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Champ théorique et conceptuel
Qu’est-ce que la motivation ?
Apparu tardivement au cours du XIXe siècle, le terme « motivation » vient du latin movere qui signifie « se déplacer, se mouvoir ». La notion de « mouvement » semble être ainsi au cœur de ce concept. La motivation peut donc, a priori, être définie comme la « source de tout mouvement ». Nous comprenons alors d’entrée l’importance que revêt la motivation dans l’apprentissage : tout apprentissage étant rendu impossible « sans cette mise en mouvement initiale, sans cet élan du cœur, de l’esprit et même du corps » (Vianin8).
Néanmoins, au-delà de cette dimension étymologique, la motivation demeure un domaine de recherche complexe qui fait l’objet d’une multiplicité de sources, de littératures et qui suscite de nombreux débats. Galand & Bourgeois (20069) écrivent, à ce propos, que « dans le champ de la motivation, il n’existe pas à l’heure actuelle de théorie unifiée ». Vianin explique, en effet, que « les définitions de la motivation sont multiples [car] elles se rattachent souvent à des « écoles » particulières » (200610).
Afin de mieux rendre compte de ce concept complexe, il importe de présenter brièvement ces différentes écoles et les différentes approches théoriques et conceptuelles de la motivation qui ont émergé tout au long de ces deux derniers siècles.
Historique des différentes approches théoriques
« Parler de motivation pour expliquer le comportement revient à se demander pourquoi l’individu agit. Cette recherche des causes du comportement humain a d’abord été l’objet de différentes conceptions philosophiques avant de devenir celui de théories psychologiques » (Fabien Fenouillet11).
En effet, les premières études sur ce qui détermine les comportements humains trouvent leurs sources chez les anciens philosophes grecs (ca. 400 av. J.C.). Tandis que Thrasymaque (- 454 av. JC), le sophiste, postule que « le comportement de l’organisme est motivé par l’intérêt personnel, la recherche du plaisir et l’évitement de la douleur » – ; les partisans du rationalisme – notamment Socrate, Platon et Aristote – affirment, par opposition, que « la raison est le déterminant premier du comportement humain ».
Fabien Fenouillet indique, dans son ouvrage12, que si la conception de Thrasymaque – reprise ensuite par l’hédonisme – est devenue populaire au cours du XVIIIe siècle et se retrouve en filigrane dans certaines théories modernes de la motivation ; l’avènement, au début du XXe siècle, d’une étude du comportement humain sur des bases empiriques – qui s’appuie sur l’expérience et non sur la théorie – a révélé les limites de cette philosophie du comportement.
Fabien Fenouillet explique qu’il est, en effet, très difficile de déterminer précisément les évènements susceptibles de provoquer du plaisir ou de la douleur puisqu’ « une grande partie de cette évaluation demeure subjective et donc inaccessible ».
Dans les années 1890, les premières études sur ce que nous appelons maintenant la « motivation » se sont donc appuyées sur un objet d’étude spécifique, à savoir l’ « instinct ».
Dans la lignée des travaux de Darwin13, Williams James a ainsi déterminé une liste d’une dizaine d’instincts (la peur, la colère, la curiosité, etc.) qui influenceraient, selon lui, les différents comportements humains. Toutefois, selon Fenouillet, McDougall (1908) est le premier auteur à avoir proposé une théorie ambitieuse de l’instinct. En effet, la définition qu’il en propose induit qu’un instinct particulier (la peur, la colère, la curiosité, etc.) est reconnaissable au but qu’il poursuit – les comportements étant dirigés vers un objectif. Cette définition permet ainsi d’établir une classification riche qui tend à inclure l’ensemble des comportements finalisés de l’être humain (la sociabilité, par exemple, peut donc être considérée comme un instinct au même titre que la peur ou la curiosité). De plus, cette théorie met notamment en évidence l’existence de comportements d’approche ou d’évitement en présence des objets qui pourront a priori satisfaire ou décevoir l’instinct.
L’explication des comportements humains par l’« instinct » s’est largement développée au début du XXe siècle – cette terminologie fut, d’ailleurs, fréquemment reprise par les psychologues, sociologues mais aussi économistes contemporains – et a favorisé l’émergence de nouvelles approches.
