L’importance socio-économique de la pêche des bichiques à La Réunion face aux enjeux écologiques

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L’importance socio-économique de la pêche des bichiques à La Réunion face aux enjeux écologiques

La pêche des « bichiques » à La Réunion (océan Indien) est l’une des « Goby-fry-fisheries » les plus importantes en région tropicale, en raison de son importance socio-économique (Schübel 1998) et de ses remontées de post-larves historiquement très abondantes, après celles des « ipon » aux Philippines (Aboussouan 1969 ; Delacroix 1987). La pêche des « bichiques » est traditionnelle et emblématique sur l’île, historiquement source de revenus, de nourriture et d’échanges festifs. « Il y a des jours où cette pêche fournit la charge de plusieurs chevaux » rapportaient Cuvier et Valenciennes, en 1837. Mais les remontées autrefois massives et régulières sont décrites comme très sporadiques aujourd’hui ce qui menace l’activité, la ressource alimentaire, la culture et l’économie, auquel s’ajoute un conflit entre groupes de pêcheurs en mer et en rivière. L’affaiblissement manifeste du recrutement larvaire menace donc les enjeux socio-économique de la pêche et suggère que l’activité n’est pas durable et en partie responsable de ce déclin. En effet, Delacroix (1987), Aboussouan (1969) et des études plus récentes (Hoareau 2005 ; Teichert et al., 2014 ; Lagarde et al., 2015) rapportent un déclin des captures et accusent la surpêche et la dégradation des habitats naturels.
L’activité de pêche, comme elle se pratique actuellement aux embouchures des rivières, semble également s’opposer au respect des enjeux écologiques qui gravitent autour des espèces cibles. La pêche concerne en effet deux espèces de Gobies Sicydiinae, Sicyopterus lagocephalus (Pallas 1770) et Cotylopus acutipinnis (Guichenot 1863), toutes les deux appelées localement « bichiques » à l’état de post-larve mais respectivement « Cabot bouche ronde » et « Cabot des rivières » à l’âge adulte. Ces gobies amphidromes colonisent tout le cours d’eau et leur densité remarquable à l’échelle de l’île constitue l’un des trois indicateurs biologiques, employés à La Réunion dans le cadre de l’application des objectifs de la Directive Européenne Cadre sur Eau (DCE, 2000), qui vise à évaluer et atteindre le « bon état » des cours d’eau (Richarson 2012). Un des objectifs de la DCE est de restaurer la continuité écologique entre les habitats. Et la pêche des bichiques à l’embouchure des rivières a notamment été identifiée comme l’un des obstacles à cette continuité (DEAL et al., 2011). Dans ce contexte, les gobies peuvent être vus comme des « espèces parapluies », c’est-à-dire que la restauration de leur habitat à travers une régulation de la pêche, bénéficierait à de nombreuses autres espèces dans le milieu, qui ont besoin de migrer entre l’eau douce et l’océan et accomplir leur cycle de vie. Cet enjeu de restaurer la continuité écologique des cours d’eau est donc essentielle pour ces gobies et pourrait profiter à toutes les autres espèces diadromes ou non.
L’étude des phénomènes qui structurent les populations de poissons sont aussi des éléments clés à prendre en compte dans la gestion et la conservation des espèces (Lord 2009). Il est notamment important d’identifier les zones « sources et puits » qui structurent les populations à l’échelle d’une île ou d’une région. Des « zones puits » sont des zones peu propices à la colonisation c’est-à-dire que des larves attirées dans cette zone auront peu de chance de survivre.
La reproduction y est insuffisante pour contrebalancer un taux de mortalité élevé. C’est notamment le cas dans des milieux fortement anthropisés où par exemple la continuité écologique est fortement altérée (barrage, pêche, captage d’eau) (MCRae 2007). Des populations persistent dans ces zones « puit » grâce à l’immigration continu d’individus en provenance de « zones sources » (Pulliam 1988). Les zones « sources » sont au contraires des zones où le taux de naissance et plus élevé que la mortalité. Qu’en est-il de la structure des populations de gobies que nous étudions ? L’espèce C. acutipinnis est endémique de l’archipel des Mascareignes, présente uniquement à La Réunion et à l’île Maurice et l’espèce S. lagocephalus est largement répandue dans l’Indo-Pacifique, des îles australes (Polynésie française) dans l’océan Pacifique, jusqu’aux îles comoriennes dans l’océan Indien (Keith et al., 2005). Dans la région du sud-ouest de l’océan Indien, elle est présente dans l’archipel des Mascareignes (La Réunion