnage principal du roman qui ignore tout de ce qui est traditionnel car il est issu de l’école européenne.
Opter pour l’éducation occidentale c’est délaisser la tradition et sa propre culture pour n’apprendre que la culture de l’autre, c’est-à-dire celle des Blancs car cette nouvelle éducation pratiquée et donnée n’a pas été adaptée pour être enseignée aux Noirs mais aux Blancs. Par conséquent, ces jeunes Noirs apprendront les mêmes choses que les Blancs comme par exemple l’histoire de la civilisation occidentale mais non point celle de l’Afrique. Et pour confirmer cela, dans le roman, Daniel un jeune Noir issu de la même école européenne que Medza dit : « Moi, mes ancêtres furent non point Gaulois, mais Bantous ; ils le sont d’ailleurs restés depuis. […] » (p. 14). Ici on assiste à une prise de conscience d’un individu qui n’a pas encore été totalement converti par l’éducation coloniale, mais plus il sera de plus en plus plongé, plus il saura de moins en moins sur toutes les bases de son existence. Mais le pire, est que le jeune lui- même se rend compte de cette éducation coloniale qui avait pris toute sa jeunesse. Ceux qui ont voulu aller à l’école ont vu leur jeunesse s’envoler car ils n’ont pas eu l’occasion de jouer aux jeux coutumiers que les enfants de même âge qu’eux pratiquaient étant donné qu’ils ne rentraient aux villages que lors des vacances, donc la majeure partie de leur temps, tous restaient à « l’Internat Indigène » (p. 13). Les règlements intérieurs de l’école ne les ont pas permis cette sortie étant donné que c’est un internat, un établissement qui assure à la fois l’hébergement et la nourriture de tous ses pensionnaires tout au long de leurs études. Ceci arrange tout de même les élèves Noirs habitant dans la majeure partie des cas très loin de l’école car ils évitent le long trajet d’allerretour entre l’établissement et leur village respectif. Par exemple dans le cas du personnage principal du roman, Medza Jean Marie, la distance qu’il devait parcourir pour aller de son village natal à Ongola, la ville où se trouve son école est de soixante kilomètres. Pour le faire en autocar, il lui faut au moins trois heures à cause de l’état de la voiture, des routes qui laissent à désirer et surtout des conditions météorologiques souvent très mauvaises . Nous constatons donc les difficultés qu’endure le héros pour ses déplacements, ce qui nous emmène à dire qu’il est pénible, voire impossible pour lui de faire un va-et-vient quotidien de soixante kilomètres tout au long de l’année afin d’étudier. Et pour que cela ne soit pas un handicap pour l’enseignement, tout se doit d’être séduisant, fascinant et bien établi à l’avance afin d’attirer et d’inciter les africains à venir étudier dans les écoles européennes. Nous constatons aussi à travers le fait de faire un très long voyage pour pouvoir étudier à l’européenne, la place importante de l’école coloniale aux yeux des Noirs car malgré cette longue distance qu’ils devront parcourir, ils ne se découragent pas et veulent toujours étudier dans l’école moderne.
L’influence de l’être hybride sur les individus
L’être hybride, c’est-à-dire le Noir est celui qui est issu de l’école européenne, comme notre héros, Medza. Il est appelé ainsi car il n’est ni africain, ni européen étant donné qu’il a perdu sa propre culture et ne fait que suivre approximativement et bêtement celle des Blancs bon gré mal gré.