Approche psychanalytique
Selon la théorie psychanalytique (Freud, 1917) et celle des pulsions (Hull, 1943), tous les comportements sont déterminés par un nombre limité de pulsions physiologiques ; le terme « pulsion » étant la traduction française du terme allemand Trieb qui fut choisie à la place de la traduction initiale « instinct » – terme trop utilisé par la psychologie pré-freudienne.
Ainsi, la théorie psychanalytique « aborde la question de la motivation dans le registre affectif et la considère comme une caractéristique individuelle de la personne » (Vianin14). De cette théorie émerge le « modèle de réduction de tension » ou « modèle homéostatique » : à l’origine, il y a une pulsion qui crée une tension désagréable ; puis, cette tension pousse le sujet à l’action pour rétablir l’équilibre (en réduisant la tension). Deux principes sous-tendent ce modèle, à savoir les principes de plaisir et de réalité (frustration).
Approche béhavioriste
Dans le cadre de la psychologie, le débat s’est principalement cristallisé autour de « l’inné et de l’acquis » ainsi qu’autour des problèmes épistémologiques sur la prise en compte ou non des processus mentaux. Un autre courant théorique, le béhaviorisme (ou comportementalisme), s’est distingué de la position de McDougall sur ces deux points.
En effet, la théorie behavioriste – qui émerge au milieu du XXe siècle avec Skinner et ses études sur le conditionnement – postule que « le comportement des individus est modelé par les récompenses (ou leur absence) et les punitions (ou leur absence) qui en découlent ; il peut ainsi être renforcé positivement ou négativement » (Houssaye15, 1993, p.224).
En ne considérant pas la motivation comme une caractéristique individuelle de la personne, nous constatons que cette théorie ne prend finalement en compte que les motivations dites « extrinsèques », c’est-à-dire des motivations qui sont extérieures à l’individu (à l’apprenant).
Approche humaniste
À partir des années 1950, des chercheurs tels que Maslow et Rogers, établissent que la motivation serait finalement plutôt déterminée par des besoins physiologiques. Si cette approche humaniste présente des similarités avec la théorie des pulsions – comme Freud et Hull, Maslow estime que les individus naissent avec des besoins innés qu’ils tentent continuellement de satisfaire -, elle présente néanmoins un certain nombre de différences.
Maslow ajoute, en l’occurrence, qu’un individu tend à assouvir des besoins qui sont hiérarchisés (cf. modèle de la Pyramide de Maslow16). Ainsi, avant d’atteindre la réalisation de soi, un individu doit satisfaire d’autres besoins. Ces besoins – qui sont les conditions nécessaires à une possible motivation – sont les suivants : « la sécurité économique, la sécurité psychologique, le besoin d’être libéré de toute culpabilité, le besoin d’appartenir à une collectivité, le besoin d’amour et d’affection, le besoin de réussite, le besoin de partager et de se sentir respecté et le besoin de comprendre et de se comprendre » (Vianin17). En conséquence, si ces différents besoins ne sont pas respectés, l’enfant ne pourra pas se concentrer sur les apprentissages.
Approches cognitivistes
En 1932, Tolman18 est le premier psychologue à avoir proposé une approche cognitive de la motivation. Pour lui, les comportements humains ne sont pas seulement déterminés par des besoins ou des stimulis de l’environnement : les représentations individuelles jouent également un rôle important. Tolman est ainsi un précurseur de l’ensemble des théories de l’expectation-valeur. Selon Kurt Lewin, « la valeur d’une réussite dépend des attentes ou expectations des individus » (Fenouillet19) : une performance jugée « facile » aura nécessairement moins de valeur qu’une performance jugée « difficile » à réaliser. Dans la psychologie cognitive, la motivation est ainsi considérée comme « le fruit d’une élaboration cognitive du sujet […] Le contrôle que l’élève a de ses propres pensées peut effectivement influencer directement ses sentiments et son comportement » (Vianin 20 ). Tardif (1997) affirme, en outre, que cinq ensembles de facteurs composent la motivation scolaire : « deux systèmes de conception – conception des buts poursuivis par l’école et conception de l’intelligence – et trois systèmes de perception – perception de la valeur de la tâche, perception des exigences de la tâche et perception de la contrôlabilité de la tâche »21. Nuttin, lui, rappelle l’importance du but mais également celle de l’environnement. Nuttin établit, en effet, que « le sujet en situation élabore cognitivement des buts et des projets. La tension motivationnelle naît de l’écart créé entre la situation actuelle et le but conçu » (Vianin22). Enfin, en reprenant l’apport de Nuttin en ce qui concerne la relation entre l’individu et son environnement, les modèles sociocognitifs « soulignent que le comportement de l’individu dépend de facteurs internes, mais que leur origine se trouve dans l’environnement » (Vianin, 200623). Finalement, Rolland Viau (200724) – s’inspirant lui-même des travaux de Schunk, Zimmerman et Pintrich & Schrauben – propose la définition suivante : « La motivation en contexte scolaire est un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but. »25. Depuis l’avènement des courants cognitivistes et sociocognitivistes en psychologie, de nombreuses théories, concepts, et sous-concepts, ont été proposées sur la motivation.
