Il est bien connu que le milieu de vie impacte grandement sur le développement physique et psychologique des enfants. De plusieurs façons, la pauvreté influence le comportement, le développement cognitif, émotionnel et physique des enfants issus de ces milieux (Dawson et al., 2000 ; Walker et al., 2011 ; Harmad & Rehkopf, 2016 ; Haft & Hoeft, 2017). Dans les pays à faible ou moyen revenu, les jeunes enfants exposés très tôt à la pauvreté sont sujets aux retards de croissance physique, mais également sont plus à risque de manifester des problématiques de développement cognitif et sociaux-émotionnel. Ces enfants défavorisés sont d’autant plus prompts de réaliser de piètres performances scolaires, d’avoir un faible revenu et de souffrir de maladie(s) chronique(s) à l’âge adulte (Lu et al., 2016). Chez l’adulte, le statut socio-économique est déterminé par un ensemble de facteurs tels le revenu annuel, le niveau de scolarité, l’ethnicité, etc (Agence de la santé publique du Canada, 2008). Le statut socio-économique des parents/de la famille a des répercussions non seulement d’un point de vue matériel (logement, alimentation, etc.), mais également sur le développement des enfants (Brooks-Gunn & Ducan, 1997). Effectivement, au sein de ces familles, les enfants sont fortement susceptibles de développer des comportements à risque pour leur santé (tabagisme, sédentarité, alcoolisme, etc.) ainsi qu’obtenir une faible performance académique (Sawyer et al., 2012 ; Silins et al., 2015 ; Wodtke & Parbst, 2017 ; Abrahamse et al., 2018). Du point de vue scolaire, la relation entre le statut socioéconomique et l’éducation tend généralement à démontrer que les jeunes issus de milieux défavorisés ont un indice de réussite scolaire inférieur à leurs camarades issus de milieux mieux nantis (Fiscella & Kitzman, 2009 ; Nuru-Jeter et al., 2010). Afin de se sortir de la pauvreté et d’augmenter par le fait même leur statut socio-économique à l’âge adulte, la solution passe par la scolarisation de ces jeunes défavorisés. Généralement, les conséquences d’un faible revenu familial font leurs apparitions dès la garderie et se maintiennent tout au long du parcours scolaire (Readon, 2011 ; Lillard et al., 2017). La qualité des écoles, où les ressources sont limitées ainsi que les déménagements fréquents sont des lots communs des enfants défavorisés (Chung et al., 2016). Également, ces enfants ont généralement un développement cognitif moins élevé, ce qui présage souvent une faible performance scolaire (Blair & Razza, 2007). D’autant plus, les jeunes issus de milieux pauvres sont plus à risque d’abandonner l’école hâtivement en comparaison avec leurs homologues issus de meilleurs quartiers (Harding, 2003). En plus de l’impact sur la performance scolaire, ces milieux défavorisés sont plus propices à l’apparition de troubles de comportements chez les enfants (Lucine et al., 2018). Chez des jeunes qui ont reçu un diagnostic d’instabilité chronique pédiatrique, 1 sur 5 ont en plus des troubles du développement émotionnel, comportemental ou social. Chez les enfants issus de milieux défavorisés, ces problématiques sont plus susceptibles d’apparaître (Halfon et al., 2017). Les enfants provenant d’un milieu moins fortuné sont également plus susceptibles de subir les conséquences du haut niveau de stress en raison du statut socio-économique des parents. L’incapacité ou la difficulté des parents à fournir un environnement stable, sécuritaire, stimulant et adapté pour leurs enfants constitue une source de stress majeur pour ceux-ci, en plus des nombreux facteurs négatifs pour leur développement, tels que la criminalité, la discrimination raciale et économique, la violence et les abus de toutes sortes (Halfon & al., 2017). Certaines études ont également démontré que les enfants exposés à de grandes quantités de stress durant l’enfance sont plus à risque de subir des changements au niveau du développement de leur cerveau. Ces changements surviennent principalement au niveau des aires associées à la régulation des émotions et au développement cognitif (Shonkoff, 2012 ; Lucine et al., 2018).
