Comme évoqué précédemment, la communication orale est omniprésente dans les classes. Par ailleurs, la langue d’enseignement a un statut particulier à l’école. Elle représente un objet d’apprentissage et est l’outil qui permet de transmettre les savoirs.
Les écrits de Bruner (1983) et de Vygotski (2009) placent le langage au cœur des apprentissages, il permet d’acquérir des connaissances et de structurer la pensée. Les enseignants sont encouragés à faire verbaliser le raisonnement de l’enfant, à faire expliquer ses stratégies et à mettre en mots ses actions et ses opérations mentales. Par la discussion,l’enfant prend conscience de ce qu’il a compris. Meirieu (2008) affirme que le fait de « savoir qu’on sait, c’est bien plus que savoir » (p.11). Les enfants ont parfois de la peine à distinguer la tâche de l’objectif. En verbalisant leurs actes et ce qu’ils ont appris, ils articulent ce qui est propre à l’action et ce qui relève du raisonnement. Dans ce processus, l’enseignant joue un rôle fondamental. Il gère les échanges ainsi que leur évolution et développe la pensée des élèves en les amenant à dépasser leurs aptitudes. Les questions de l’enseignant, ses pratiques langagières, ses reformulations sont donc des outils qui permettent de construire la compréhension des élèves (Chabanne & Bucheton, 2002). De plus, l’importance de la communication orale se trouve tant sur le plan social qu’intellectuel et affectif. Les enfants apprennent à se connaître et créent des liens au travers des différentes interactions. Ainsi, le langage est également considéré comme un outil de socialisation. Le rôle important de la communication orale dans les premières années d’école suscite en nous une interrogation : qu’en est-il des enfants qui ne maîtrisent pas la langue d’enseignement ?
Les enfants allophones
Les recherches effectuées par Florin (1995) soulignent les grandes différences qui existent entre les enfants concernant leurs capacités de communication lors de leur entrée à l’école. Cette hétérogénéité est accentuée par la présence d’enfants ne maîtrisant pas la langue d’enseignement. Dans le système scolaire suisse, la présence d’élèves allophones est devenue courante au cours de ces dernières décennies. Afin de garantir leur intégration au sein de la société, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP, 1991) écrit qu’ « il importe d’intégrer tous les enfants de langue étrangère vivant en Suisse dans les écoles publiques en évitant toute discrimination » (p.1).
Les différences entre les enfants ne se situent pas seulement au niveau du langage. Comme le relève Cède (2006), les enfants débutent l’école avec un bagage très différent selon leur éducation et leur appartenance sociale. Les pratiques éducatives parentales influencent l’insertion de l’enfant dans le monde scolaire. L’étude de Cuisinier (1996) met en lien le style éducatif et l’origine sociale. En observant plusieurs mères avec leur enfant effectuant divers tâches, Cuisinier (1996) découvre que les mères de milieux populaires se concentrent sur le résultat. Elles ont tendance à contrôler, à diriger l’enfant et à faire à sa place, contrairement aux mères de niveau social élevé qui sont centrées sur la compréhension. Elles interrogent leur enfant pour qu’il anticipe et comprenne ses erreurs et le poussent à verbaliser ses actes. Ce type d’interaction permet à l’enfant de contrôler son action et lui permet d’aborder et de construire des outils cognitifs qu’il pourra réinvestir étant seul. Les classes sont donc composées d’enfants allophones ayant un bagage métacognitif ainsi que d’enfants allophones n’ayant pas encore acquis ces outils de pensée.
Avant de poursuivre, il nous semble important de clarifier le terme allophone. Perregaux (1994) définit une personne allophone comme étant « une personne qui connaît une ou plusieurs autre(s) langue(s) que celle(s) du milieu dans lequel elle se trouve » (p.157). Dans Le Petit Larousse (2003), nous trouvons la définition suivante: « Se dit d’une personne dont la langue première n’est pas celle de la communauté dans laquelle elle se trouve » (p.55). Les élèves allophones n’ont pas tous la même maîtrise de la langue d’enseignement. Certains sont presque bilingues et d’autres découvrent la langue du milieu dans lequel ils vivent à leur entrée à l’école.