Perspectives théoriques et conceptuelles récentes
Parmi les théories sociocognitivistes les plus importantes qui ont émergé au cours de ces dernières décennies figure notamment la théorie de l’auto-détermination proposée par Edward Deci et Richard Ryan. Le modèle de l’auto-détermination de Deci et Ryan (1985, 2002) postule que chaque être humain est un organisme actif qui, de manière innée, cherche continuellement à se développer psychologiquement, et ce, notamment par la satisfaction de ses trois besoins psychologiques de base, à savoir un besoin de compétence, d’autonomie et d’appartenance sociale (Bryan & Solmon26 ; Deci & Ryan27, 2000, 2002). Les auteurs avancent également qu’il existe différentes formes de motivation qui se différencient par leur degré d’auto-détermination (le degré avec lequel une activité est effectuée avec un sentiment de libre choix et de cohérence interne) (Deci & Ryan, 2000, 2002). Deci et Ryan (2002) distinguent ainsi trois grands types de motivation organisés selon un continuum : la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et l’amotivation – chaque forme de motivation étant associée à un niveau d’auto-détermination plus ou moins élevé.
À une extrémité du continuum, nous trouvons la motivation intrinsèque qui se caractérise par un locus perçu de causalité interne (Ryan & Deci, 2000). La motivation intrinsèque est ainsi « l’attrait de l’activité pour elle-même » (Lieury & Fenouillet28, 1996, p.39) et dépend de l’individu lui-même. L’individu se fixe ses propres objectifs et se construit ses attentes.
« L’enfant est motivé pour l’activité elle-même, indépendamment des éventuelles satisfactions ou récompenses extérieures que lui procure l’activité. L’élève souhaite donc approfondir le sujet et poursuivre son apprentissage pour le plaisir, par curiosité et pour son intérêt personnel. » (Vianin29).
Le concept de motivation intrinsèque se rapproche du concept de flow (Biddle, Chatzisarantis & Hagger, 2001)30. Selon Csikszentmihalyi, le concept de flow peut être défini comme étant « un état d’activation optimale dans lequel le sujet est complètement immergé dans l’activité » (Demontrond & Gaudreau, 200831). Autrement dit, c’est le fait de s’engager dans une tâche en étant porté par l’activité et sans avoir l’impression de faire des efforts ni de subir de pressions extérieures.
Nous trouvons ensuite la motivation extrinsèque qui, contrairement à la motivation intrinsèque, est caractérisée par un locus perçu de causalité externe, c’est-à-dire, une motivation essentiellement dirigée par des facteurs externes – récompenses, obligations, pressions sociales, sanctions, etc. (Biddle et al., 2001). Par ailleurs, le développement de la motivation extrinsèque tend à diminuer la motivation intrinsèque.
« L’élève effectue ici une activité pour en retirer un avantage ou pour éviter un désagrément. » Cette forme de motivation comporte un risque, à savoir « [qu’] en détournant les élèves de l’objet lui-même de l’apprentissage, on risque de le détourner aussi d’un apprentissage réellement signifiant » (Vianin32).
C’est, par exemple, le phénomène qui se produit souvent lors de l’utilisation de jeux, de matériel, de présentations ou formes attractives pour les élèves : ils ont du plaisir, mais n’apprennent pas nécessairement. Quatre formes de motivation extrinsèque peuvent être classées sur un continuum caractérisé par des degrés décroissants de motivation auto-déterminée :
– La régulation intégrée : le sujet choisit librement de s’engager dans une activité parce qu’il perçoit une relative concordance entre l’activité et ses motifs internes.
