Que ce soit par exemple dans le but d’obtenir un meilleur coût, d’augmenter leur flexibilité ou d’optimiser leur niveau d’expertise, un nombre grandissant d’entreprises ont recours à des stratégies d’impartition (ou d’externalisation) et à différentes formes de collaboration avec leurs fournisseurs. Ces relations, qui vont souvent bien au-delà de la simple transaction d’approvisionnement, méritent une attention particulière en raison de leur caractère stratégique (Barreyre, 1968, Gilley, 2000).
Pour différentes raisons, l’informatique s’avère une des fonctions les plus externalisées par les entreprises . La plupart des études portant sur l’impartition informatique (aussi nommée infogérance) traitent des problématiques liées à la grande entreprise. Au Canada, lorsque l’on parle de contrats d’impartition informatique, on pense souvent à des prestataires de services comme CGI (la plus importante firme de services informatique au Canada qui tire d’ailleurs 70% de ses revenus de l’impartition ). Contrairement aux contrats retentissants des grandes firmes comme CGI, les ententes d’impartition touchant la PME font très rarement les manchettes. Ce faisant, on se retrouve à négliger un pan entier du marché, occupé par une multitude de petits fournisseurs de services qui, par leur proximité géographique ou culturelle, répondent davantage aux besoins de la petite et moyenne entreprise. Or, ces PME jouent un rôle très important au sein de notre économie, procurant du travail à une très grande proportion de la population active. Selon Statistiques Canada , plus de 98% des entreprises québécoises compteraient moins de 100 employés, soit 230 900 PME. Les très petites entreprises (moins de 5 employés) représentaient quant à elles 73,2% des entreprises du Québec et ce, sans tenir compte des travailleurs autonomes. L’importance des PME est d’autant plus grande dans les régions périphériques, comme I’Abitibi-Témiscamingue, où l’on retrouve de petites agglomérations et une forte ruralité. C’est précisément dans les villages et les petites villes (51%), ainsi qu’en milieu rural (16%), où l’on retrouve la plus forte concentration de PME comparativement aux grandes agglomérations urbaines (33%) . En somme, la PME est une force motrice considérable pour le développement régional ainsi qu’un marché de plus en plus convoité par l’industrie informatique.
Selon une étude d’Evans Research Corp. , les PME seraient particulièrement loyales à l’endroit de leur fournisseur informatique. On dit également que la moitié des PME font affaires avec un fournisseur unique et que de ce nombre, 41% des PME ayant un fournisseur unique pour tous leurs besoins informatiques le font depuis plus de cinq ans. Cette loyauté des PME envers leur fournisseur informatique, mise en évidence par ces statistiques et certaines observations personnelles, constitue une piste de recherche particulièrement fertile qui sera étudié dans le cadre de cet ouvrage.
Bref rappel historique
D’entrée de jeu, le terme « impartition » a été promu dans la littérature francophone vers la fin des années soixante, sous la plume de Pierre-Yves Barreyre dans un ouvrage intitulé « L’impartition : Politique pour une entreprise compétitive » (Barreyre 1968). L’introduction de ce concept visait de toute évidence à élargir le champ conceptuel de la sous-traitance qui, face à la montée de nouveaux phénomènes, n’autorisait vraisemblablement plus une appréhension suffisante de la réalité. Comme le soulignait Barreyre, « impartition » provient du latin « impertitio », qui signifie: accorder, faire participer quelqu’un à quelque chose, communiquer. Avec le recul, on peut certes faire un rapprochement entre le marketing relationnel contemporain et l’impartition telle que définie par cet auteur. En ce qui le concerne, l’impartition devrait être vue comme un concept unificateur liant deux dimensions clés : la confiance et le partage entre partenaires d’affaires. Cette interprétation constitue un élément central de la présente étude, puisqu’elle s’est avéré un guide fondamental dans le choix et l’adaptation du cadre théorique.
L’impartition n’est certes pas un phénomène nouveau, considérant que toute entreprise doit un jour délimiter ses frontières, de prendre la décision de faire ou de « faire faire , telle ou telle activité (Barreyre 1968, Lonsdale and Cox 2000). Bien qu’il ne soit pas possible d’identifier un événement précis ayant déclenché le phénomène de l’externalisation, on constate une tendance croissante des entreprises à réduire leur degré d’intégration verticale et ce, depuis le début des années 80 (Lonsdale et Cox, 2000). Certes, cette tendance n’a pas touché l’ensemble des secteurs de la même façon, mais la vague semble bien réelle. Dans la petite histoire de l’impartition informatique, certains avancent qu’elle fût d’abord considérée » comme une prestation accessoire, comme un substitut pour les sociétés sans moyens, (Champenois, 1997, p.34). Aujourd’hui cependant, la réalité est toute autre, comme en font foi les nombreux écrits sur le sujet.
Désormais, la mondialisation impose de nouvelles règles du jeu que les entreprises contemporaines ne peuvent négliger: concurrence internationale, exigences des consommateurs à la hausse, influence des marchés financiers, etc. Au niveau de l’entreprise, cela se concrétise souvent par une nécessité de se recentrer sur certaines activités clés (activités dites de« coeur de métier>> ou en anglais, core competencies) et de confier à d’autres la gestion de fonctions plus ou moins critiques (activités dites « périphériques , ). On peut constater une croissance de l’externalisation à l’échelle mondiale de l’ordre de 20% par année (Barthélemy, L’Expansion Management Review, mars 2002). Cette tendance vers l’externalisation est particulièrement présente au niveau des activités de télécommunications, de l’informatique ou des ressources humaines par exemple. The Economist Intelligence Unit prévoyait d’ailleurs en 1999 une forte croissance à ce chapitre d’ici 2010 .
Force est d’admettre que l’impartition des technologies de l’information est déjà une stratégie d’affaires très fréquente à l’échelle mondiale. D’ailleurs, certains praticiens de l’industrie informatique commencent à observer une certaine tendance vers l’externalisation outre-mer (offshore outsourcing). Pour plusieurs grandes entreprises, il peut être très attrayant de se tourner vers des fournisseurs informatiques provenant de pays étrangers comme l’Inde, la Russie, la Chine, l’Irlande ou l’Europe de l’est par exemple. Combinant des compétences de haut calibre et un coût de main-d’œuvre très bas, ces fournisseurs étrangers deviennent des compétiteurs ou des partenaires incontournables pour les grandes firmes informatiques nordaméricaines. Selon ce même article, on apprend que CGI utilise ses activités en Inde de manière à pouvoir offrir à certains clients des économies pouvant atteindre jusqu’à 40%. On peut également voir en cette tendance une certaine opportunité pour les firmes informatiques canadiennes de desservir le marché américain, étant considérées comme des « nearshore providers », ils présentent un facteur de risque moindre en cette période d’instabilité mondiale.
L’impartition informatique a donc beaucoup évoluée, d’une activité totalement périphérique, elle s’insère de plus en plus profondément dans les processus d’affaires des organisations, petites ou grandes, publiques ou privées. On parle d’ailleurs de plus en plus de « BPO , (pour Business Process Outsourcing), où l’objectif n’est plus seulement de déléguer une infrastructure technologique, mais bien d’externaliser des pans complets des processus organisationnels (ressources humaines, paie, logiciels intégrés de gestion (ERP), etc.) qui ont abondamment recours aux technologies de l’information. C’est donc un domaine qui a subit et qui subira encore de nombreuses mutations au fil du temps et qui vaut la peine de s’y attarder.
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