Impacts sur le développement du cerveau chez l’enfant
L’enfance est une période phare en ce qui a trait au développement des différentes structures du cerveau et des apprentissages (Naître et grandir, 2018). Tout d’abord d’un point de vue neurochimique, l’exposition à la pauvreté dès le jeune âge soumet le corps à une forte concentration de cortisol, l’hormone associée à la réponse hormonale au stress, régulée via l’axe hypothalamus-hypophyse-surrénalienne. Ces changements, entraînés par la régulation du cortisol, affectent les activités neuroendocrines des synapses, principalement au niveau du cortex préfrontal, causant ainsi des dommages structurels nuisant au bon développement de ces enfants (Haft & Hoeft, 2017 ; Luby, 2015). Ce stress, relié à la qualité de l’environnement dans lequel les enfants évoluent, influence ainsi la libération du cortisol et se manifeste plus particulièrement quand l’enfant est soumis à un stresse de nature économique (Brown et al., 2019). De plus, le développement de certaines structures du cerveau telles que l’amygdale, l’hippocampe et les lobes frontaux, temporaux et pariétaux, subissent également les conséquences de l’environnement socio-économique (Andersen et al., 2008 ; Teicher, Andersen & Polcari, 2012 ; Staff et al., 2012 ; Tomalski et al., 2013 ; Blair & Raver, 2016). Lors d’une étude menée chez 389 individus âgés de 4 à 22 ans vivant dans la pauvreté , les résultats obtenus ont révélé une diminution du volume de la matière grise du cerveau au niveau des lobes temporel, frontal et de l’hippocampe (Blair & Raver, 2016). Ces régions du cerveau, particulièrement les lobes frontaux, temporaux et pariétaux tendent à être associés à la performance académique et au développement cognitif. L’étude de Tomalski et collaborateurs en fait référence puisqu’elle tend à mettre en évidence l’influence du statut socio-économique sur le développement cérébral chez des nourrissons de six à neuf mois. Chez les nourrissons issus d’une communauté à faible revenu, l’activité électrique des ondes gamma dans le lobe frontal, région associée aux habiletés fonctionnelles, est nettement inférieure à celle des nourrissons provenant de familles avec un revenu plus élevé (Tomalski et al., 2013). Notons qu’en plus de la région frontale, plusieurs autres régions ou structures du cerveau tendent à être modulées par l’exposition à la pauvreté en bas âge. Au niveau de l’hippocampe, structure cérébrale qui joue un rôle primordial dans le processus de la mémoire et de l’apprentissage, les impacts du milieu social sont également observables. L’hippocampe serait moins volumineux chez les enfants qui ont vécu des épisodes de maltraitances et de très grand niveau de stress lors de l’enfance (Andersen et al., 2008 ; Teicher, Andersen & Polcari, 2012 ; Staff et al., 2012.). Par la suite, les régions occipitales et périsylviennes, généralement associées au langage et à la lecture, semblent sujettes à être moins volumineuses et/ou sous-développées chez les enfants exposés à une quantité et/ou qualité de vocabulaire inférieure durant la petite enfance (Noble et al, 2006 ; Hanson et al., 2015).. Le rôle de l’amygdale, partie du cerveau régulant la peur et les émotions en général, semble d’autant plus affecté par un environnement familial stressant chez les jeunes enfants. En effet, le milieu de vie défavorisé et le stress chronique ressenti pendant l’enfance auraient pour conséquence une trop grande ou une moindre activation de l’amygdale lors de l’exécution du traitement d’une émotion. Chez l’adulte, le faible statut socio-économique à l’enfance peut entraîner une amygdale moins volumineuse que la moyenne, influençant ainsi la réponse aux stimuli externes et entraînant un dysfonctionnement de la gestion des émotions et des signes de stress (Kim et al., 2013) (Johnson et al., 2016). Il résulte ainsi de ces diminutions au niveau de l’hippocampe, des lobes frontaux et temporaux, une association directe entre la pauvreté et les faibles performances cognitives, scolaires et comportementales (Hair et al., 2015). D’autant plus, la période comprise entre avant la naissance (prénatale) et les vingt-quatre premiers mois de vie, constitue une période phare en ce qui concerne les retards de croissances et cognitifs chez les enfants (Black et al., 2017).