– La motivation extrinsèque à régulation identifiée : « le sujet s’engage parce qu’il juge l’activité valable et qu’il a identifié l’importance de son engagement » (Ryan & Deci, 2000).
– La motivation à régulation introjectée : l’individu s’engage dans une activité « pour éviter des sentiments négatifs, tels que la culpabilité, ou pour chercher l’approbation des autres » (Biddle et al., 2001). Cette forme de motivation est dépendante de facteurs externes (Deci & Ryan, 2002).
– La motivation extrinsèque à régulation externe : l’individu est motivé « par des éléments extérieurs à l’activité comme des récompenses matérielles ou l’évitement de punitions » (Ryan & Deci, 2000). Dans ce cas, l’engagement est complètement dépendant de la présence de ces facteurs externes, dès qu’ils disparaissent, la participation s’estompe (Ryan & Deci33). L’aspect auto-déterminé de la motivation y est totalement absent.
Le modèle de l’auto-détermination n’oppose donc pas, de façon dichotomique, la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque puisque cette dernière s’organise sur le continuum de sorte que certaines formes de motivations extrinsèques présentent un locus de causalité perçu plutôt interne, et d’autres, un locus perçu de causalité plutôt externe. Les auteurs vont d’ailleurs rassembler les motivations intrinsèques et les deux formes de motivation extrinsèque à régulation intégrée et identifiée sous une même terminologie, à savoir celle de « motivation auto-déterminée » (opposée à la « motivation non auto-déterminée »).
Enfin, à l’autre extrémité du continuum, nous trouvons l’amotivation qui correspond à « l’absence de toutes motivations chez l’individu » (Ryan & Deci, 2000, 61). Celle-ci apparaît lorsque l’individu ne fait pas ou plus de lien entre l’action qu’il entreprend et le résultat de cette action.
Figure 1 : Principales caractéristiques des différentes formes de motivation selon la théorie de l’auto-détermination développée par Ryan & Deci (2000).
Cette conception multidimensionnelle de la motivation s’accompagne d’une vision dynamique de la motivation, en la présentant comme pouvant évoluer d’une extrémité à l’autre du continuum. Par ailleurs, la motivation est composite : les individus sont finalement souvent animés simultanément par plusieurs formes de motivation avec des combinaisons de motivations intrinsèque et extrinsèque (Boiché, Sarrazin, Grouzet, Pelletier & Chanal, 2008). Rolland Viau souligne, à ce propos, que si la motivation extrinsèque est moins efficace et moins persistante sur le long terme (Lieury & Fenouillet, 2013), elle ne peut être réellement dissociée de la motivation intrinsèque puisque, selon lui, la perception de soi et de l’environnement (à l’origine de la motivation intrinsèque) est nécessairement influencée par cet environnement lui-même – dont les activités pédagogiques, l’évaluation, les règlements d’école et le milieu familial (Viau, 2000).
La définition de la motivation proposée par Fabien Fenouillet rejoint celle de Rolland Viau. En effet, Fenouillet établit – en s’inspirant de plusieurs définitions antérieures, et notamment de celle de Vallerand et Thill (1993)34 – que : « La motivation désigne une hypothétique force intra-individuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes et/ou externes multiples, et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du comportement ou de l’action […]. La motivation est avant tout un terme générique, utilisé à défaut d’une spécification plus précise sur la nature exacte de la force qui produit un comportement ou une action. En fonction du contexte, d’autres termes peuvent être utilisés pour définir plus précisément la nature de cette force. Les notions telles que « but », « besoin », « émotion », « intérêt », « désir », « envie », et bien d’autres encore, peuvent être utilisées pour une description plus précise. » (Fenouillet35).
En outre, Fabien Fenouillet (2009) met en évidence quatre modalités caractéristiques de la motivation :
– La direction : la motivation est une force qui oriente l’individu vers certaines finalités. En effet, pour comprendre le comportement de l’individu, il convient de prendre en compte la finalité du comportement, le « pourquoi ».
– Le déclenchement : effet le plus visible de la motivation. Il correspond à la modification du comportement (par exemple, la motivation va expliquer pourquoi l’individu passe du repos à l’activité.
– La persistance : persévérer sur la durée dans son comportement peut s’expliquer par le fait que l’individu maintient de manière volontaire une certaine force pour faire perdurer l’action.
