Les perceptions du soi physique au secondaire: un défi
L’ arrivée des élèves à l’ école secondaire correspond à une période développementale particulière dans notre société occidentale: l’adolescence; comme en témoigne son sens étymologique provenant du mot adulescens qui veut dire « celui qui est en train de croître » (Huerre, 2001). Durant cette période de la vie, l’être humain vit une période de changement tant sur les dimensions psychologiques, physiologiques que sociales. Cette période de la vie se différencie de l’ enfance et de l’âge adulte par l’apparition de la puberté, d’une quête identitaire profonde et du processus de séparation individuation (Claes et Lannegrand-Willems, 2014). Le processus de séparation individuation est le deuxième à survenir, le premier se faisant durant la petite-enfance (Blos, 1979). Ce processus pousse l’ adolescent à acquérir sa propre identité. Pour y arriver, il devra se différencier, en particulier, des membres de sa famille (Delage, 2008). Comme Cloutier (2005) le mentionne lorsqu’ il présente la théorie anthropologique de Mead (1993) ou de Benedict (1938), cette période de transition, étant aussi expliquée comme une sorte de période de crise, est purement occidentale. Ces auteurs expliquent que ce concept est différent d’une société à l’ autre et que, par exemple, les sociétés tribales ne vivent pas cette transition de la même manière que les sociétés occidentales.
D’ autre part, les adolescents expérimentent des transformations majeures sur le plan morphologique à la fois imprévisibles et indépendantes de leur volonté (Cloutier et Drapeau, 2008). L’ intégration de ce « nouveau corps » implique des modifications psychomotrices et affectives tant au niveau du schéma corporel que de l’ image corporelle, faisant respectivement référence à la valeur représentative et perspective du corps (Cash, 1997; Dolto, 1984). En plus de faire face à des changements physiologiques et psychologiques, l’adolescent vit une transition entre son école primaire et l’école secondaire. S’ ajoutant à cela, les pairs trouvent une place significative dans la vie des adolescents, tout comme les remarques de ces derniers (Beaulieu, 2007; Hernandez, Oubrayrie-Roussel, et Prêteur, 2012). En fait, Cantin et Stan (2010) ont démontré que les commentaires des pairs par rapport au poids ou à la forme corporelle peuvent être considérés comme des « expériences relationnelles aversives » et que celles-ci sont étroitement reliées à l’insatisfaction corporelle des élèves. Selon de nombreux auteurs, ces contraintes s’accumulent et peuvent conduire à une chute des résultats scolaires, une baisse de motivation, une augmentation de la détresse psychologique et une baisse de l’estime de soi (Alspaugh, 1998; Anderman, Maehr, et Midgley, 1999; Barber et Olsen, 2004; Bouffard, Boileau, et Vezeau, 2001 ; Chung, Elias, et Schneider, 1998; Fenzel, 2000). L’estime de soi est un sentiment qui habite chacun, au fond de lui-même, de sa propre valeur et est un concept important des PSP (Cooley, 1902; Coopersmith, 1967; James, Burkhardt, Bowers, et Skrupskelis, 1890; Rosenberg, 1979). Des écrits plus récents vont également en ce sens en expliquant que l’ estime de soi est fortement reliée à la dimension affective de chaque individu (André, 2005).
