L’IMPACT DU REDOUBLEMENT SUR LES T R A J E C TO I R E S S C O L A I R E S

L’IMPACT DU REDOUBLEMENT SUR LES T R A J E CTO I R E S   S C O L A I R E S

Les limites d’une estimation « toutes choses égales par ailleurs »

La manière la plus simple de considérer la relation entre le redoublement et les trajectoires scolaires consiste à estimer le modèle linéaire suivant : yi = a + rib + Xic + ui (3.1) où yi peut désigner la durée de scolarisation de l’élève i, le niveau de formation atteint au terme de sa scolarité secondaire, ou une indicatrice égale à un si l’élève a suivi ses études dans la voie professionnelle. La variable ri désigne le retard scolaire accumulé par l’élève i au cours de sa scolarité, mesuré en années. Si on s’intéresse à l’impact des années redoublées selon le cycle d’enseignement où elles se sont produites, la variable ri peut être décomposée en un vecteur indiquant le nombre d’années redoublées accumulées dans chacun des cycles d’enseignement du premier et du second degré (primaire, collège, lycée). Le vecteur Xi inclut l’ensemble des caractéristiques observables qui sont susceptibles d’influencer les trajectoires scolaires (sexe, origine sociale, etc.). Enfin, la variable ui désigne l’ensemble des facteurs inobservables qui déterminent les trajectoires scolaires indépendamment  (motivation, « sévérité » des conseils de classe, etc.). Le coefficient b, associé à la variable ri , peut s’interpréter comme l’effet d’une année de redoublement supplémentaire (par cycle d’enseignement, lorsque ri est un vecteur) sur les trajectoires scolaires. Ce coefficient exprime une corrélation entre le nombre d’années redoublées et les trajectoires scolaires mais ne mesure pas nécessairement une relation causale. Pour que ce coefficient mesure l’impact causal d’une année redoublée sur les trajectoires scolaires, il faut que, conditionnellement aux caractéristiques observables Xi , le nombre d’années redoublées ne soit pas corrélé aux déterminants inobservables des trajectoires scolaires ui . Formellement, pour que le coefficient b soit identifié, il faut l’espérance conditionnelle du terme d’erreur ui soit nulle. Cette hypothèse d’exogénéité conditionnelle du redoublement s’écrit : E (ui ∣ri , Xi) = 0 (3.2) Il semble a priori peu plausible que cette hypothèse soit vérifiée empiriquement. Il existe en particulier deux menaces possibles. La première est le biais dit de « variables omises ». Comme le suggère l’analyse descriptive menée dans le chapitre précédent, les redoublants présentent des caractéristiques sensiblement différentes de celles des non-redoublants : en moyenne, ils sont plus souvent que les autres de sexe masculin, d’origine sociale défavorisée et de faible niveau scolaire. Ce phénomène peut biaiser les résultats si certaines de ces caractéristiques ne sont pas observables, ou sont imparfaitement observées, alors qu’elles influencent directement les trajectoires scolaires des élèves. Pour expliciter ce point, prenons l’exemple de la relation entre les performances scolaires, le nombre d’années redoublées et le niveau de formation atteint dans l’enseignement secondaire. Les redoublants ont des performances scolaires inférieures à celles des non-redoublants. Les performances scolaires des élèves sont ainsi fortement et négativement corré53 Évaluation du coût du redoublement lées à leur nombre d’années redoublées. Or les performances scolaires peuvent par ailleurs avoir un effet sur le nombre d’années d’études complétées : plus un élève a de difficultés scolaires, moins il a de chance d’atteindre un niveau de formation élevé. Ne pas prendre en compte les performances scolaires peut donc conduire à exagérer l’impact négatif du redoublement sur le niveau de formation atteint car cela revient à attribuer au redoublement ce qui provient en réalité des performances des élèves. Autrement dit, le fait que les redoublants aient tendance à atteindre un niveau de formation moins élevé que les non-redoublants n’est pas nécessairement la conséquence de leur redoublement mais peut s’expliquer par leurs difficultés d’apprentissage plus grandes.