– L’intensité : on retrouve ici la notion de force qui explique la production d’un effort.
Considérant cette mosaïque de théories de la motivation, nous allons maintenant nous intéresser aux sous-concepts permettant d’appréhender l’impact de la motivation sur les résultats scolaires des élèves d’école primaire.
Liens entre motivation et réussite scolaire
La relation entre la motivation et l’apprentissage – et au-delà, avec la réussite scolaire – paraît relativement naturelle. Plusieurs chercheurs dans le domaine de la motivation confirment d’ailleurs qu’il existe une relation réciproque entre la motivation et la réussite du processus d’apprentissage. Martin et Albanese (2001) postulent notamment que l’absence ou la faiblesse de la motivation constituent un véritable obstacle pour la réussite du processus d’enseignement-apprentissage (cité par Vianin, 2006). Chappaz (1992, p.40), quant à lui, confirme le lien entre la réussite et le degré de motivation et affirme ainsi que « les pourcentages de réussite augmentent avec la force de la motivation » (l’influence de la motivation scolaire étant encore plus forte chez des sujets faibles). Enfin, la conclusion de la recherche exploratoire de Métrailler (2005) – qui confirme également cette corrélation entre motivation et réussite scolaire – ajoute que plus les notes sont élevées, plus les résultats de la motivation « intrinsèque » sont élevés, et plus les notes sont basses, plus les résultats de l’« amotivation » (l’absence de motivation) sont élevés (cité par Vianin, 2006).
Pour Schunk (1991), la motivation influence « ce que l’on apprend, quand on l’apprend et comment on l’apprend », elle tient du processus. On ne peut donc l’observer directement : elle se déduit, en effet, par le choix que fera l’individu, les efforts qu’il conduira, la persévérance dont il fera preuve et la mise en mot qu’il en fera. Lorsque l’on aborde le concept de motivation on atteint donc nécessairement les perceptions que l’élève a de lui-même et des expériences qu’il vit. On retrouve, de ce fait, l’association d’un phénomène interne – comment l’élève se perçoit – et d’un phénomène externe – dans quel milieu cela a lieu. Et si, selon Viau (2000), cette perception que l’élève a de lui-même peut se décomposer selon trois axes – à savoir, la perception de la valeur de l’activité (le jugement qui est fait par l’élève sur l’utilité de l’activité qui lui est proposée), la perception de la compétence (la capacité que l’élève croit posséder pour réussir un cours), la perception de la contrôlabilité (le degré de contrôle que l’élève croit posséder dans le but de réaliser une activité) ; Fabien Fenouillet, quant à lui, insiste néanmoins sur le fait que le besoin de compétences joue un rôle essentiel dans la motivation à apprendre. En effet, selon Fenouillet, la motivation intrinsèque est la résultante de deux besoins cognitifs : la compétence perçue (sentiment d’efficacité personnelle ou auto-efficacité) et l’autodétermination (libre-arbitre, libre-choix, autonomie) – en références à la théorie de Deci & Ryan (1985) vue précédemment.
Le concept de la « compétence perçue » se retrouve dans différentes théories de la motivation avec des définition diverses. La perception de compétence se retrouve notamment dans la théorie de Deci et Ryan (1985) au travers de plusieurs relations possibles avec le sentiment d’auto-détermination. D’après les auteurs, lorsque le sentiment d’auto-détermination est fort et que la perception de compétence est également à son apogée alors la motivation est maximum. La perception de compétence a également été très étudiée par Bandura (1997) au travers d’un autre concept, à savoir celui de l’auto-efficacité.
« L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités. L’efficacité personnelle perçue concerne les évaluations par l’individu de ses aptitudes personnelles. Cependant elle n’est pas une mesure des aptitudes d’une personne mais une croyance relative à ce qu’elle peut faire dans diverses situations, quelles que soient ses aptitudes. Des personnes différentes avec des aptitudes identiques, ou la même personne dans des circonstances différentes peuvent donc obtenir des performances faibles, bonnes ou extraordinaires, selon les variations de leurs croyances d’efficacité personnelle » (Bandura36).