et Maurice) et dans l’archipel des Comores (Anjouan, Mayotte, etc.). Deux clades ont cependant été identifiés au sein de cette espèce ubiquiste, un regroupant la plupart des haplotypes de la Polynésie française et l’autre clade regroupant la plupart des haplotypes des Mascareignes et des Comores. La population de S. lagocephalus dans la région du sud-ouest de l’océan Indien serait donc relativement isolée de celle du Pacifique, suggérant l’existence de barrières physiques à la dispersion marine (Lord et al., 2012). Les larves qui alimentent les différentes îles du sud-ouest de l’océan Indien seraient donc majoritairement d’origine régionale. Dans l’océan Indien, le courant de surface sud-équatorial s’oriente vers l’ouest ou le sud-ouest et traverse les Mascareignes. Dans ce courant, l’île de La Réunion se place en aval de l’île Maurice et en amont de Madagascar et des Comores (fig. 8). Les larves pourraient donc relier ces différentes îles comme le suggère Berrebi et al., (2005). Les populations des îles seraient interconnectées pour former une métapopulation à l’échelle de la région, ce qui est le cas chez de nombreuses espèces de poissons coralliens (Lecchini et Galzin, 2003). Dans ce modèle de métapopulation, il peut y avoir des déséquilibres dans l’intensité et le sens des échanges de gènes (Levins 1969) et donc dans l’approvisionnement larvaire. Il est ainsi peu probable, si les populations de gobies venaient à disparaitre à Maurice et à La Réunion, que les Comores soient en mesure de réapprovisionner les îles placées en aval, dans le courant sud-équatorial. Par contre, étant donné que les populations adultes des deux espèces sont abondamment représentées dans les différents cours d’eau de La Réunion (Teichert 2012), il est probable que l’île reçoivent une partie des larves en provenance de Maurice et soit aussi une source de larves pour les autres secteurs dans la région du sud-ouest de l’océan Indien et/ou qu’elle contribue fortement au renouvellement de ses populations locales par autorecrutement (Berrebi et al., 2005 ; Hoareau et al., 2007a). Pour S. lagocephalus, des études basées sur le polymorphisme enzymatique démontrent un grand flux de gènes entre les populations de La Réunion et de Maurice (Hoareau 2005), deux îles voisines. L’espèce S. lagocephalus n’est cependant pas répertoriée à Madagascar ce qui suggère que la dispersion d’est en ouest n’est pas seulement dépendante du courant de surface et que d’autres phénomènes interviennent dans la structuration des populations. Par exemple, la dispersion des larves pourrait ne pas être passive (Berrebi et al., 2005) et dépendre de facteurs biologiques. Nous ne savons pas dans quelle mesure le comportement influence la dispersion mais les capacités natatoires des larves sont reconnues comme non négligeables (Leis et McCormick, 2002). Ainsi, nous voyons que la conservation des populations de gobies à La Réunion pourrait revêtir une grande importance écologique pour le maintien des populations de gobies à l’échelle régionale et locale, mais aussi revêtir une grande importance pour la conservation des milieux dulçaquicoles réunionnais.
Les enjeux écologiques ne sont cependant pas indifférents à la durabilité de cette activité traditionnelle, ni indissociables de la préservation des enjeux socio-économiques. La conservation des stocks de Gobies à La Réunion serait profitable à l’activité qui dépend du recrutement larvaire. De plus, il n’est pas envisagé d’interdire l’activité qui revêt une trop grande importance économique et patrimoniale et dans la mesure où elle ne constitue pas la seule menace qui pèsent sur les populations de gobies à La Réunion. De nombreux obstacles à la continuité écologique, sur les différents cours d’eau pérennes de l’île, ont notamment été identifiés dans le SDAGE 2016-2021 (le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux). Les services de l’Etat ont donc engagés une procédure de mise en régulation de l’activité de pêche des bichiques aux embouchures dès 2012, en complément d’actions de restauration du milieu. Les questions qui se posent alors et que nous étudierons sont les suivantes :
Peut-on espérer que les mesures de gestion, engagées à l’échelle des bassins versants, qui comprennent la régulation de la pêche, seront efficaces pour stopper le déclin manifeste du recrutement ? Est-il possible de concilier activités humaines et protection de l’environnement ?
Dans quelle mesure la préservation des enjeux socio-économiques peut-elle s’associer à la préservation des enjeux de conservation des espèces ?

