L’INDETERMINATION DES PROCESSUS D’ELABORATION A LA FORMATION DE L’ACTIVITE DE PROJET
Le principe d’une élaboration collective des actions à entreprendre est largement considéré, dans la recherche comme dans l’action, comme une réponse à la mutation des enjeux et des conditions de production de la ville. C’est une des idées clé contenue dans le succès du modèle du projet urbain comme nouveau modèle d’action et son mot d’ordre de coproduction. Plus précisément encore, avec la redéfinition du processus de production de la ville, l’activité d’élaboration devient essentielle alors que les pratiques traditionnelles liées à la formulation des choix puisent dans un catalogue prédéfini de problèmes et de besoins et dans un répertoire codifié et standardisé de solutions. Par ailleurs, en plaçant l’activité d’élaboration sur le devant de la scène, la redéfinition du système de production de la ville s’accompagne de préoccupations nouvelles sur le pilotage des projets. Constatant la faible connaissance de l’activité d’élaboration, i.e. de l’activité de projet en phase d’élaboration deux « monographies » ont été consacrées à la production d’une connaissance empirique dans le cas de projets d’aménagement urbain. L’examen s’est plus particulièrement focalisé sur les composantes de l’élaboration, les modes d’organisation de cette activité et les pratiques relatives à la conception du projet (i.e. à la définition des choix de transformation de l’espace et celle des modes de production du projet).
Après avoir décrit le processus développé dans ces projets, l’objectif de ce chapitre est de procéder à l’analyse transversale des études de cas et d’apporter des éléments de réponse et de réflexion à ces questionnements sur l’activité d’élaboration et à ces préoccupations sur leur pilotage. Ce dernier chapitre, conclusif, formalise donc les résultats du travail conduit. Partant du constat le plus immédiatement manifeste, celui de différences considérables entre les deux projets étudiés, il vise à proposer des réponses aux interrogations ainsi suscitées. Les contrastes sont en effet nombreux. Pour rappel, on relève par exemple que là où, à Strasbourg, l’essentiel de l’activité consiste à concevoir un artefact urbain, l’élaboration d’Odysseum porte simultanément sur la conception d’un concept, d’un artefact, d’un dispositif de conception et de production. De la même façon, alors que l’élaboration de la ligne B réunit des dizaines de participants coordonnés selon une méthodologie concourante, celle d’Odysseum se déroule dans un cadre beaucoup plus restreint et centralisé. Autre trait notable, si l’enjeu structurant du pilotage de la ligne B est de construire la ligne dans le respect des délais et des coûts impartis, c’est la faisabilité même d’Odysseum qui est questionnée. Comment expliquer ces écarts qui portent aussi bien sur les enjeux du pilotage, les configurations d’acteurs, les modes de conception, les composantes mêmes de l’activité d’élaboration ? C’est ici qu’intervient le premier apport de ce travail. Avec la notion de « situation de projet », il propose d’expliquer les pratiques en regard de la situation dans laquelle elles se déploient.
Le premier temps de cette conclusion commence donc par affirmer l’indétermination des processus d’élaboration et par modéliser l’activité d’élaboration au travers de la catégorie centrale de « situation de projet ». Il explicite comment cette notion est formalisée, puis développe les cinq dimensions qui la caractérisent et déterminent les pratiques. Dans un second temps, s’appuyant sur les modes d’organisation de l’élaboration et les modes de conception, on procèdera à la formalisation du pilotage du projet. En cherchant à dépasser la diversité empirique, on s’intéressera plus particulièrement aux logiques d’action qui sous- tendent les modes de pilotage, à la direction de projet et au pilotage politique du projet. Pour finir, un épilogue mobilise l’examen empirique des pratiques et les résultats mis en évidence avec la situation de projet et le pilotage du projet pour ébaucher quelques pistes de réflexion relatives au projet urbain et à la thématique de la coproduction de la ville. On pourra notamment contribuer aux questionnements méthodologiques qui entourent la question du projet urbain, aux interrogations sur la phase amont des projets ainsi qu’à deux des thèmes clés qui traversent les préoccupations actuelles : la question de l’innovation urbaine et celle de la redéfinition des rapports entre les acteurs amont/aval du processus de production de la ville. caractère indéterminé du processus d’élaboration des projets d’aménagement urbain. Une des raisons les plus manifestes de cette indétermination vient de l’importance des variables exogènes. Le processus d’élaboration de la ligne B n’est, par exemple, indépendant ni du contexte général des transports en commun en site propre en France, ni des réactions riveraines tout du long du tracé, ni des caractéristiques variables de la morphologie urbaine. De la même façon, à Montpellier, l’élaboration d’Odysseum ne se comprend pas sans en référer à l’attitude des commerçants locaux ou à la perception dominante de la mixité commerces/loisirs auprès des investisseurs ou encore aux évolutions, en cours de projet, du marché des équipements ludiques.
Ainsi, si l’on admet avec R. Boudon (1991) qu’un processus est déterminé à condition d’être strictement endogène, alors cette condition ne s’observe ni dans le cas strasbourgeois, ni dans le cas montpelliérain. Elle autorise à affirmer, sur la base de cette seule dimension et au-delà de ces seuls cas, le caractère indéterminé du processus d’élaboration des projets d’aménagement urbain et donc l’imprévisibilité de leur déroulement et de leur issue. A cette indétermination fait écho la complexité des processus observés. Cependant, reconnaître et affirmer l’indétermination et la complexité de ces processus ne signifie pas pour autant impossibilité à dépasser la singularité et la dynamique propres à chaque cas. Dans cette perspective, l’analyse d’Odysseum et de la ligne B du tramway strasbourgeois invite à formuler l’hypothèse selon laquelle le processus d’élaboration est structuré par la situation dans laquelle se déploie l’action et que l’on appellera « situation de projet ». On retrouve ici la notion de situation de projet initialement introduite comme une entrée méthodologique, une piste à suivre pour conduire l’exploration des cas.