L’INCLUSION DE 2 CHLOROETHYLNITROSOSUL FAMIDE PAR β-CYCLODEXTRINE
La Chimie Supramoléculaire
Située aux interfaces de la chimie, de la physique et de la biologie ; la chimie supramoléculaire a connu un essor considérable au cours de ces deux dernières décennies [1]. La chimie supramoléculaire est une discipline qui consiste à générer des architectures supramoléculaires par assemblage planifié de composants moléculaires, piloté par les caractéristiques physicochimiques des forces intermoléculaires (non covalentes) entre deux ou plusieurs entités, à la différence de la chimie moléculaire, basée sur des liaisons covalentes (fortes) intramoléculaires. Une définition bien adaptée à cette discipline a ainsi été donnée par Jean-Marie Lehn [2] l’un des premiers chimistes qui s’orienta vers ce domaine : la chimie supramoléculaire est alors définie comme « la chimie des assemblages de molécules et des liaisons intermoléculaires » ou « la chimie au-delà de la molécule individuelle ».
L’Historique de la Chimie Supramoléculaire
Les Origines
Bien que le terme de « chimie supramoléculaire » soit apparu en 1970, les études sur les interactions faibles entre les molécules ont commencé à la fin du 19e siècle. En 1893, Werner introduit le concept de coordination lors de ses recherches sur les complexe de type [Co(NH3)6]Cl3 [3]. L’année suivante, Fischer introduit le terme de « reconnaissance moléculaire » suite à ses travaux sur les interactions enzyme-substrat [4]. Il propose ainsi le modèle « clef-serrure » et démontre que des substrats peuvent avoir des affinités sélectives avec des enzymes. Ce concept fut conforté en 1906 par les travaux de Ehrlich sur les interactions existant entre les antigènes et les anticorps [5]. Il généralise le concept de Fischer et introduit la notion d’interaction substrat-récepteur « la molécule n’agit pas si elle ne fixe pas ».
L’essor de la Chimie Supramoléculaire
Watson et Crick en 1950 découvert la structure de l’ADN [6]. La cohésion de la double hélice n’étant pas explicable par la chimie classique. Ils mettent en exergue le rôle clé joué par les forces intermoléculaires dans l’assemblage en double hélice. En 1978 Jean-Marie Lehn introduit le terme et le concept de « chimie supramoléculaire » [2]. De l’autre côté de l’Atlantique, les équipes de Charles J.Pedersen et Donald J.Cram ont démontré la possibilité de fixer sélectivement les cations alcalins sur des ligands macrocycliques [7,8] et ont introduit la chimie « hôte-invité » [9]. La chimie supramoléculaire prend une dimension internationale en 1987 lorsque Charles J.Pedersen, Donald J. Cram et Jean-Marie Lehn deviennent colauréats du prix Nobel de chimie. Depuis ces travaux, la chimie supramoléculaire n’a cessé de se développer et les recherches sont toujours aussi actives pour concevoir de nouveaux édifices supramoléculaires.
Les Interactions de Base dans la Chimie Supramoléculaire
Comme décrit précédemment, la chimie supramoléculaire ne traite que des interactions intermoléculaires faibles. Nous allons décrire dans cette partie les différentes interactions noncovalentes fréquemment rencontrées en chimie supramoléculaire : Les Forces de Van der Waals : Elles comportent les trois composantes suivantes : les forces de Keesom, de Debye et de London. Ce sont des interactions entre molécules possédant une polarité et leur énergie mise en jeu est de l’ordre de 0,05 à 1 kJ/mol La liaison hydrogène : Résulte d’une interaction électrostatique entre deux atomes, l’un est électronégatif (avec un doublet non liant cédé d’une façon réversible) et l’autre est un atome d’hydrogène lié à un hétéroatome, l’énergie correspondante peut atteindre 40 kJ/mol. L’effet hydrophobe : Résulte de l’auto-association de composés non polaires dans un milieu aqueux Chapitre I Chimie Supramoléculaire : Complexes d’Inclusion – 6 – Une partie de la chimie supramoléculaire utilise des complexes de type « hôte-invité ». Parmi les molécules creuses « cage » les plus utilisées, on peut citer les cyclodextrines que nous allons développer par la suite dans notre travail.