Objectifs de recherche et organisation de la thèse

La recherche fondamentale pour améliorer notre compréhension sur l’écologie de vie des espèces amphidromes, en particulier sur les processus qui entraînent une variabilité du recrutement larvaire, nécessite de tenir compte du contexte global, des pressions naturelles aux pressions anthropiques. Cela est d’autant plus important pour des espèces amphidromes qui dépendent des milieux océaniques et continentaux. De même, une gestion efficace des populations de gobies est indissociable de la prise en compte de l’environnement anthropique dans lequel elles circulent et des enjeux socio-économique. De nombreuses sociétés humaines se sont en effet développées au détriment de la nature, mais il ne faut pas croire que la conservation de la nature s’envisage au détriment de l’homme. Une majorité de scientifiques pensent désormais que l’homme fait partie intégrante de l’environnement et qu’il nous faut comprendre les rétroactions qui s’établissent entre la nature et la société, au sein de ce système dynamique qu’ils appellent le socio-écosystème. Ainsi, le travail de thèse se veut interdisciplinaire avec un volet d’étude en écologie sur les gobies et un volet d’étude en sciences humaines et sociales sur le contexte socio-économique et technique de la pêche, qui inclut les mesures de gestion. L’union de ces travaux menés en parallèle permet de se représenter le socio-écosystème dans lequel migrent les gobies amphidromes et les enjeux qui gravitent autour de ces espèces. Dans cette démarche scientifique, la problématique est appréhendée dans sa globalité pour améliorer notre compréhension des phénomènes et envisager des solutions originales. Dans notre cas d’étude, nous souhaitons apporter des éléments de connaissance et de réflexion en soutien à la gestion et à la conservation des gobies amphidromes à La Réunion.
La thèse comprend trois chapitres pour répondre aux objectifs suivants :
1- D’étudier la variabilité spatio-temporelle des traits de vie (âge, taille, poids, condition) des post-larves de Sicyopetrus lagocephalus au recrutement à La Réunion, afin d’enrichir nos connaissances sur le cycle de vie de l’espèce, de la phase de dispersion larvaire océanique jusqu’au recrutement des post-larves en rivières.
2- D’étudier l’importance culturelle, sociale et économique des bichiques à La Réunion, les pratiques de pêche, les problèmes que rencontrent les pêcheurs aux embouchures et les relations qu’ils entretiennent avec les acteurs publics, en particulier les services de l’Etat, afin d’évaluer la part de responsabilité de la pêche dans l’affaiblissement du recrutement larvaire et rétroactivement, évaluer l’impact de cet affaiblissement sur le socio-système, des pratiques de pêche aux mesures de gestion des cours d’eau engagées par l’Etat.
3- In fine, modéliser de façon théorique le socio-écosystème dans lequel s’insère « le bichique » afin de synthétiser les enjeux locaux qui gravitent autour de cette ressource, décrire l’équilibre dynamique du système et envisager l’évolution de ce dernier au vu des actions engagées par l’Etat au sein du SDAGE, en particulier pour règlementer l’activité de pêche en rivière.