L’efficacité personnelle perçue contribuerait ainsi fortement aux performances, quelles que soient les capacités réelles : les élèves persuadés de pouvoir réussir ont nécessairement plus de chances d’essayer différentes stratégies, de persévérer et de réussir mieux que d’autres, qui, troublés par des incertitudes, font un mauvais usage de leur aptitudes (Bandura, 2003). Or, comme nous pouvons le constater dans nos pratiques professionnelles, les élèves régulièrement confrontés à des échecs risquent de se trouver pris dans un engrenage : « Un apprenant dont un échec ébranle la confiance en ses compétences devient moins susceptible de produire une performance élevée, ce qui en retour risque d’ébranler encore davantage son sentiment d’efficacité, et ainsi de suite » (Galand & Vanlede37).
En effet, les échecs répétés risquent de conduire à une « résignation apprise » (Maier & Seligman38) – qui apparaît quand l’élève ne perçoit plus l’utilité de son action – et à faire naître ou renforcer un sentiment d’incompétence.
Bandura (2003) précise, cependant, que le sentiment d’auto-efficacité n’est pas une information globale, mais qu’il s’applique spécifiquement à un domaine, voire à des sous-domaines. Ainsi, un élève peut avoir des niveaux différents de croyances en ses aptitudes, selon qu’il s’agisse des mathématiques, du français, des langues, des sciences ou de l’histoire. Bandura (2003) veille également à différencier le concept d’efficacité personnelle perçue de celui d’estime de soi : « L’efficacité personnelle perçue concerne les évaluations par l’individu de ses aptitudes personnelles, tandis que l’estime de soi concerne les évaluations de sa valeur personnelle. Or, il n’y a pas de relation systématique entre ces deux groupes de données »39 (p. 24).
Selon Galand et Vanlede (2004-2005), c’est d’ailleurs précisément le fait que le sentiment d’efficacité personnelle varie d’un domaine d’activité à un autre qui le rend plus flexible et permet aux croyances d’efficacité d’être plus accessibles à des interventions éducatives que des croyances globales (comme l’estime, la conception de soi). Legrain rappelle, en outre, que « la motivation n’est pas un trait de personnalité et dépend avant tout de ce que la personne va vivre pendant sa formation » (Legrain, 2003, p29, p74-75). Levy Leboyer ajoute, à ce propos, que : « La motivation n’est pas un état stable, mais un processus toujours remis en question, qui se déroule dans le temps, se renouvelle et s’ajuste en fonction de ce que vit la personne » (Levy Leboyer40). Ceci nous conduit à constater que la motivation n’est pas immuable et qu’elle peut être amenée à se modifier tout au long de la vie et en fonction des expériences vécues par l’individu. Or, le contexte scolaire est générateur d’une multitude d’évènements susceptibles d’influencer différemment chaque élève. La classe constitue ainsi un microcosme au sein duquel chaque individu se construit sous l’influence des pairs et des enseignants. Toutefois, le contexte scolaire présente d’entrée des contraintes externes qui conduisent à limiter le développement de la motivation intrinsèque. En effet, le caractère obligatoire que revêt la scolarisation – et qui induit d’emblée un enseignement de style contrôlant – représente déjà, par exemple, un premier facteur externe de contrainte pour les élèves qui tend à diminuer la motivation intrinsèque et le sentiment d’efficacité personnelle. De plus, il existe généralement dans les écoles une forte compétition sociale qui pousse les élèves à poursuivre des buts de performance ou des buts d’évitement. Aussi, les études en sociologie de l’éducation sur les inégalités scolaires et la reproduction sociale (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron41) montrent que les exigences de l’école, elles-mêmes, – amène certains élèves, par soucis de conformité, à poursuivre ces mêmes buts.
Selon les recherches, trois buts d’accomplissement peuvent orienter les activités des élèves durant la réalisation d’une activité et affecter l’intérêt porté à la tâche :
– Le but de maîtrise – ou « but d’apprentissage » (Dweck, 1986,1992) : correspond au désir d’apprendre, de comprendre le problème, d’acquérir de nouvelles connaissances, d’augmenter la maîtrise de la tâche. La compétence, dans ce cadre, est donc définie en termes de progrès personnels, elle est auto-référencée.
– Le but de performance – aussi appelé but d’implication de l’ego (Nicholls, 1984) : correspond au désir de mettre en avant ses capacités, ses compétences, d’engendrer une évaluation positive, de réussir mieux que les autres. Ici, l’évaluation de la compétence repose sur une comparaison normative et est socialement référencée.