L’être hybride issu de l’éducation européenne est en effet une des causes de l’acculturation. C’est un système indépendant où les Blancs sont absents et n’interviennent plus directement aux objectifs qu’ils ont fixés car ils ont déjà cette machine à leur service qui, va réussir là où ils ont pu échouer, qui s’infiltrera sans peine là où ils ont eu beaucoup du mal à passer, dans les arrières pays qui leurs sont difficiles d’accès comme Kala. Aux yeux des Noirs, Medza est vu comme l’école, c’est-à-dire comme étant une nouvelle et la meilleure chose qui leur est donnée dans leur misérable vie car il est très rare de voir tous les jours un jeune Noir éduqué à l’européenne. C’est pourquoi, dans le roman, il est dit : « En fait de garçon instruit et habitant la ville pardessus le marché, […], devait être une marchandise rare sur le marché de Kala » (p.73) pour montrer la valeur importante d’une personne qui a suivi les enseignements des européens. Medza est qualifié de « marchandise rare » car les garçons comme lui ne sont pas nombreux dans le pays. C’est vrai car ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre ce luxe, le fait d’envoyer son enfant à l’école des Blanc. En plus, cela n’est pas gratuit et nécessite beaucoup d’argent durant toutes leurs études, or tous les parents veulent et rêvent que leurs enfants entrent dans une telle école. Cet estime des Noirs face à un être Noir éduqué à l’européenne est un signe de réussite pour les Blancs, mais aussi pour les Noirs car si Medza était alors comme tous les jeunes de son âge qui ne fréquentaient pas l’école, il ne serait qu’une personne banale à leurs yeux et ne représentera aucun intérêt pour eux, mais aussi et surtout pour les Blancs. C’est cette spécificité d’avoir pu fréquenter l’école et les Blancs alors qui seront les potions magiques qui vont permettre de changer, transformer la vie de toute communauté où passera Medza car il est toujours considéré comme étant une perle rare, et surtout, un brin de nouveauté qui vient apporter la modernité aux membres de la société traditionnelle comme ceux de son village natal mais aussi ceux de Kala où il effectuera sa Mission.
Il a donc en lui toutes les faveurs et tous les bagages nécessaires pour enculturer ses proches par le biais de ses nouvelles connaissances acquises, ses points de vue différents de ceux des autres, sa nouvelle façon de raisonner qui sont très convoités.
La venue, la vue de Medza à Kala et son contact avec ces habitants vont changer le cours de leur vie. Tout le monde est émerveillé par lui dès seulement le premier coup d’oeil, un jeune «gars de la ville» qui est de passage et que l’on ne trouve pas tous les jours à Kala ; tous veulent le voir, l’admirer, le consulter à tout prix que ce soit les grandes personnes ou les jeunes, et chacun y trouve son compte. Les jeunes garçons souhaitent apprendre à lire et écrire comme à l’école, les vieux et adolescents veulent s’informer sur les villes et les progrès, que ces villes soient africaines ou occidentales, et les jeunes filles et femmes, elles, en sont tout simplement fascinées, amoureuses qu’elles sont là dans le seul but de l’admirer et le contempler de plus près. Nous assistons donc au début de l’acculturation à Kala, et si nous entrons dans les détails, nous trouverons que cette transformation de Kala qui semble passagère est bel et bien le commencement d’une acculturation puisque toutes les habitudes coutumières ont été modifiées par l’arrivée de Medza.
Tout Kala est fasciné par la modernité. La venue de Medza, par exemple pour les petits garçons, est une occasion rare dans leur vie de pouvoir apprendre les mathématiques et de sortir de l’analphabétisme en tentant d’apprendre à lire et écrire le français (mais non pas leur langue maternelle) car ils veulent devenir des intellectuels comme Medza. Cependant leurs parents n’ont pas les moyens financiers de les envoyer à l’école, et l’apprentissage traditionnel ne leur fournit pas ces nouvelles connaissances qui les fascinent tant et qu’ils veulent acquérir. C’est comme un rêve qui , brusquement peut devenir réalité pour eux que, même Medza n’a plus de temps libre dans le village étant donné que dès la matinée, il est déjà pris d’assaut par ces jeunes élèves qui ne s’intéressent plus à présent qu’aux connaissances modernes. Le fait de prendre Medza en assaut est déjà un signe de détermination et d’un désir violent de vouloir apprendre. Ils ne viennent même pas les mains vides et se donnent la peine d’amener avec eux des livres et des ardoises (p.129) pour que cela soit plus sérieux. Si les jeunes garçons sont avides de connaissances et veulent être intellectuels comme Medza, les adolescents eux voudront tout simplement avoir la chance qu’a le « gars de la ville », c’est-à-dire Medza, qui fait un malheur sur les filles de Kala sans même le savoir. Toutes les filles ou jeunes femmes du village sont folles de lui et toutes veulent l’avoir à leurs cotés que ce soit pour une simple aventure ou en vue d’un mariage car il est exceptionnel et très différent des garçons du village qu’elles ont fréquentés qui ne sont que des paysans comme elles- mêmes.
INTRODUCTION |