Le site d’étude : l’île de La Réunion

La Réunion est une île localisée dans le sud-ouest de l’océan Indien, à 700 km de la côte est de Madagascar. L’île appartient à l’archipel des Mascareignes qui se compose de trois îles, La Réunion, Maurice et Rodrigues (fig. 1). La Réunion s’étend sur une surface de 2512 km², ce qui fait d’elle la plus grande des îles. Elle forme une ellipse de 71 km de long sur 51 km de large, orientée dans un axe nord-ouest. La Réunion est une île jeune d’origine volcanique, âgée de 3 millions d’années. Elle est formée de deux volcans : le piton des Neiges (le plus âgé, en dormance) qui culmine à 3069 m d’altitude et le piton de la Fournaise (le plus récent, en activité) qui culmine à 2613 m. Le piton de la Fournaise est un volcan de point chaud parmi les plus actifs de la planète. La fréquence des éruptions effusives qui produisent des coulées de laves (une fois par an environ), modèle la topographie de l’île de forme conique.
Figure 1. Localisation de La Réunion dans l’archipel des Mascareignes
Le climat de l’île est de type tropical et humide. Seulement deux saisons s’y distinguent, l’été austral et l’hiver austral, inversées dans l’hémisphère sud (austral signifie « qui se situe près du pôle Sud »). L’été austral est une saison chaude et humide qui s’étale de novembre à avril et l’hiver austral est une saison fraîche et sèche qui s’étend de mai à octobre. La saison de pluies est définie de janvier à mars et la saison sèche de mai à novembre. La saison cyclonique s’étend de novembre à avril, avec un pic d’intensité de janvier à mars. L’île est exposée aux alizés, un vent des régions intertropicales, soufflant d’est en ouest de façon régulière. Dans l’hémisphère sud, il souffle du sud-est vers le nord-ouest. Ce régime de vent est soumis aux perturbations tropicales et polaires, à certaines périodes de l’année (Robert 2001). Les hauts reliefs de l’île imposent une dichotomie entre la côte est (exposée, dite « au vent ») et la côte ouest (protégée, dite « sous le vent »). Les alizés qui viennent du sud-est sont bloqués par les montagnes. Il en résulte des précipitations plus abondantes sur la côte est (en moyenne 2-12 m/an), alors que la côte ouest est beaucoup plus sèche (1-2 m/an) (Soler 1997 ; Pfeiffer et al., 2004). On distingue ainsi deux régions climatiques définies par la hauteur des précipitations. La médiane de 2m/an délimite les deux régions (fig. 2). Bien que la répartition des précipitations sur l’île montre une grande variabilité spatio-temporelle, les dépressions tropicales et les cyclones associés aux précipitations affectent régulièrement l’ensemble de l’île, de janvier à mars (saison cyclonique). Le bilan précipitation-évaporation saisonnière (P-E) varie de – 50 à -100 mm/mois entre juin et octobre, à + 100 mm/mois entre janvier et mars (Oberhuber 1988).
En raison du relief pentu de l’île, les cours d’eau sont de type torrentiel. On recense 750 ravines et rivières, parmi lesquelles seulement 13 sont pérennes (fig. 3). Les pluies qui se forment en altitude, ont fortement érodé l’île pour former le réseau hydrographique dense de La Réunion et contrasté entre les versants ouest et est de l’île. Les régimes hydrographiques y sont très différents. A l’étiage, l’est bénéficie d’un apport d’eau régulier alimenté par des pluies d’alizés et irrégulièrement par les pluies des cyclones tropicaux, alors que sur la côte ouest, de nombreuses rivières s’assèchent temporairement pendant plusieurs mois. Ainsi, les rivières pérennes sont plus nombreuses à l’est. Il faut souligner que l’île de la Réunion détient plusieurs records mondiaux pour les précipitations. En conséquences et au vu du faciès de l’île, les débits de crues sont parmi les plus importants au monde (www.meteofrance.re).

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Ecologie de Sicyopterus lagocephalus (Pallas, 1770)

