L’INDISPENSABLE EVOLUTION DES ORGANES DE CONTROLE ETATIQUE
Il serait optimiste et ambitieux d’imposer une méthode particulière afin d’obtenir la transparence des traitements algorithmiques. D’une part, car c’est souvent une question technique et non juridique, et d’autre part, car il convient d’obtenir une certaine neutralité juridique des moyens permettant d’y parvenir, ceci n’empêchant cependant pas de s’assurer que la théorie ne soit pas rendue ineffective par la réalité technique. 691. Dans la sphère numérique, la transparence est nécessairement fluctuante et nos travaux consistent à proposer une articulation entre le pouvoir politique et la technique afin qu’ils se nourrissent l’un l’autre, et que le régime démocratique s’adapte à ces enjeux en garantissant les droits et libertés fondamentales. Lawrence Lessig se demandait quelle forme l’Etat devrait prendre pour survivre1336 dans ce nouvel univers. Nous proposons dans ces travaux l’un des modèles possibles d’articulation entre le pouvoir politique et informatique, et ce au service du principe de transparence des traitements algorithmiques constitutionnellement protégé1337 . Comme nous l’avons vu lors du premier chapitre, l’Etat bénéficie d’une légitimité sans commune mesure par rapport aux acteurs privés, puisqu’il est l’incarnation de la souveraineté politique, et donc le préalable nécessaire à l’exercice de l’autonomie des citoyens en démocratie. Bien qu’il ne s’agisse pas de nier les progrès de l’informatique, et ses atouts lorsqu’elle est au service des citoyens1338, les pouvoirs constitués doivent s’adapter à ce fait juridique en permanente mutation. 692. Il apparaît que l’approche contemporaine, par une multitude d’autorités de régulation et de contrôle des traitements algorithmiques, affaiblit davantage la puissance publique plus qu’elle ne la renforce. Ainsi, nous proposons la création d’une autorité de contrôle unique dont la compétence sur la question de la transparence technique serait exclusive (Section 1). 693. Au regard du haut niveau de technicité que nécessite la compréhension du numérique et de ses enjeux, et ce dans le but de respecter la traditionnelle séparation des pouvoirs, nous convenons qu’il serait préférable pour des raisons démocratiques qu’une troisième chambre législative soit créée pour porter spécifiquement les débats sur ces sujets, et notamment sur la question de l’exercice du principe de transparence juridique des traitements algorithmiques. Enfin, une spécialisation de la justice dans ce domaine semble devenir également une évidence (Section II).
DE LA CREATION D’UNE AUTORITE DE CONTROLE UNIQUE
Alors que le législateur semblait convaincu, dans les années soixante-dix, par la création d’une autorité de régulation, force est de constater qu’au fil des décennies la CNIL a été affaiblie. Pour pallier ces insuffisances, de nombreux autres organes ont été créés et se sont vus confier une mission de transparence des traitements algorithmiques (Paragraphe 1). Ce modèle de régulation, en plus de heurter la traditionnelle séparation des pouvoirs, n’a pas su pour autant produire les résultats escomptés faute d’harmonisation. C’est la raison pour laquelle nous proposons une rationalisation de ces organes afin de concentrer une force publique suffisante, tout en offrant des garanties d’indépendance, et ce dans le but de concourir au mieux à la transparence des programmes informatiques ainsi que du matériel les exécutant, condition sine qua non à l’effectivité des droits à l’ère du numérique (Paragraphe 2).
Une pluralité d’autorités de contrôle compétentes pour connaitre de la transparence des traitements
En appréhendant l’émergence d’un nouveau fait juridique à savoir le développement de l’informatique grand public, surtout au sein des administrations françaises, s’est très vite posée la question de la création d’une commission de régulation (A). Mais cette instance, spécialisée dans la protection des données à caractère personnel, a été concurrencée par d’autres organes chargés de la régulation des autres secteurs dans lesquels l’informatique a fait son immixtion, ce qu’il convient d’évoquer par l’intermédiaire de quelques illustrations (B). A – Historique et rôle initial de la CNIL 696. Il nous paraît nécessaire de remonter à la création de la CNIL afin de comprendre quel est l’esprit qui sous tendait la première réponse à l’émergence du fait juridique étudié. Avant l’émoi suscité par l’affaire SAFARI révélée le 21 mars 1974 dans les colonnes du journal Le 281 Monde1339, il était déjà question de réglementer l’informatique, en l’occurrence de doter la France d’un régime juridique sur les données à caractère personnel. En effet, en France, une proposition de loi est déposée par Michel Poniatowski à l’Assemblée nationale le 25 novembre 1970. Dans cette proposition, il est question de créer un comité de surveillance ainsi qu’un Tribunal de l’informatique. Puis, plus tardivement, en 1974, quelques semaines à la suite de l’article de Philippe Boucher, une nouvelle proposition de loi tendant à créer un directoire et un Tribunal de l’informatique est déposée au Sénat. Dans ce modèle, ce sont les propriétaires d’ordinateur qui doivent fournir à un directoire des informations sur le fonctionnement des traitements.Ce directoire aurait, de plus, bénéficié d’un pouvoir d’investigation concernant les traitements des organismes exerçant une mission de service public, ce qui démontre que dans ce contexte, la première des menaces était la puissance publique. Il aurait été possible d’y enregistrer des plaintes, mais afin de respecter la traditionnelle séparation des pouvoirs, le directoire ne disposait pas de la compétence d’infliger des sanctions. En effet, cette autorité jouait uniquement un rôle de filtre afin de transmettre les plaintes fondées à un tribunal spécialement dédié à la matière informatique1345. Bien qu’intéressante, cette approche imparfaite n’a pas été retenue. Enfin, le 4 avril de la même année, une autre proposition de loi est déposée par Pierre-Bernard Cousté1346, afin que soit uniquement créée « une commission de contrôle des moyens informatiques » dotée d’un pouvoir d’investigation et de la possibilité de transmettre des plaintes reçues au « tribunal administratif de Paris siégeant en qualité de tribunal de l’informatique ».