L’impossibilité d’un programme de développement

STRUCTURE D’UNE FIRMOSE

Si une boulangerie peut s’implanter dans une petite ville de 5.000 habitants, une usine d’automobiles requiert déjà un marché des centaines de millions de personnes et une firme comme Airbus ne peut survivre qu’avec des milliards d’habitants.
Une entreprise dont le marché recouvre les pays développés et les pays sous-développés s’installe naturellement dans les premiers, avantagés par leur marché plus important, la plus grande disponibilité des équipements et la concentration de l’expertise. Leur avantage initial a tendance à se renforcer par concentration itérative des arguments de production.
Prenons une industrie automobile qui s’implanterait actuellement à Dakar et dont la vocation serait de couvrir le même marché que Renault. Elle est d’abord confrontée à un environnement moins favorable que sa rivale française, car si celle-ci a choisi Paris plutôt que Dakar, c’est bien parce qu’à ce moment, Paris présentait plus d’arguments économiques que son implantation a contribué à renforcer. Et il est extrêmement difficile que la situation puisse changer du jour au lendemain.
A cette pénalité de localisation s’ajoute la nature des firmes de la taille de Renault qui sont des redoutables rescapées de vieilles guerres féroces. Elles ont développé une expertise pointue, un puissant réseau de distribution, des filiales et des collusions politiques qui leur permettent d’évacuer facilement toute menace pesant sur leur marché.
L’avantage initial des pays développés crée ainsi un verrou qui interdit l’accès d’un certain type d’industrie aux autres, entraînant une configuration du monde qui reproduit l’architecture urbaine d’un pays, où les pays centraux jouent le rôle de grandes villes et les pays arriérés celui des petites. La difficulté de s’attaquer à de telles industries et d’évincer le pole de sa position hégémonique montre que l’insertion dans une Firmose est une incarcération difficilement réversible.
Les Firmoses réelles ont une configuration très complexe, mais on peut schématiquement distinguer quelques niveaux fondamentaux.
Le premier niveau appelé pôles centraux comprend l’Europe Occidentale, l’Amérique du Nord, le Japon et l’Australie. Ces pays à la pointe du développement industriel ont imposé une orientation de l’activité des autres parties du monde pour être complémentaire à la leur. A côté de ces pôles centraux évoluent des dépendances polaires, nées des délocalisations de certaines activités très exigeantes en main-d’œuvre, mais ayant à leur tour atteint un niveau industriel considérable leur permettant d’entrer en compétition avec le pole central. Elles sont toujours de taille réduite par rapport à l’économie centrale avec laquelle elles présentent de fortes proximités anthropologiques, idéologiques ou sociologiques : Corée du Sud, Singapour, Taiwan, Portugal, Sud de l’Italie, etc.
Le troisième niveau d’une Firmose est représenté par des pays stratégiquement insérés : il s’agit de pays suffisamment grands pour conquérir des segments de marché initialement dévolus aux anciennes puissances dominantes et de satelliser leurs voisins qui deviennent des dépendances de second ordre. C’est le cas classique de l’Afrique du Sud et le Brésil.
Le développement de ces pays peut être très important, mais au fur et à mesure que leur industrie devient puissante et qu’elle requiert un marché de plus en plus étendu, elle se heurte de front aux activités polaires. Leur économie subit alors un blocage dont ils ne peuvent échapper que si leurs voisins se développent également et leur offre un marché important et suffisamment proche pour battre leurs concurrents polaires généralement éloignés.
L’architecture ainsi décrite impose une distribution relativement rigide des revenus. On peut la schématiser de la manière suivante : En marge de cette architecture se situent les pays continentaux comme la Chine ou l’Inde dont la grande taille interdit toute satellisation et leur permet de créer eux-mêmes une Firmose autonome.
ESPACE DE LIBERTE D’UNE ECONOMIE
Toute initiative d’un pays suscite des autres des réactions de coopération ou d’obstruction qui peuvent la favoriser ou l’entraver. La marge de manœuvre ou « espace de liberté » désigne l’ensemble des programmes qu’iunpeut mener avec succès compte tenu des diverses contraintes. Elle dépend de multiples arguments tels que la place dans la Firmose, la taille démographique, l’abondance des matières premières, le niveau de développement, voire l’activité diplomatique ou les capacités opérationnelles. Elle dépend également des règles du jeu du commerce international. Par exemple, suivant que la politique de subventions est autorisée ou non, certaines activités pourraient être viables.