La présence des enfants allophones, quelques chiffres
La Suisse fait partie des pays européens ayant un taux de population étrangère des plus élevés. Selon l’Office fédérale de la statistique (OFS, 2011), depuis les années 80, ce taux est en constante augmentation. L’accueil des familles étrangères dans notre pays entraîne l’intégration d’élèves primo-arrivants dans nos classes. Afin de mieux comprendre ce phénomène, quelques éléments historiques nous semblent nécessaires. La première vague d’immigration a eu lieu avant la première guerre mondiale. En 1910, environ 15% de la population suisse était d’origine étrangère (OFS, 2011). Il s’agit principalement de personnes venant de pays voisins notamment d’Italie et d’Allemagne. L’avancée industrielle incita des étudiants, des artisans et des travailleurs à venir s’installer en Suisse. La première et la seconde guerre mondiale diminuèrent le nombre de migrants, en 1940, seulement 5,2% de la population était d’origine étrangère. L’essor économique d’après-guerre et les changements politiques face aux travailleurs étrangers encouragèrent l’immigration. Mise à part la crise pétrolière des années 70 qui a engendré un retour de certains travailleurs dans leur pays d’origine, la proportion de migrants n’a cessé d’augmenter jusqu’à ce jour (D’amato, 2008). Jusque dans les années 60, la politique menée envers les étrangers reposait sur le principe de rotation. Ce principe consistait à engager de la main d’œuvre étrangère pour quelques années. Les travailleurs retournaient ensuite dans leur pays d’origine. A cette époque, l’immigration était perçue comme un phénomène temporaire. Ce n’est que lorsque cette idée fut abandonnée que les premiers regroupements familiaux eurent lieu et que les pays européens se préoccupèrent de l’éducation des enfants étrangers (Stenier-Khamsi, 1995).
Lois et recommandations
Face à cette situation, l’assemblée fédérale de la Confédération suisse a publié la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr). L’article 4 souligne que les efforts doivent être fournis par les autochtones et les personnes immigrées. Le respect et la tolérance sont des éléments indispensables. Cet article met un accent particulier sur la nécessité pour les étrangers d’apprendre la langue du milieu afin de favoriser leur intégration dans la société (Intégration, 2005). L’article 53 encourage l’établissement de conditions favorables à l’égalité des chances entre étrangers et Suisses ainsi qu’à la participation des étrangers à la vie publique (Encouragement, 2005).
Nous constatons que les lois ont évolué et se sont adaptées à l’évolution démographique de notre pays. Les recommandations de la CDIP découlent également de ce phénomène. Les cantons doivent faciliter l’entrée des élèves d’origine étrangère dans les classes et organiser des cours d’appui ainsi que des cours de langue gratuits. La CDIP encourage la promotion de la langue d’origine des élèves et demande aux cantons d’adapter l’évaluation des élèves allophones afin « d’éviter que les élèves de langue étrangère soient placés dans des classes d’enseignement spécialisé ou doivent redoubler une année scolaire seulement en raison de carences dans la langue d’enseignement » (CDIP, 1991, p.1).
L’intégration des enfants nouvellement arrivés exige des enseignants un réajustement de leurs pratiques éducatives afin de répondre aux besoins particuliers de ces élèves. A ce sujet la CDIP (1991) recommande que la formation des enseignants les prépare à enseigner dans des classes multiculturelles et les sensibilise à une éducation interculturelle. Il est également indispensable de collaborer avec les parents, de les informer et de les intégrer dans les activités scolaires.
Mesures et dispositifs d’aide
Plusieurs dispositifs d’aide sont mis en place pour soutenir les enfants allophones dans l’acquisition de la langue d’enseignement, les classes d’accueil en sont un exemple. Ce dispositif existe seulement dans certains cantons. Il s’agit de scolariser dans un premier temps les élèves nouvellement arrivés dans des classes particulières. En Valais, les élèves d’immigrants sont intégrés dans les classes ordinaires dès leur arrivée et reçoivent le soutien d’enseignants itinérants. Un conseiller pédagogique détermine la quantité de cours de français que recevra chaque enfant par semaine selon leurs besoins (CDIP, 2013).
Les cantons adhérant au concordat HarmoS proposent des cours de Langue et de culture d’origine (LCO). Les enfants issus de la migration peuvent suivre un enseignement dans leur langue première, ce qui leur permet de s’intégrer tout en préservant leur langue et leur culture d’origine.
1. INTRODUCTION |