L’implication au travail des salariés intérimaires les paradoxes de la flexibilité
Les relations d’emplois atypiques ont longtemps été négligées dans les recherches en gestion des ressources humaines : Rochford & Roberts [1982] avaient même utilisé l’expression de « personnes manquantes » (missing persons) pour stigmatiser le manque de considération apporté par les chercheurs aux particularismes des salariés en relations d’emploi atypiques. La tendance est aujourd’hui à la prise en compte croissante de ces formes d’emplois, qui font l’objet de recherches variées, concernant les salariés à temps partiel [ex : Feldman – 1990 ; Tansky & Gallagher – 1995 ; Palmero – 2000], les salariés intérimaires [ex : Marler & al. 2002 ; Liden & al. – 2003], les salariés en contrats saisonniers [ex : Mc Donald & Makin – 1999] ou les contractants indépendants [ex : Ang & Slaughter – 2001]. Cette prise en compte croissante de l’emploi atypique dans les recherches empiriques s’explique naturellement par la montée en puissance des contrats atypiques dans tous les pays développés à économie de marché depuis plus de 20 ans, liée au développement des stratégies de flexibilisation quantitative de la main d’œuvre menées par les entreprises [Quinlan & Bohle – 2004]. Nous verrons dans une première section que le travail intérimaire représente l’une des formes possibles de l’emploi atypique, et qu’il est largement utilisé en France en raison des multiples avantages qu’il présente pour les employeurs et pour certains salariés. La seconde section du chapitre sera consacrée à l’application du concept d’implication au travail développé au cours du chapitre précédent au cas des salariés intérimaires. Nous montrerons notamment que les résultats des études empiriques ne permettent pas de valider sans réserve la thèse « pessimiste » selon laquelle le statut d’emploi a priori défavorable des salariés intérimaires devrait générer une faible implication.
Le travail intérimaire, une forme d’emploi atypique en expansion
Les différentes formes d’emplois atypiques seront tout d’abord rapidement présentées et distinguées, en mettant l’accent sur la diversité et les spécificités nationales concernant l’emploi « non standard », selon l’expression d’A. Kalleberg [2000]. Nous verrons ensuite en quoi le développement de l’emploi atypique peut être relié aux stratégies de flexibilité quantitative des firmes, avant de nous focaliser sur la relation de travail intérimaire comme modèle exemplaire d’emploi atypique. Plusieurs expressions sont utilisées pour désigner les formes d’emploi non standard. Si l’on se réfère à la terminologie officielle, l’INSEE utilise le terme de « formes particulières d’emploi » (FPE) pour désigner les relations d’emploi qui ne sont pas organisées par un contrat à durée indéterminée : il s’agit de l’emploi à temps partiel, l’intérim, les contrats à durée déterminée, l’apprentissage et les contrats aidés La notion de contrats atypiques est largement utilisée également dans les travaux de l’INSEE et des organismes de recherche liés au ministère du travail (ex : la DARES), avec une signification identique à celle des formes particulières d’emploi. On trouve également plus rarement les expressions d’emplois flexibles [ex : Allouche – 1981 ; Henriet – 1982 ; Charles-Pauvert – 2002], ainsi que la notion juridique « d’emploi sous statut différencié ». Le terme de « contrats précaires » est aussi largement utilisé en France [ex : Castel – 1995 ; Paugam – 2000 ; Cingolani – 2005] malgré une connotation négative et des contours plus étroits que ceux de l’emploi atypique : il s’agit principalement ici, selon les sources officielles (INSEE et DARES) des salariés en contrat à durée déterminée (CDD) et en contrats de travail temporaire (CTT), ainsi que des empois aidés. Nous analyserons en détail la notion d’emploi précaire au paragraphe suivant En Grande-Bretagne et dans plusieurs pays européens, le terme d’emploi précaire (précarious employment) existe (ex : Bryson & Blackwell – 2006], mais le terme d’emploi flexible (flexible employment) est privilégié (ex : Guest & al. – 2006). Il est peu à peu concurrencé par l’expression d’emploi contingent (contingent work), qui a été proposé par deux chercheurs américains du Bureau National des Statistiques [Nardone & Povlika – 1989] et qui sera détaillé dans le paragraphe suivant. Les chercheurs anglo-saxons utilisent également souvent le terme de travailleurs périphériques (peripherical workers) pour désigner les salariés en contrats flexibles, en référence aux théories économiques de la segmentation, qui distinguent entre les salariés du « cœur » bénéficiant d’une certaine continuité d’emploi et ceux de la « périphérie », sous contrat flexibles [ Piore & Doeringer – 1971].
Si l’on en reste au cas de la France, les formes d’emplois particulières sont nombreuses : le contrat à durée indéterminée à temps plein constitue toujours la norme de référence49, en comparaison de laquelle se définissent les relations atypiques. Ces formes d’emplois sont le plus souvent issues d’aménagements et d’allègement de certaines contraintes propres au CDI. Ces aménagements peuvent porter sur la durée du contrat (ex : CDD, contrat de chantier), le temps de travail (ex : travail à temps partiel, contrat d’alternance), ou les obligations des parties (ex : contrat d’apprentissage). Les différentes formes de travail non standard doivent être distinguées, car elles conduisent à des modes d’exercice de l’activité salariée très diversifiées, et leurs impacts sur les attitudes peuvent être différents. L’une des principales différences dans le contenu de ces contrats réside dans le nombre et le statut des employeurs du salarié. Le tableau suivant résume les principaux dispositifs existant en France, qui ont été significativement remaniés depuis le vote de la loi du 19 janvier 2005 dite de cohésion sociale. Nous avons fait figurer dans ce tableau certaines formes de contrats qui n’appartiennent pas à la catégorie des formes particulières d’emploi définie par l’INSEE, mais qui constituent des modes atypiques d’exercice d’une activité rémunérée (comme par exemple le contrat de chantier ou le travail en « free lance »), afin d’obtenir une vue globale des modalités d’exercice d’une activité rémunérée.