Le débat sur le commerce international apparaît ainsi en dernière analyse comme un débat sur l’espace de liberté, où chacun tente d’imposer les règles qui élargissent la sienne, prônant le libre-échange quand il est avantagé et le protectionnisme dans le cas contraire.
L’espace de liberté ne donne cependant qu’un potentiel, ce qu’une économie peut faire dans un cadre institutionnel précis, mais encore faut-il qu’elle puisse en mobiliser les moyens.
ETATS DE RETARD ET ETATS OCCLUS
QU’EST-CE QUE LE SOUS-DEVELOPPEMENT ?
Le sous-développement peut désigner un « état de retard », le fait d’une communauté n’ayant pas encore absorbé des techniques productives communes ailleurs. En effet, la diffusion d’une innovation n’est pas spontanée et uniforme et elle peut être freinée par une organisation sociopolitique défavorable, des difficultés environnementales ou des faiblesses opérationnelles. Le retard de la communauté se traduira par une foule d’insuffisances comparativement à ses voisines : plus bas niveau de revenu, absence d’infrastructures, faible espérance de vie… Ce retard est rapidement absorbé dès que la Communauté fait sauter les facteurs constrictifs à son évolution.
Le retard peut cependant se geler en un « état occlus », la Communauté se retrouvant bloquée dans son évolution. La notion de blocage est ici prise dans une perspective anthropologique : si dans les époques passées, les retards se justifiaient par l’hétérogénéité des interprétations de la nature, encore marquées par les cultures spécifiques, ils prenaient un caractère anormal dès lors que la science et la technique s’étaient standardisées. L’universalisation d’un même enseignement à une Humanité supposée homogène impliquait que des hommes formés dans les mêmes écoles avec les mêmes schémas techniques devaient logiquement avoir un même accès aux facilités offertes par la même science qu’ils avaient étudiées dans les mêmes termes. D’où la légitime espérance que les mêmes recettes devaient aboutir en tout lieu et en tout temps à un niveau de vie analogue.
L’impossibilité factuelle de liquider le sous-développement consacrera l’échec de cette logique et la problématique se cristallisera autour de deux axes d’explication : le premier, enfermé dans la logique du retard et fondé sur une évolution linéaire du développement, continuera à attribuer la situation à des insuffisances opérationnelles. Après avoir perdu sa crédibilité dans les années 70, cet axe s’est revitalisé avec l’effondrement du communisme et forme l’ossature idéologique des organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale, OMC).
Le second qui couvre une large palette d’idéologies allant du marxisme au tiers-mondisme décrit le sous-développement comme la conséquence du développement, soit parce qu’il traduit des rapports d’exploitation, soit pour des raisons purement organiques. En nette perte de vitesse depuis l’éclatement du bloc soviétique, elle a recommencé à pointer du nez avec l’échec des programmes d’ajustement.
Nonobstant les précieux instruments d’analyses qu’elles ont pu confectionner, l’approche trop idéologique de ces écoles de pensée ne pouvait saisir la quintessence d’un état occlus qui ont un cadre d’expression, la Firmose et une cause, le Grand Corollaire des Hiérarchies.

CADRE D’EXPRESSION DES ETATS OCCLUS

Dans une Firmose, les pôles supérieurs interdisent certaines activités à leurs dépendances qu’ils confinent à des secteurs dont les économies d’échelle sont faibles ou les coûts de transport trop élevés.
Il s’établit entre toutes les agglomérations un équilibre dépendant de leurs populations respectives, du revenu moyen et de leur structure socioprofessionnelle. Si l’une des variables est modifiée suite à l’implantation d’une nouvelle entreprise ou de l’ouverture d’une mine, il se crée immédiatement un flux migratoire de toute la Firmose pour rétablir un nouvel équilibre.
L’équilibre d’une Firmose sera donc en permanence rompu par de multiples facteurs : évolution technologique, redistribution géographique des matières premières, croissance différentielle des populations, modification du système productif, réaménagement de nouvelles zones, etc. Concomitamment se produira un redéploiement permanent des populations et des capitaux, dans un jeu d’équilibre perpétuellement modifié et perpétuellement recherché.
Cependant, la concentration des unités de production en gigantesques entreprises favorise le pole de la Firmose qui gonfle démesurément, dévorant littéralement le pays et générant d’importants problèmes de gestion, de circulation et de confinement.