Notre travail dans le volet écologie de cette thèse concerne l’espèce Sicyopterus lagocephalus ( Sicyopterus qui signifie « à tête de lièvre »). Les populations adultes de cette espèce sont plus importantes en termes d’abondance sur l’île, ce qui influence directement l’intensité du recrutement, pour en faire l’espèce la plus pêchée au sein des « bichiques ». S. lagocephalus (Pallas 1770) (Teleostei: Gobiidae: Sicydiinae) qui appartient à la sous-famille Sicydiinae, est une espèce au cycle de vie amphidrome (fig. 4). L’adulte est réophile, il vit en rivière dans des zones où le courant est fort à modéré (Keith et al., 2003). On le retrouve dans les eaux claires, oxygénées, agrippé sur les fonds de galets et de rochers, lorsqu’il ne nage pas. La différence de couleur entre le mâle et la femelle est marquée en saison de reproduction. Les mâles ont une couleur bleu-vert et la queue rouge tandis que les femelles sont de couleur plus terne. Leur corps est brun, strié de bandelettes (fig. 5). Les adultes mesurent entre 4,5 et 13 cm.
La reproduction a lieu essentiellement entre janvier et juin. Les individus peuvent se reproduire toute l’année, excepté en altitude, où la période de reproduction est limitée aux mois les plus chauds (Teichert et al., 2014). La femelle pond entre 5000 et 120 000 petits œufs (Delacroix et Champeau 1992), en moyenne 30 000 œufs (Teichert et al., 2013). Les femelles pondent leurs œufs sous la face inférieure des rochers dans une matrice cohésive (fig. 6). Le mâle protège la ponte qu’il a fertilisée (Keith 2003) et assure son oxygénation pour limiter les attaques bactériennes. Les œufs fécondés éclosent en 48 heures. Les embryons libres (c’est-à-dire les pro-larves) doivent dévaler la rivière et atteindre la mer en un maximum de 96 heures, sinon ils meurent (Ellien et al., 2016). À La Réunion, des études antérieures soulignent qu’en l’absence d’obstacles, compte tenu de la vitesse d’écoulement des rivières, les pro-larves atteignent la mer en moins de 24 h (Valade et al., 2009).
La phase larvaire marine dure entre 4 et 9 mois (Hoareau et al., 2007b). Après cette phase de dispersion, les post-larves retournent en rivière poursuivre leur cycle de vie. À La Réunion, la période de recrutement s’étale principalement de septembre à février, ce qui coïncide avec la saison chaude et humide (Delacroix et Champeau, 1992). Le débit des rivières en saison des pluies (janvier-mars) peut être 600 fois supérieur au plus faible débit en saison sèche (www.meteofrance.re). On suppose que cet apport d’eau douce est un signal qui oriente les post-larves compétentes vers les rivières (Keith 2003). Aussi, le recrutement larvaire est plus intense entre le dernier quartier de lune à la nouvelle lune (Delacroix et Champeau, 1992).
L’entrée en rivière correspond à la phase de recrutement larvaire au cours de laquelle, les post-larves vont se métamorphoser en juvéniles (fig. 7) (Shen et Tzeng, 2002; Keith 2003). Cette métamorphose se fait sous le contrôle des hormones thyroïdiennes. Elle se caractérise chez les Sicydiinae, par la formation d’une ventouse puissante qui résulte de la fusion des nageoires pelviennes (Taillebois et al., 2011) (fig. 8). Cette ventouse leur permet de remonter les cours d’eau et de franchir des cascades abruptes (Keith 2003). La pigmentation et les écailles apparaissent progressivement. La nageoire caudale, fourchue dans l’océan, s’arrondit en rivière. La bouche en position terminale chez les larves planctonotrophiques migre en position sub-inférieure chez le juvénile, qui adopte dans la rivière, un régime herbivore benthique (Keith et al., 2008, Taillebois et al., 2011). Avec leur dentition, ils broutent le périphyton (mélange d’algues, de cyanobactéries, de champignons, de microbes hétérotrophes et de détritus). Ils utilisent aussi leur bouche pour évoluer sur le substrat et remonter les chutes d’eau, en complément de leur ventouse.