– Le but d’évitement : correspond à une volonté de ne pas engendrer une évaluation négative, d’éviter la démonstration d’incompétence. Ce qui se traduit souvent par l’adoption de diverses stratégies d’évitement de la tâche ou de dissimulation de l’incompétence.
Le but d’évitement a un effet négatif sur la motivation intrinsèque puisqu’il augmente l’anxiété, et agit en même temps négativement sur la valorisation de la compétence. L’inverse se produit pour le but de maîtrise – lié positivement à la motivation intrinsèque : ce dernier agit négativement sur l’anxiété et positivement sur la valorisation des compétences en entraînant un pattern de réponses positives et adaptées. En effet, il favorise le choix de tâches difficiles, la persistance après des échecs (le succès étant alors attribué à l’effort) et l’utilisation de stratégies d’apprentissage adaptées, telles que l’organisation, l’écoute, et l’engagement dans des activités d’autorégulation. Concernant le but de performances, si les chercheurs sont moins unanimes, la plupart tendent néanmoins à expliquer qu’il n’affecte pas la motivation. En effet, l’action positive du but de performance sur la valorisation des compétences s’accompagne d’anxiété (vulnérabilité à l’échec), or, cette dernière annule le caractère positif42.
La recherche et la mise en place d’outils permettant non seulement de rompre le cercle vicieux de la résignation apprise mais aussi de favoriser le développement de la motivation intrinsèque – en renforçant le sentiment d’efficacité personnel et en favorisant la poursuite de buts d’apprentissages – semble donc particulièrement importante, afin que les élèves puissent transformer leurs capacités, leur potentiel, en réalisation comportementale effective et aborder les nouveaux apprentissages avec davantage de confiance. Flavell43 (1970) relève, en outre, qu’un fonctionnement inefficace provient plus fréquemment d’une non utilisation d’aptitudes cognitives que de compétences insuffisantes.
Tenant compte de l’ensemble de ce cadre théorique – et afin de parvenir, in fine, à évaluer l’impact de l’interdisciplinarité sur la motivation et la réussite scolaire à l’école primaire -, il importe d’effectuer, en amont, un premier état des lieux de la motivation et des résultats des élèves.
Table des matières
INTRODUCTION
1. La motivation scolaire
1.1. Champ théorique et conceptuel
1.1.1. Qu’est-ce que la motivation ?
1.1.2. Historique des différentes approches théoriques
1.1.2.1. Approche psychanalytique
1.1.2.2. Approche béhavioriste
1.1.2.3. Approche humaniste
1.1.2.4. Approches cognitivistes
1.1.3. Perspectives théoriques et conceptuelles récentes
1.1.4. Liens entre motivation et réussite scolaire
1.2. Méthodologie de recherche
1.2.1. Cadre de l’étude
1.2.2. Population, procédure et outils
1.2.2.1. Population
1.2.2.2. Procédure
1.2.2.3. Outils
1.3. Analyse réflexive des résultats
1.3.1. Traitement des résultats
1.3.2. Analyse des résultats
1.3.2.1. Corrélations entre le SEP et les résultats scolaires
1.3.2.2. Corrélations entre le SEP, la motivation intrinsèque, le flow et les résultats dans des activités de lecture-compréhension
1.3.2.1. Corrélations entre la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et les résultats dans des activités de lecture-compréhension
2. L’impact de l’interdisciplinarité sur la motivation et la réussite scolaire
2.1. Champ théorique et conceptuel
2.1.1. Qu’est-ce que l’interdisciplinarité ?
2.1.1.1. Définitions
2.1.1.2. Histoire des disciplines
2.1.1.3. Niveaux et modes d’intégration des disciplines scolaires
2.1.2. Cadre institutionnel
2.1.3. Construction du sens des apprentissages, impact sur la motivation et la réussite scolaire
2.2. Méthodologie de recherche
2.2.1. Cadre de l’étude
2.2.2. Participants, procédure, outils
2.2.2.1. Population
2.2.2.2. Procédure
2.2.2.3. Outils
2.3. Analyse réflexive des résultats
2.3.1. Traitement des résultats
2.3.2. Analyse des résultats
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
RESUME
Résumé (français)
Résumé (anglais)
ANNEXES