Cette situation conduira les dépendances à deux destins différents que nous illustrerons avec la Firmose Parisienne, et deux de ses dépendances, la région marseillaise et le Sénégal.
Paris étant en France, le pouvoir politique français va procéder à sa dispersion économique, en transférant certaines activités dans les agglomérations d’importance moindre dont Marseille. De telles activités se présentent fonctionnellement comme des enclaves économiques dont le marché, les matières premières, les centres de décision et la technologie n’ont pratiquement pas de lien avec les activités naturelles de l’agglomération qui les héberge.
Ces extraterritorialités du pôle le soulagent d’une importante population et de multiples activités qui le congestionnent, tout en disséminant le revenu, réduisant ainsi les disparités entre régions. La France apparaît dès lors comme un immense pôle diffus.
Le redéploiement n’est cependant possible que si la zone dépendante fait partie du même pays que le pôle. Dans leur dépendance économique vis-à-vis de Paris, le Sénégal n’est pas différent de la région marseillaise. Mais alors que toute rupture d’équilibre qui avantage Paris au détriment de Marseille se traduit automatiquement par un transfert des populations ou une action de rééquilibrage des pouvoirs publics, le Sénégal ne peut bénéficier des mêmes avantages et sa population doit rester confinée sur son territoire. Mais comme son arrimage à une Firmose lui interdit les activités à grande économie d’échelle, les seuls secteurs que Paris lui autorise définiront ses possibilités de croissance qui, sitôt épuisées, plongeront le pays dans un blocage structural dont il lui est presque impossible de sortir.
On peut cependant se demander pourquoi un pays occlus ne développerait-il pas simplement les secteurs qui lui sont autorisés, en se consacrant par exemple à l’agriculture. Mais ce raisonnement très répandu est malheureusement erroné : en effet, toute économie fonctionne à partir d’un noyau de quelques machines de base qui sont à l’origine de toutes les filières de production. Les moteurs sont ainsi  construits par les machines-outils, les routes par les bulldozers, l’électricité par les turbines, etc. Il en découle que l’appareil productif d’un pays est essentiellement conditionné par sa capacité à se procurer ce noyau auquel le volume de la production est proportionnel.
Les pays développés ont la possibilité de le fabriquer physiquement et il leur suffit d’adopter une politique conséquente d’investissement pour en augmenter la taille, amplifiant leur appareil productif dans les mêmes proportions.
Les autres ne peuvent s’en procurer qu’à l’extérieur, en échange des matières premières et uniquement dans la stricte proportion de leur capacité et de la demande mondiale. De ce fait, leur capacité productive et leur PIB s’alignent rigidement sur leurs exportations.
Mais celles-ci, pour de multiples raisons ne peuvent pas évoluer au même rythme que les besoins de leur population, de plus en plus nombreuse, instruite et séduite par les inventions et les commodités offertes par une technologie très évolutive.
Supposons que le Sénégal produise le mil qu’il consomme et l’arachide (matières premières) qu’il exporte en échange de tracteurs (outils de production). Dans un premier temps, tout marche bien : l’arachide permet d’importer les tracteurs en nombre suffisant pour nourrir la population et entretenir ses plantations. La balance commerciale est équilibrée.
Supposons maintenant que sa population double. Les besoins sont doublés et par conséquent, il doit doubler le nombre de tracteurs. Seulement, doubler le nombre de tracteurs suppose qu’on double la production de l’arachide qui doit les acheter, situation difficilement réalisable à cause de la Loi des Quatre Ecueils :
-le premier est la disponibilité des espaces cultivables, car un territoire n’est pas extensible et du reste, le mil qui doit doubler est en compétition avec l’arachide qui doit aussi doubler ;
-le second est la loi des rendements décroissants : les espaces les plus rentables étant déjà exploités, le doublement de la production requiert plus que le double du nombre de tracteurs ;
-même si le territoire le permettait et que les rendements n’étaient pas décroissants, il n’est pas très sûr que cette offre accrue se traduise par des revenus d’exportation proportionnels, car elle peut saturer le marché et entraîner une réduction du prix, notamment quand la population de ses partenaires n’a pas parallèlement doublé ;
-enfin, l’arachide est un produit primaire qui n’évolue pas, contrairement aux tracteurs. Au cours du temps, la valeur d’un tracteur en arachide s’accroît, sans que les performances suivent nécessairement dans les mêmes proportions, car cette amélioration peut se limiter sur les éléments de confort.