La pêche des bichiques, une activité de saison

La pêche se pratique traditionnellement dans les embouchures des rivières, où l’on capture avec des nasses les post-larves des gobies en phase de recrutement, et ce jusqu’à 600 m en amont des embouchures. Les pêcheurs capturent également les post-larves en mer, avec un filet moustiquaire à proximité des côtes. Bien que le recrutement des bichiques soit continu à l’année, l’activité de pêche se déroule principalement d’octobre à février durant l’été austral, lorsqu’il est de plus forte intensité. Les périodes de recrutement de l’espèce C. acutipinnis, se chevauche avec celle de S. lagocephalus. Le recrutement de C. acutipinnis est plus intense entre février et juin et entre septembre et octobre (Teichert et al., 2012). Ainsi, la pêche en saison estivale prélève essentiellement l’espèce S. lagocephalus, sur laquelle se concentre notre premier chapitre en écologie. Le second chapitre sur l’importance économique et sociale de la pêche, ainsi que le troisième sur la modélisation du socio-écosystème, concernent les deux espèces qui constituent ensemble, la ressource en « bichique » autour de laquelle gravitent de nombreux enjeux.
Cette thèse repose sur un travail de terrain important de 10 mois, au cours duquel nous avons collecté des échantillons de post-larves dans 7 rivières pérennes et réalisé une enquête anthropologique auprès des pêcheurs et divers acteurs publics. En écologie, nous avons fait appel
à la technique de l’otolithométrie, pour mesurer les traits d’histoire de vie des post-larves collectées et nous avons réalisé diverses analyses statistiques univariées et multivariées pour étudier la variabilité spatio-temporelle de ces traits autour de l’île. En sciences humaines et sociales, nous avons réalisé une analyse de contenu sur les entretiens semi-directifs, préalablement retranscrits. Nous détaillons ces méthodes dans les deux premiers chapitres correspondant aux deux volets d’étude (Ecologie/Sciences humaines). Le troisième chapitre ayant pour vocation de lier ces deux parties dans une démarche interdisciplinaire.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I. L’émergence d’un sujet de recherche
1. L’amphidromie : une stratégie de vie développée en milieu insulaire
2. La sous-famille des Gobies Sicydiinae, des amphidromes largement distribués et diversifiés dans l’Indo-Pacifique
3. Ce que l’on appelle les « Goby-fry-fisheries » : des pêcheries larvaires en région tropicale et intertropicale
II. Contexte de la thèse
1. L’importance socio-économique de la pêche des bichiques à La Réunion face aux enjeux écologiques
2. Objectifs de recherche et organisation de la thèse
MATERIEL ET METHODE GENERAL
I. Le site d’étude : l’île de La Réunion
II. Ecologie de Sicyopterus lagocephalus (Pallas, 1770)
III. La pêche des bichiques, une activité de saison
CHAPITRE 1. VARIABILITE SPATIO-TEMPORELLE DES TRAITS D’HISTOIRE DE VIE DES POST-LARVES DE SICYOPTERUS LAGOCEPHALUS AU RECRUTEMENT
I. Introduction
II. Stratégie d’échantillonnage et méthode
1. Echantillonnage
1.1 La collecte d’échantillons
1. 2 Les sites et périodes d’échantillonnage
2. Traitement des échantillons
2.1 Etude de la taille et du poids
2.2 Etude de l’âge
3. Structure du jeu de données
4. Analyses des données
III. Résultats
1. Exploration du jeu de données
2. Analyses de la variabilité spatiale du recrutement
2.1 Variabilité spatiale du recrutement en février 2015
2.2 Variabilité spatiale du recrutement en novembre 2015
3. Analyses de la variabilité temporelle du recrutement
3.1 Analyse temporelle du recrutement sur l’ensemble du jeu de données
3.2 Analyse de l’effet débit à l’échelle d’une saison
4. Analyses de la variabilité spatio-temporelle du recrutement
IV. Discussion
1. L’effet de la saison sur la variabilité des traits de vie des post-larves au recrutement
2. L’impact de l’épisode climatique El Niño 2015 sur la variabilité inter-annuelle des traits de vie des postlarves au recrutement
3. L’influence du site de recrutement sur l’île et de la situation géographique de l’engin de pêche en rivière, sur la taille et le poids des post-larves en fin de phase larvaire
CHAPITRE 2. LES PECHERIES DE « BICHIQUES » : CONTEXTE SOCIO-ECONOMIQUE ET TECHNIQUE
I. Introduction
II. Stratégie d’échantillonnage et méthode
1. Les acteurs ciblés par l’enquête
2. Lieux et périodes de l’enquête
3. Conduite des entretiens
4. Approche diachronique dans la cartographie des espaces de pêche
5. Les articles de presse, recueil d’informations historiques
6. Analyses
1. Retranscription des entretiens et analyse de contenu avec l’outil NVivo11
2. L’analyse des relations linéaires entre le prix et les quantités pêchées au cours du temps
3. L’analyse du discours des acteurs
III. Résultats & Discussion
1. Les bichiques : de l’eau à la bouche
1.1 Un héritage culturel
1.2 Qui sont les pêcheurs ?
1.3 Où pêche-t-on sur l’île ?
1.4 Les bichiques
1.5 Des pratiques et savoirs en mutation
1.6 La pêche des bichiques, une filière informelle
2. La pêche vue du ciel
2.1 Appropriation de la rivière : Des installations de pêche éphémères pour des territoires historiques
2.2 La pêche des bichiques à l’embouchure des rivières: un exemple de co-évolution nature-société
3. Collapse socio-écologique
3.1. Suivi des captures d’octobre 2014 à février 2016
3.2 Reconstruction historique des captures
3.3 Le prix au kilo, un proxy pour estimer les quantités pêchées ?
3.4 Recensement et occurrence des problèmes soulevés par les pêcheurs de bichiques
4. « Mise en conformité de l’activité de pêche », un pas vers la résilience ?
4.1 Vers une intégration des pêcheurs à la gestion
4.2 Le ressenti des acteurs sur la pêche des bichiques
4.3 Discussion sur la démarche de mise en conformité des pêcheries de bichiques
IV. Conclusion
CHAPITRE 3. LE SOCIO-ECOSYSTEME
I. L’embouchure, un écosystème de transition sous haute pression
1. Confluence des pressions anthropiques à l’embouchure
2. La tragédie des biens communs
3. Répercussions sur les autres espèces et la qualité de l’eau
II. Et si les pêcheurs traditionnels disparaissaient avant le poisson ?
III. Modélisation du socio-écosystème : un outil de réflexion et de sensibilisation
IV. La gestion de la pêche aux embouchures : une action en faveur de la résilience du socioécosystème
SYNTHESE ET CONCLUSIONS GENERALES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
RESUME

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