Les Cyclodextrines
Bref Historique des Cyclodextrines
Dans une revue récente, Crini a divisé l’histoire des CDs en cinq périodes : La découverte, la période de doute, la période de maturation, l’exploration et l’utilisation. Quelques étapes clés sont résumées dans le Tableau I.1
Structures des cyclodextrines
Les cyclodextrines noté (CDs) sont des oligosaccharides issus de la dégradation enzymatique de l’amidon, plus précisément de l’amylose. L’enzyme impliquée est la cyclodextrine glycosyl transférase (CGTase) [10] qui est produite par différents bacilles, notamment le Bacillus Macerans. La structure hélicoïdale de la macromolécule est détruite au profit d’une structure cyclique. Figure I.1 Les spires que forme naturellement l’amidon en solution aqueuse sont reliées par transfert de liaisons pour donner des oligosaccharides couronnes [11-12]. Plus précisément, les CDs sont l’une des familles d’oligosaccharides cycliques, composés de sous-unités α-D-glucopyranose en configuration chaise reliées entre elles par des liaisons osidique α-(1‒ 4) [13], où les formes les plus abondantes sont les α-, β- ou γcyclodextrine. La différence réside dans le nombre des sous-unités 6, 7 ou 8 respectivement. Leur structure en trois dimensions apparaît sous la forme d’un cône tronqué à l’extérieur duquel se trouvent les groupements hydroxyles (OH). La partie extérieure est donc hautement hydrophile. Cette structure toroïdale tronconique est constituée, à l’extérieur, de groupes hydroxyles primaires portés par les carbones C6 bordant le petit diamètre (A) et secondaires portés par les carbones C2 et C3 bordant le grand diamètre (B) Figure I.2, et dans la partie interne des atomes d’hydrogène, de carbone et des liaisons étheroxydes. La présence de ces groupements hydroxyles sur les deux bords de la couronne confère à la partie extérieure de la CD un caractère hydrophile (surface en contact avec le solvant). De cette structure en couronne découlent toute la particularité de cette molécule et ses propriétés : l’intérieure de la cavité est tapissée par des hydrogènes liés aux C3 et C5 et des oxygènes glycosidiques, elle apparaît essentiellement hydrophobe (surface en contact avec la molécule invitée). De plus, les paires d’électrons non liantes des oxygènes inter-glycosidiques sont dirigées vers l’intérieur de la cavité, y produisant une densité électronique élevée et conférant à la cavité un caractère de Base de Lewis. La conformation de la CD est stabilisée par des liaisons hydrogènes entre deux hydroxyles voisins de deux unités α-D-glycopyranose adjacentes.
Caractéristiques physicochimiques des cyclodextrines
Quelques caractéristiques structurales et physico-chimiques de l’α-, la β- et la γ-CD sont regroupées dans le tableau ci-dessous le Tableau I.2. Il est à remarquer la faible solubilité de la β-CD en comparaison de celles de α et la γCD. Cette perte de solubilité, dont les causes n’ont pas été totalement éclaircies, semble due au réseau de liaisons hydrogènes particulièrement fortes dans le cas de CD à 7 unités. Dans une β-CD, ces liaisons hydrogènes forment une ceinture au périphérique de la face secondaire, ce qui lui confère une structure rigide et une moins bonne solubilité dans des matrices aqueuses. Cette dernière peut être améliorée en modifiant la β-CD. Lors de synthèses de β-CD modifiées, mono- ou poly-modifications, les solubilités obtenues sont alors très largement augmentées par rapport à la CD naturelle, y compris après greffage de groupements relativement hydrophobes, renforçant l’hypothèse du réseau stabilisant. Dans le cas de l’α-CD, cette ceinture de liaisons hydrogènes est incomplète, l’une des unités étant dans une position distordue, il n’y a donc que 4 liaisons formées (au lieu des 6 prévues). Pour celle qui est des CD de taille supérieure, celles-ci se présentent sous forme de cylindre non régulier, effondré en leur centre, de ce fait, leur cavité se trouve être plus petite que celle de la γ-CD. C’est le caractère amphiphile lié à leur structure tridimensionnelle qui donne aux cyclodextrines leur propriété la plus intéressante, celle de former des complexes supramoléculaires en solution aqueuse avec une (des) molécule(s) invitée(s)
Complexe d’inclusion
La propriété la plus caractéristique des cyclodextrines est leur aptitude à former des complexes d’inclusion en solution aqueuse avec des molécules dont la taille et l’hydrophobicité correspond à celle de leur cavité [14]. Cette propriété a été mise en évidence dans les années 1930 [15,16]. Le terme « complexe d’inclusion » a été présenté en 1950 [17]. Un complexe d’inclusion est une association moléculaire entre une ou plusieurs molécules dont l’une est l’hôte (le récepteur) et l’autre l’invitée (le substrat), sous l’effet d’interactions faibles [18]. Donc, aucune liaison covalente n’est créée, ce qui permet une dissociation aisée du complexe formé. La molécule « invitée » est alors encapsulée de façon totale ou partielle, le récepteur jouant le rôle de molécule « hôte ». Les tailles respectives de la cyclodextrine et du substrat conditionnent généralement la stœchiométrie du complexe .
Principe de formation du complexe d’inclusion
Les CD peuvent donc se comporter comme des molécules « refuges » capables d’inviter dans leur espace interne, de façon réversible, des molécules et donner ainsi des complexes d’inclusion. Le phénomène de complexation est la résultante d’une multitude d’interactions (substrat/solvant, solvant/solvant et CD/solvant), qui conduisent à l’état thermodynamique le plus stable. La cavité apolaire de la CD est occupée par des molécules d’eau, énergétiquement défavorables (interactions polaire / apolaire). Ces molécules d’eau pourront donc être facilement substituées par une “molécule invitée” appropriée, moins polaire que l’eau Figure I.4.
Introduction générale |