Quel que soit le cas, le Sénégal sera confronté à l’un de ces écueils et ne pourra jamais avoir autant de tracteurs qu’il le souhaite. Sa production agricole se verrouille au niveau de ses exportations et, en l’absence d’une mine providentielle, d’un don gracieux ou d’une salutaire plage touristique, son économie sombre dans un état occlus.
Une grande partie de la population n’arrive plus à trouver de l’emploi et commence à engorger l’économie, la transformant progressivement en un magma informel.
La seule voie de sortie pour le Sénégal est de se forcer à produire les biens du noyau, et il peut d’autant mieux le faire qu’il dispose des Ingénieurs dont  beaucoup ont étudié dans les mêmes écoles que ceux d’Europe. Malheureusement, l’environnement technologique, la taille des marchés et l’immense retard par rapport à la concurrence extérieure rendraient ses tracteurs trop coûteux, peu compétitifs et peu viables.
Incapable dans ces conditions de créer une industrie locale du fait même de la concurrence étrangère dont l’antériorité a créé des avantages difficilement réversibles, incapable également d’augmenter ses exportations en fonction de ses besoins, le Sénégal se retrouve confiné à des activités périphériques de service ou de production primaire dont le potentiel de croissance est très faible. Ces quelques secteurs autorisés drainent tous les capitaux et se retrouvent rapidement engorgés, plongeant l’économie dans l’informel qui dégrade l’épargne, affaiblit davantage le système productif et ne présente aucune perspective de développement.
Toutes ses tentatives de sortir de cette situation ne feront que l’entraver davantage et le pays, surendetté, ne survira plus que de charité internationale. C’est cette forme de retard gelé, impossible à éliminer qui constitue spécifiquement l’état occlus, forme dramatique du sous-développement.
Comme on le voit donc, l’état occlus est une impasse technique et non la conséquence de la colonisation, du retard technologique initial, d’une démographie vigoureuse, de la dégradation des termes de l’échange, d’un complot mystérieux, de l’exploitation des pays centraux ou des défaillances opérationnelles des pays arriérés. Il s’agit là de facteurs adventices qui viennent l’aggraver et lui donner un caractère plus dramatique. Il aurait donc toujours apparu indépendamment des contingences historiques : l’histoire peut expliquer pourquoi telle partie du monde a connu tel sort et pourquoi l’Afrique s’est retrouvée dans le mauvais camp, mais elle n’explique pas le phénomène du sous-développement.

EXPRESSION INTRINSEQUE DES ETATS OCCLUS

L’état occlus désigne une évolution économique qui se fige brutalement : le pays exprime ses capacités productives jusqu’au maximum que lui autorise son niveau dans la Firmose, puis la structure productive se gèle en une grande hétérogénéité de niveaux technologiques. Aux manifestations d’un simple retard, l’état occlus ajoute trois symptômes spécifiques :
-un affaissement progressif de la croissance-CHU ; -l’impossibilité d’un programme de développement ; -une croissance asymétrique.
1. L’affaissement de la croissance à capital humain constant (croissance-CHU)
La croissance-CHUC qui évalue comment le revenu moyen d’une classe socioprofessionnelle évolue au cours du temps. C’est l’indicateur du niveau de vie tel que perçu par les ménages : un fils de cultivateur devenu Ingénieur ne compare pas sa situation à celle de son père, mais à celle d’un vieux voisin qui était Ingénieur comme lui et c’est en référence à ce dernier qu’il va se déterminer.
Mathématiquement, il se calcule en rapportant le revenu de la main-d’œuvre actuelle à celui qu’elle aurait avec les revenus de l’époque initiale.
Soit R0i le revenu réel de la catégorie socioprofessionnelle i au temps 0 et R1i son revenu réel au temps 1, f0i sa fréquence au temps 0 et f1i sa fréquence au temps 1.
L’indice de croissance-CHUC s’écrit :
ICHUC  =∑ f1i R1i=1+ i(CHUC)où i(CHUC) désigne le taux de croissance-
∑ f1i R0i
CHU.
Un indice de 115 correspond à un taux de croissance de 15% du salaire d’un Ingénieur, d’un médecin ou d’un fermier.