Les PSP sont issues de différents auteurs et concepts théoriques (Cash et Deagle III, 1997; Cash et Pruzinsky, 1990; Fox et Corbin, 1989; Shavelson et al., 1976). En effet, Shavelson et ses collaborateurs (1976) furent parmi les premiers à conceptualiser « le soi physique » comme une composante multidimensionnelle de la hiérarchisation du concept de soi. Fox et Corbin (1989) ont proposé un modèle hiérarchique et multidimensionnel en déclinant le « Soi physique» en six dimensions. Toujours selon la même source, étant généralement conceptualisée parallèlement à l’estime de soi, l’image du corps fait partie intégrante du soi physique (Cash et Deagle, 1997; Cash et Pruzinsky, 1990). Selon l’intégration conceptuelle de Ouellet, Pauzé et Monthuy-Blanc (en préparation), ces deux construits psychologiques (c.-à-d. le concept de soi et l’image du corps) traduisent les PSP de la personne. En d’autres termes, comme le montre la Figure 1, les PSP admettent à son sommet l’estime globale de soi (communément nommée estime de soi) et au niveau intermédiaire la valeur physique perçue (c.-à-d. le sentiment de fierté ou satisfaction générale). Au dernier niveau se retrouve, la force (c.-à-d. la confiance dans une situation exigeant de la force physique), la compétence sportive (c.-à-d. la perception de ses habiletés sportives), l’apparence physique perçue (c.-à-d. comment il se perçoit), l’insatisfaction corporelle (c.-à-d. que la personne est insatisfaite de son corps) et la distorsion corporelle (c.-à-d. que la personne ne se perçoit pas comme elle est réellement).
Étant un modèle multidimensionnel et hiérarchique, les relations entre les différentes dimensions sont présentes. Trois postulats émis dans le cas du concept de soi peuvent être transposés aux PSP pour illustrer ces relations: des relations ascendantes, des relations descendantes et des relations bidirectionnelles. Les auteurs préconisant les relations ascendantes (Byrne et Gavin, 1996; Sonstroem, Harlow, et Josephs, 1994) expliquent que les fluctuations touchant les sous-dimensions, moins stables, pourraient avoir des impacts sur les construits plus stables se trouvant au-dessus. Cette conséquence pourrait donc améliorer ou diminuer l’estime globale de soi de la personne. Quant aux auteurs prônant les relations descendantes (Brown, Dutton, et Cook, 2001 ; Greenier et al., 1999), ils mentionnent que les émotions d’une personne peuvent influencer l’ estime globale de soi qui, elle, influencerait les sous-dimensions des PSP. Enfm, d’autres auteurs mettent de l’avant l’hypothèse bidirectionnelle (Feist, Bodner, Jacobs, Miles, et Tan, 1995; Fox et Corbin, 1989; Marsh et Yeung, 1998). Celle-ci pourrait donc être à la fois ascendante et descendante, successivement ou bien simultanément. Basées sur cette relation de Fox et Corbin (1989), Monthuy-Blanc, Morin, Pauzé et Ninot (2012) démontrent qu’une remarque positive sur l’apparence physique se propagerait transversalement à toutes les autres sous-dimensions des PSP jusqu’ à l’ estime globale de soi tel ou de l’ estime globale de soi jusqu’aux sous-dimensions telles que démontré scientifiquement. D’autres études confirment également la relation bidirectionnelle entre les PSP et les performances chez des élèves de troisième, quatrième et sixième année (Marsh, Gerlach, Trautwein, Lüdtke, et Brettschneider, 2007). Ces auteurs expliquent qu’une amélioration des PSP améliorent les performances et que l’inverse est aussi vrai, une amélioration des performances améliore les PSP. Kowalski, Crocker, Kowalski, Chad, et Humbert (2003) démontrent cette relation bidirectionnelle dans les PSP de 618 étudiantes âgés de 14 à 18 ans.
L’importance des facteurs protecteurs dans la prévention des TCA
L’ Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 1998) explique qu’un programme de prévention primaire vise à diminuer les causes et les facteurs de risques d’une maladie, ce qui a pour effet de réduire l’émergence de nouveaux cas dans une population qui est saine). Les différents programmes de prévention dans les écoles québécoises se retrouvent donc dans ce type de prévention primaire. Si les programmes de prévention en TCA ont évolué dans le temps (Monthuy-Blanc, 2018, ch. Il), la dernière et troisième génération de programme met en évidence la nécessité de viser une population cible (c.-à-d. à risque) tout en ayant de multiples séances interactives. Les programmes de prévention de première génération visent la population en général (Monthuy-Blanc, 2018). Leur approche a une visée éducative, un mode transmissif et leur objectif est de donner des informations sur les facteurs de risques et les complications qui sont liées aux comportements compensatoires inappropriés et à la restriction alimentaire. L’ Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM) a démontré, en 2002, que ce type de programme est inefficace et même dangereux. En effet, des auteurs ont démontré que ces programmes peuvent avoir des effets de dégoût et de stigmatisation pour une population saine ou encore avoir un effet de fascination pour une population à risque (Smolak, Murnen, et Thompson, 2005).
