L’inefficacité du système pénal
Il s’agira ici d’étudier les « incidences sur le plan socio-politique »174 du système pénal. La critique portera alors sur les conséquences de celui-ci. Tout d’abord, le système pénal ne peut pas être réformé, il agit indépendamment de la volonté de ses acteurs. C’est là sa plus grande faille. Pensé comme une machine au service de la justice humaine, le système pénal se retourne contre ses créateurs qui ne parviennent plus à le contrôler. En outre, la justice pénale faillit à protéger efficacement les victimes et les prive de la possibilité d’obtenir une véritable réparation de leur préjudice. Du fait de sa grande autonomie, le système pénal ne peut pas prendre en compte efficacement la volonté des victimes. Il s’agit des principales failles dans le système pénal (Section 1). En outre, la première réaction de la justice criminelle est la prison.
Les failles du système judiciaire pénal
L’approche structuraliste, c’est-à-dire qui appréhende l’Institution pénale comme un système, une structure, considère que le système pénal est autopoïétique. L’autopoïèse est définie par Varela Francisco J.175 comme la « propriété d’un système à se reproduire lui-même, en permanence, et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir son organisation malgré le changement de composante »176. Ainsi, non seulement les politiques n’ont plus la mainmise sur le système pénal, mais encore celui-ci ne peut plus être réformé. Ce dernier point justifie son abolition, et non sa réformation (§1). La déconvenue est encore plus forte lorsqu’on réalise que la justice criminelle dépossède les victimes de leurs conflits, et les prive ainsi de la possibilité de se reconstruire (§2). justice pénale en tant que structure. Il y a trois étapes au cours de la justice pénale, l’enquête et les poursuites, le jugement, et la peine, au sein desquelles sont pratiquées des tris et des filtres. L’opération de tri consiste à envoyer l’individu vers différents processus (la détention provisoire ou le contrôle judiciaire, la comparution immédiate ou la cour d’assise et le tribunal correctionnel, puis les différentes peines possibles).
L’opération de filtrage se répète à chaque étape. Cela signifie qu’à chaque étape, des affaires vont être éjectées du système pénal. Le filtrage débute en amont de la justice pénale par le biais du chiffre noir. Puis au stade de l’enquête, la décision relative à l’opportunité des poursuites laissée au parquet va permettre d’expulser bon nombre d’affaires grâce au classement sans suite. Au stade du jugement, il s’agira du prononcé d’une relaxe. Au stade de la peine, il s’agira de la dispense de peine, et dans une moindre mesure, des aménagements de peine ab initio. Le système pénal se déploie donc selon une architecture pyramidale inversée ; l’entrée dans le système pénal est plus large que sa sortie, il y a plus de délinquants qui entrent dans le système que de condamnés qui en ressortent.
car, tout d’abord, la police maîtrise de plus en plus l’opportunité des poursuites en maintenant ou non son enquête, en décidant d’enregistrer ou non une plainte. Ensuite, le parquet se prononce sur la culpabilité de l’individu en ordonnant ou non le placement en détention provisoire. En effet, la responsabilité de l’État peut être engagée si, suite à la détention provisoire, la juridiction de jugement prononce une relaxe ou même une peine inférieure à ce qui a déjà été purgé en détention provisoire. Dès lors, lorsque le parquet envoie le mis en examen en détention provisoire, il sait que celui-ci sera condamné à une peine d’une durée a minima égale à celle déjà effectuée. Le juge alors ne s’intéresse qu’au quantum de la peine, à la sentence à adjoindre à une culpabilité déjà reconnue par le parquet. « Le moment théoriquement décisif – de surcroît le seul visible du public – l’audience de jugement, perd de plus en plus de son importance de fait »184. Par conséquent, chacun des agents est à la fois tenu par les décisions antérieurement prises et peut anticiper les décisions futures des autres agents. C’est là le propre d’un système. La déresponsabilisation des agents est donc totale, chacun pouvant se rejeter la faute de la décision finale sans qu’aucun y est participé substantiellement.
La dépossession des victimes de leurs conflits
Par dépossession du conflit, nous entendons la propension du système pénal à décontextualiser les conflits qui lui sont soumis, lors de l’opération de qualification. Le droit pénal se déploie grâce à une loi générale et abstraite indexée sur la gravité des faits, il s’agit d’une condition de son existence. Or cela empêche de prendre en compte le passif inhérent à Le système pénal crée les coupables et les innocents conformément à un héritage chrétien, encore prégnant en droit pénal, duquel dérive la facilité avec laquelle nous acceptons cette dichotomie entre innocent et coupable. Alors même que dans leur rapport, les gens recherchent la nuance, ils acceptent un système qui en est totalement dépourvu. L’exigence de cette dichotomie pousse les protagonistes du procès à rechercher le fautif de la situation, ce qui exacerbe le conflit puisque celui-ci ne peut se régler que si l’une des parties est fautive. Pour exemple, lorsque le divorce ne pouvait être prononcé que pour faute, les époux étaient contraints de rentrer dans cette logique pour pouvoir se libérer, quand bien même ils analysaient leur tient qu’à la constatation de la transgression. Il n’y a pas de frontières entre les bons et les méchants. Celui qu’on identifie comme coupable, « devient le “délinquant“ et se trouve immédiatement placé dans un rôle négatif où la “victime“ et l’Etat conjuguent leurs forces contre lui » 207. Or, le chiffre noir prouve que l’homme criminel peut parfois se maintenir sans encombre dans la société.