Mais entre les deux périodes, la structure socioprofessionnelle peut s’être considérablement modifiée et l’on aura par exemple plus d’Ingénieurs et moins de manœuvres. Cette évolution est mesurée par l’indice de Croissance du Capital Humain CCH ou croissance qualitative qui, mathématiquement, se calcule en rapportant le revenu moyen que la main-d’œuvre actuelle aurait eu à l’époque initiale sur le revenu moyen de la main-d’œuvre initiale :
ICHC =∑ f1i R0i= 1+ i(CHC) où i(CHC) désigne le taux de croissance-CHU.
∑ f0i R0i
Avec les mêmes notations, l’indice de croissance du revenu moyen s’écrit :
I = ∑ f1i R1i  =1+ i où i le taux de croissance du revenu moyen.
∑ f0i R0i
Mais on voit bien que I = ICHUC xICCH , ce qu’on peut également écrire :
1+ i = [1+ i(CHUC)][1+ i(CCH )], ce qui donne, lorsque les taux sont petits devant l’unité :
i = i(CHUC) + i(CCH )
La croissance du revenu moyen dans une économie apparaît ainsi comme la somme, d’une part, de sa croissance-CHUC qui mesure son dynamisme intrinsèque, sa capacité à améliorer le revenu d’un profil socioprofessionnel au cours du temps. D’autre part de l’évolution de sa structure socioprofessionnelle qui se traduit par une plus forte représentation des cadres.
Pour un pays dont la structure socioprofessionnelle ne connaît pas d’importantes modifications, le taux i(CCH ) est nul et la croissance-CHU est identique à la croissance simple. L’augmentation du PIB par habitant se traduit alors par une augmentation des revenus de chaque classe socioprofessionnelle dans les mêmes proportions, manifestant par là même le dynamisme intrinsèque de l’économie.
Les choses se passent autrement dans un pays occlus. Le salaire y connaît deux phases, la première où son évolution suit le PIB par habitant, en conformité avec la règle universelle et la seconde où ce salaire amorce une baisse systématique impossible à endiguer. Le système est paralysé et le taux de croissance-CHUC i(CHUC) devient négatif. Le revenu moyen peut cependant
augmenter dès lors que le profil socioprofessionnel i(CCH ) s’améliore.
Nous avons vu qu’une infirmière ne compare pas son salaire avec celui de sa maman qui était femme de ménage ou cultivatrice, mais avec les infirmières qui l’ont précédée, d’où il en ressort que la croissance n’a de signification concrète pour un ménage que si le biais introduit par l’intense structuration socioprofessionnelle est éliminé.
L’Afrique Noire présente le prototype d’un système occlus : à l’exception de quelques enclaves pétrolières, la croissance-CHU connaît une baisse systématique dans pratiquement tous les pays alors même que le revenu moyen augmente presque partout. Au Cameroun par exemple, alors que le revenu moyen a augmenté de 15% entre 1997 et 2007, la croissance-CHUC présente un taux négatif de 10% et un instituteur qui gagnait 100.000 FCFA n’a pas atteint 115.000FCFA, mais il a baissé à 90.000FCFA.
On comprend pourquoi, malgré les statistiques optimistes, le sentiment de misère reste aussi intense…
L’affaissement de la croissance-CHU trouve son explication dans la nature de l’enseignement qui, par-delà les spécificités des systèmes académiques, reproduit les mêmes filières de formation. Mais dans un pays en état occlus, l’impossibilité de développer certains types d’industrie empêche une grande partie de cadres techniques d’être opérationnels et les condamne au chômage.
Par effet de chaîne, ce blocage entraîne une constriction du secteur social, sevré des biens nécessaires à son extension. Il en découle un chômage massif que les victimes tentent de contourner par l’agglutination dans des activités tertiaires qui se saturent et dégradent l’emploi ou une forte poussée à l’émigration.
Une telle émigration a des caractéristiques particulières qui lui donnent une forme en U et dont la cause est la suivante : dans une économie normale, l’Ingénieur occupe la place de l’Ingénieur, le technicien celle du technicien et le manœuvre celle du manœuvre. Mais quand une économie ne peut plus créer des emplois aux Ingénieurs, ceux qui bénéficient d’aptitudes exceptionnelles s’en vont vers d’autres horizons, phénomène connu sous le nom de fuite des cerveaux. Le reste des Ingénieurs s’emparent des places des techniciens, qui à leur tour s’emparent des places des manœuvres et ne leur laissent comme alternative que d’aller ailleurs…

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