Le mois de naissance comme instrument du redoublement

Les difficultés méthodologiques de l’approche précédente peuvent être surmontées en adoptant une approche qui consiste à utiliser le mois de naissance des élèves comme source de variation exogène du redoublement. Les effets du mois de naissance sur les performances des élèves, leur parcours scolaire et leur insertion professionnelle ultérieure ont fait l’objet d’un très grand nombre d’études (voir Grenet, 2008, pour une revue de littérature détaillée). Cette littérature a été initiée par l’article fondateur d’Angrist et Krueger (1991) qui ont 59 Évaluation du coût du redoublement pour la première fois mis en évidence l’existence d’une relation entre le mois de naissance des individus et leur durée de scolarité. Dans cette étude très célèbre, les auteurs s’intéressent au rendement salarial de l’éducation, entendu comme l’effet moyen d’une année d’études supplémentaire sur le salaire. À cette fin, ils analysent l’effet de l’âge de fin d’études obligatoires sur le nombre d’années d’études complétées par les individus. Les auteurs remarquent que les élèves nés en début d’année peuvent quitter le système scolaire avant leurs camarades nés en fin d’année parce qu’ils atteignent l’âge minimum de fin d’études plus tôt. Par conséquent, les élèves nés en début d’année qui décident de ne pas aller au-delà de l’obligation scolaire ont complété un nombre d’années d’études inférieur à celui de leurs camarades nés en fin d’années qui ont pris la même décision. En France, la principale étude consacrée aux effets du mois de naissance sur les trajectoires scolaires et professionnelles est celle de Grenet (2010). À partir des données du Panel primaire 1997 et de la base centrale Scolarité 2004 pour le secondaire, l’auteur montre que le mois de naissance a un effet positif et statistiquement significatif sur le redoublement. À l’âge de 11 ans, les élèves nés en décembre ont une probabilité d’avoir redoublé à l’école primaire supérieure de 14 points de pourcentage à celle de leurs camarades nés en janvier (qui est de 17 %), soit un taux de redoublement presque deux fois plus élevé. Ce phénomène a priori surprenant est lié au fait que dans leur petite enfance, les élèves nés en décembre sont intellectuellement moins « mûrs » que leurs camarades nés en janvier, car ils sont plus jeunes. Cette maturité intellectuelle moins développée des élèves nés en fin d’année explique leur fréquence plus élevée de redoublement en primaire. L’étude montre que s’ils s’atténuent rapidement au cours du temps, les écarts de performances liés aux différences d’âge relatif persistent jusqu’à la fin du collège : aux épreuves écrites du DNB, les élèves nés en décembre obtiennent en moyenne des scores inférieurs de 10 à 15 % d’un écart-type à ceux de leurs camarades nés en janvier. Bien que les écarts de maturité relative s’atténuent rapidement avec l’âge, le mois de naissance influence durablement les trajectoires scolaires en raison de ses effets sur le redoublement en primaire et au collège. Le signal négatif associé au retard scolaire contribue en effet à influencer significativement les décisions d’orientation qui interviennent à la fin de la classe de troisième : le fait d’être orienté en décembre plutôt qu’en janvier réduit d’environ 3 points de pourcentage la probabilité de poursuivre ses études dans la voie générale et technologique et augmente d’autant la probabilité de poursuivre ses études dans la voie professionnelle. Ce phénomène résulte de la conjonction de deux facteurs, qui ont été mis en évidence par plusieurs études consacrées à l’orientation après la classe de troisième (Caille, 2004 ; 2005 et DEPP, 2013b) : d’une part, les élèves redoublants ont tendance à exprimer des vœux moins ambitieux, à niveau scolaire égal, que les nonredoublants. D’autre part, et toujours à niveau scolaire égal et à vœux d’orientation identiques, les redoublants sont davantage orientés par les conseils de classe dans la voie professionnelle que les non-redoublants. Dans le cadre de ce rapport, nous proposons de reprendre la démarche de Grenet (2010) en exploitant le mois de naissance comme une source de variation exogène (ou instrument) du retard scolaire accumulé par les élèves, afin d’identifier l’effet causal du redoublement sur les trajectoires scolaires. Nous nous focalisons plus spécifiquement sur l’effet du redoublement sur le nombre d’années passées dans le système scolaire (durée de scolarisation), sur le niveau de formation atteint (nombre d’années complétées) ainsi que sur la probabilité d’être orienté, après la troisième, dans la voie professionnelle plutôt que dans la voie générale et technologique.

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