L’immunothérapie
L’immunothérapie est une approche thérapeutique dont le principe consiste à administrer des molécules capables de stimuler le système immunitaire. Son utilisation en oncologie a pour but d’augmenter la capacité de détection et de destruction des cellules tumorales par le système immunitaire. A l’origine, l’immunothérapie a pour ancêtres l’immunothérapie allergique et la thérapie sérique, découvertes par Leonard Noon et John Freeman en 1911 (34), visant à désensibiliser le système immunitaire dans des maladies infectieuses. Ces thérapies reposaient sur le transfert de produits du système immunitaire (protéines, immunoglobulines). Il s’agissait d’un transfert d’immunité humorale passive.
Le premier indice d’une telle possibilité a été observée par Coley qui a noté la régression spontanée d’un sarcome chez un patient durant une infection bactérienne (35). L’hypothèse était que la stimulation du système immunitaire par les bactéries avait permis d’éliminer la tumeur. Mais ses essais à base de traitements par des extraits bactériens ont vite été mis en échec. Ensuite des essais d’injection de lymphocytes d’un sujet sain à un patient souffrant de leucémie aiguë ont été réalisés sans grand succès (36). C’est l’hématologue français Mathé qui a obtenu les premiers résultats positifs avec une rémission totale d’un patient leucémique par greffe de moelle osseuse (37). Cette découverte est la première stratégie d’immunothérapie donnant un résultat positif, dont dérivent actuellement les « CAR-T cells » (38). Avec la découverte de mécanismes de résistance aux traitements conventionnels (radio- chimiothérapies) et aux thérapies ciblées, la recherche sur l’immunothérapie s’est intensifiée et a abouti à la commercialisation des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire pour une utilisation en pratique quotidienne.
L’immunothérapie peut être classée en deux catégories, l’immunothérapie non spécifique pour désigner les médicaments qui stimulent globalement le système immunitaire. Il s’agit par exemple du BCG (Bacille de Calmettes et Guérin), administré localement dans le cancer de la vessie (39). L’immunothérapie spécifique a quant à elle pour but de stimuler le système immunitaire en ciblant spécifiquement son action sur les cellules cancéreuses. Les traitements les plus utilisés sont actuellement les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, ou ICIs (Immune Checkpoint Inhibitors), comme les anti-CTLA-4 et anti-PD-(L)1 sur lesquels notre travail se focalise. D’autres options sont également utilisables ou en cours de développement : vaccination antitumorale, anticorps bispécifiques, virothérapie et transfert adoptif de cellules (CAR-T cells) .
L’immunothérapie en pratique quotidienne
L’immunothérapie par ICIs a été qualifiée de véritable révolution thérapeutique par le laboratoire Bristol Myers Squibb, titulaire de l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) de l’OPDIVO® (Nivolumab) et du YERVOY® (Ipilimumab) (41). Cette avancée majeure a été mise en lumière par le prix Nobel de médecine qui a été décerné en 2018 à deux immunologistes, l’américain James P. Alisson et le japonais Tasuku Honjo pour leurs découvertes respectives des points de contrôle immunitaire CTLA-4 et PD-1, et des moyens de les inhiber pour en faire une nouvelle approche thérapeutique en cancérologie ( 4 2 ) . Les recherches ont commencé par les cancers à charge mutationnelle élevée (mélanome, cancer du poumon et de la vessie), ceux-ci étant mieux reconnus par le système immunitaire (21). Depuis la découverte des points de contrôle immunitaire et de leurs inhibiteurs il y a plus de 10 ans, leurs indications s’élargissent régulièrement.
Les indications du Nivolumab (OPDIVO®), anticorps monoclonal humain, sont nombreuses et réservées à l’adulte. Outre ses associations possibles avec l’Ipilimumab il est aussi indiqué en monothérapie hors première ligne dans le traitement du mélanome avancé, du CBNPC localement avancé ou métastatique, du cancer colorectal avancé, du carcinome urothélial localement avancé non résécable ou métastatique, du cancer épidermoïde de la tête et du cou en rechute ou métastatique, et du lymphome Hodgkinien classique en rechute ou réfractaire (48). Son AMM européenne date de 2015 et il est le premier anti- PD-1 commercialisé en France. Pembrolizumab Le Pembrolizumab (KEYTRUDA®) est un anticorps monoclonal humanisé autorisé au niveau européen en 2015 peu de temps après le Nivolumab. Il est globalement indiqué dans les mêmes pathologies, parfois en première ligne, en monothérapie ou en association à d’autres anticancéreux (49). Néanmoins, ses indications peuvent être conditionnées par un taux minimal d’expression de PD-L1 par les cellules tumorales (TPS ou Tumor Proportion Score, évaluable par immunohistochimie) qui est associé à une valeur prédictive de réponse aux anti-PD-(L).
L’Atézolizumab (TECENTRIQ®) est un anticorps monoclonal humanisé. Certains patients ont pu en bénéficier en monothérapie dans le cancer de la vessie en post-ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) mais cette pratique n’a pas pu être poursuivie à la suite d’un avis défavorable au remboursement dans cette indication. Il est actuellement indiqué dans certaines situations pour le cancer du poumon (51). C’est un traitement de première ligne en association au Carboplatine et à l’Etoposide dans la prise en charge des patients adultes atteints de cancer du poumon à petites cellules (CBPC) de stade étendu de CBNPC localement avancé, non opérable, dont les tumeurs expriment PD-L1 à au moins 1% et dont la maladie n’a pas progressé après radio-chimiothérapie à base de sels de platine. Son utilisation est recommandée pendant 12 mois après cette phase préalable et cet anticorps entièrement humain a eu son AMM en septembre 2018 (53). Plus récemment, le Durvalumab a été recommandé dans le traitement du CBPC de stade étendu en association à une chimiothérapie.
Mécanismes d’action et pharmacocinétique
Les ICIs ont pour objectif d’aider le système immunitaire à éliminer les cellules cancéreuses. En ciblant les voies inhibitrices du système immunitaire entre CPA et lymphocytes T, ces anticorps monoclonaux thérapeutiques activent ou réactivent l’immunité cellulaire T antitumorale (56). Ils induisent la prolifération des lymphocytes T CD4+/CD8+. Les ICIs fonctionnent ainsi en réinstaurant la cytotoxicité anticancéreuse naturelle du système immunitaire. Les anti-CTLA-4 agissent au niveau de l’étape d’interaction entre la CPA et le lymphocyte T du cycle immunitaire antitumoral, et les anti-PD-(L)1 préférentiellement au niveau de l’étape d’interaction entre le lymphocyte T et la cellule tumorale. L’Ipilimumab bloque sélectivement CTLA-4 qui régule normalement l’activité des cellules T. Les anti-PD-1 se lient au récepteur PD-1, régulateur négatif de l’activité des lymphocytes T, et bloque son interaction avec PD-L1 et PD-L2. Les anti-PD-L1 se lient de manière sélective à PD-L1 et bloquent son interaction avec PD-1 mais aussi avec CD80, sans agir sur l’interaction PD-L2/PD-1. Ces points de blocage concernent exclusivement les cellules cancéreuses et le traitement épargne donc les cellules normales. Cependant, l’activation de la réponse immunitaire n’est pas dénuée d’effets secondaires. De plus, la restauration de l’immunité antitumorale provoque la lyse des cellules tumorales libérant de nombreux médiateurs pro-inflammatoires qui potentialisent les réactions immunitaires indésirables, phénomène notamment observé avec l’utilisation d’un autre anticorps thérapeutique, le Rituximab.