En tentant de corriger les limitations de la première génération de programme de prévention, des chercheurs ont développé et évalué empiriquement une deuxième génération de programme de prévention. Ils laissent de côté l’ explication des conséquences des comportements compensatoires inappropriés et de la restriction alimentaire aux personnes visées par le programme (Monthuy-Blanc, 2018). Par contre, certains éléments de similarités entre ces deux générations de programme sont toujours visibles, tels que la constituante universelle (c.-à-d. que le programme ne vise pas un public cible) et la visée éducative (c.-à-d. que l’objectif du programme est d’une diffusion transmissive). Son mode d’ intervention est, quant à lui, didactique et son objectif est d’ ouvrir une réflexion sur les comportements à risque, tout en développant un esprit critique par rapport à l’ influence et la pression de l’environnement (Stice et Shaw, 2004). Cette génération de programme a des résultats peu efficaces, ce qui fait possiblement questionner les auteurs sur le type d’approche à privilégier ainsi que sur public visé par le programme (Monthuy-Blanc, 2018). Dans le but de répondre à cette inefficacité, des changements drastiques ont été mis de l’avant dans la troisième génération de programme. Ils sont maintenant conçus pour une population à risque de TCA. L’approche inclut désormais des séances interactives, multiples, répétées et réparties dans le temps sous forme d’ ateliers. L’objectif de cette génération est de renforcer les facteurs protecteurs des TCA, par exemple l’ image du corps, l’ estime de soi ou même d’ encourager des comportements compensatoires appropriés s’ il y a surpoids ou obésité. Les programmes utilisant cette génération se sont avérés plus efficaces (Monthuy-Blanc, 2018).
Pour aller plus loin sur cette dernière génération de programme, Stice et Shaw (2004) ont recensé 44 études à l’intérieur d’ une méta-analyse portant sur les programmes de préventions primaires des TCA et en sont venus à émettre huit recommandations (voir Tableau 1). Tout d’ abord, le programme doit viser un public cible, comme les jeunes. En effet, les programmes visant une population à haut risque obtiennent de meilleurs effets que les programmes visant une population universelle (Stice et Shaw, 2004). La deuxième recommandation mentionne que le programme doit cibler les jeunes vers l’ âge de quinze ans. La troisième recommandation explique que le programme doit comprendre des sessions interactives. Selon Stice, Marti, Shaw, et O’Neil (2008) lorsque les adolescents participent à un programme interactif, celui-ci obtient un meilleur taux de succès. La quatrième recommandation explique que le programme doit contenir des sessions multiples et progressives, ce qui améliore le transfert des compétences. Selon la cinquième recommandation, il faut que le programme se déroule dans le milieu des usagers.
Selon la section III de la Loi sur l’instruction publique (Gouvernement du Québec, 2019), les élèves passent 180 jours par an à l’école à raison de sept heures par jour. L’élève passe donc une grande partie de l’ année avec les mêmes personnes signifiantes pour lui. Afin de suivre l’une des recommandations des meilleures pratiques en prévention des ACAI (c.-à-d. en implantant le programme dans le milieu de l’ usager), ce programme de prévention doit donc se dérouler à l’ école via une équipe pédagogique formée. La sixième recommandation explique que le programme doit se faire sous la supervision de professionnels de la santé, ce qui aide à ne pas produire l’effet inverse du programme. Quant à la septième recommandation, elle mentionne que le programme doit se baser sur des évaluations psychométriques. Enfin, selon la huitième recommandation, l’ enseignant place l’ élève au centre de son apprentissage en favorisant les interactions et en créant des situations où les élèves vont résoudre des situations problèmes en équipe, tout comme prôné par le Programme de Formation de l’École Québécoise (PFEQ, Gouvernement du Québec, 2006).
Résumé |