Impacts sur le développement cognitif, comportemental et émotionnel
Concernant le développement cognitif, comportemental et émotionnel, la pauvreté et le milieu familial ont une grande incidence dès l’enfance et leurs répercussions se ressentent ensuite à l’âge l’adulte. Au niveau du développement cognitif, qui par définition regroupe tous les processus mentaux de la perception, la créativité et la résolution de problème, l’incidence néfaste de la pauvreté dans l’environnement familial est décelée à un très bas âge (Grantham-McGregor et al., 2007 ; Hanson et al., 2013 ; Hair et al., 2015 ; Blair & Raver, 2016). La performance cognitive chez les enfants et les adultes peut être évaluée via plusieurs tests dont le plus connu est le test du Q.I. (quotient intellectuel) en fonction de l’âge du patient. Lors d’une étude (Poh et al., 2019) menée chez des enfants malaisiens âgés de cinq à douze ans, les résultats ont démontré que le revenu familial, le niveau d’éducation des parents ainsi que les ressources nutritionnelles sont plus enclins à causer de faible performance cognitive. De plus, l’étude de Poh et ses collègues (Poh et al., 2019) met en évidence un lien entre l’obésité infantile et la pauvreté, comme étant également associé à un faible niveau de cognition. Cette relation avec l’obésité peut être expliquée par différentes théories, la différence de ratio entre les macronutriments et les micronutriments qui ont un impact sur le développement du cerveau, ou encore les effets négatifs du tissu adipeux sur la gestion de la leptine, des triglycérides et l’inflammation (Poh et al., 2019). Plusieurs auteurs démontrent que de faibles performances cognitives durant l’enfance ont des répercussions sur la qualité de vie à l’âge adulte puisque celle-ci peut être grandement affectée par des difficultés de développement social et de relation avec les autres (Bellanti & Bierman, 2000), des problématiques de santé mentale (Emerson & Hatton, 2007) ou encore des problématiques de santé physique associée à la cognition (environnement de vie, saines habitudes de vie, etc.) (Calvin et al., 2011). Sur le plan émotionnel, le milieu social dans lequel l’enfant grandit a des répercussions sur le développement de son tempérament (Yoshikawa et al., 2012 ; Choi et al., 2019). Une étude longitudinale menée chez 9217 enfants (âgé de quatre à quinze ans) démontre que les enfants provenant d’une famille ou d’un voisinage défavorisé sont plus enclins à démontrer des comportements antisociaux, être moins persistants et plus réactifs que les enfants bénéficiant de meilleurs statuts socioéconomiques. De plus, ces caractéristiques auraient tendance à se maintenir avec les années (Strickhouser & Sutin, 2019). Sur le plan comportemental, le stress économique combiné avec la privation matérielle a une incidence négative sur le comportement des enfants (Schenck-Fontaine & Panico, 2019). Chez les enfants vivant un stress associé à la pauvreté (financier, insécurité alimentaire, insécurité matérielle, etc.), on peut observer une tendance à l’internalisation des émotions et une extériorisation des comportements tel que l’hyperactivité, l’agressivité, la diminution de l’attention, etc. (Brown et al., 2017 ; Choi et al, 2019). Les problèmes comportementaux sont d’autant plus récurrents chez les enfants dont les parents ont eux-mêmes vécu des situations difficiles dans leurs jeunesses (Schickedanz et al., 2018).
Introduction |