Limites d’une planification électrique territoriale des réseaux d’action publique à l’épreuve du long terme
Relevant d’une approche volontaire plus que d’une réelle décentralisation, la politique partenariale de maîtrise de la demande en électricité initiée dans le Lot implique de mobiliser largement les acteurs concernés par la situation de contrainte électrique qui affecte le département. En cela, elle constitue bel et bien une innovation politique, au sens où le développement de ce type de gouvernance territoriale de la ressource électrique se révèle être un phénomène assez récent en France. Après avoir précédemment décrit les origines puis les débuts de cette politique, nous prolongerons notre analyse au cours de ce cinquième chapitre en revenant sur la difficile institutionnalisation de cette dynamique partenariale lotoise. Par la suite, un premier détour géographique nous conduira dans l’est de la région Provence Alpes Côte d’Azur où une expérience similaire a également vu le jour au début des années 2000. Enfin, il s’agira de mettre en perspective ce qui nous a été donné à voir sur ces deux terrains pour saisir ce qui les différencie et les rapproche.
En effet, sil existe bien dans les cas que nous étudions une communauté cloisonnée (voire confinée, pour reprendre le terme de Michel Callon, cf. infra) de partenaires dont les intérêts sont variés à l’égard d’un domaine bien particulier (la gestion électrique), on ne peut pas pour autant considérer qu’ils partagent véritablement cet enjeu dans la mesure où les prérogatives de certains (notamment les représentants des collectivités locales) dépassent assez largement les limites de celui-ci. De plus, on constate que ni les questions d’environnement, ni celles relatives au développement local ou au logement ne peuvent s’insérer dans ce cadre restreint. Il conviendrait donc davantage de parler de réseau de projet (issue network) ou, plus précisément encore, de réseau de politiques publiques (policy network) au sens où cette structure organisationnelle se révèle plus large et informelle.
En redonnant une place centrale aux interactions et à leur influence sur les fluctuations remarquées au sein du microcosme observé, l’approche politique en termes de réseau se distingue d’une stricte approche systémique. Est-ce à dire pour autant qu’elle invalide la pertinence d’une analyse stratégique ? Certainement pas, si l’on en juge par la permanence des mécanismes de régulation, des zones d’incertitude et des jeux de pouvoir qui se donnent à voir dans le cadre des relations inter-organisationnelles qui s’expriment à distance. De même, si les idées de structuration collective et d’ajustements pourraient permettre de qualifier l’organisation partenariale que nous avons étudiée, il semblerait tout aussi pertinent de considérer celle-ci à l’aune du concept classique de système d’action concret. Toutefois, une telle catégorisation n’est pas sans poser problème dans la mesure où le périmètre organisationnel n’a jamais réussi à se stabiliser, où les règles en vigueur n’ont qu’une valeur indicative et où l’autorité hiérarchique (du Préfet et, par extension, des animateurs du comité technique) ne s’apparente pas de manière formelle à une quelconque forme de pouvoir structurant. L’instabilité inhérente à l’action organisée à laquelle nous nous sommes intéressés dans le Lot nous incite donc à privilégier la notion de réseau sur celle de système, jugeant que dans le cas présent, cette dernière n’est certainement pas la plus adéquate pour décrire la configuration sociale que nous cherchons à analyser.
En dépit de la faible structuration partenariale du programme de MDE du Lot, on constate que certaines des parties prenantes se trouvent quand même liées de manière formelle par une convention de partenariat. Actant de ce réseau au même titre que les financeurs, que les membres associés aux instances exécutive et technique, que les organisations impliquées dans les groupes de travail, et même que l’étude Point Zéro (cf. infra), l’accord-cadre joue en effet un rôle dans le processus d’élaboration politique que nous avons observé. En élargissant notre recherche au cas du Plan Éco- Énergie en vigueur dans l’Est de la région Provence Alpes Côte d’Azur (cf. infra : chap. III), nous essaierons de voir dans ce chapitre comment les configurations réticulaires des politiques territoriales de planification électrique nous permettent d’interpréter les situations A défaut d’adhérer pleinement à la théorie de l’acteur-réseau, développée autour des travaux de Michel Callon et Bruno Latour, nous préférerons ici nous limiter à en saisir certaines intuitions dans le cadre de notre analyse sociologique des réseaux de politiques publiques. A cet égard, il nous semble important de considérer les différents instruments d’action publique comme des actants [LATOUR Bruno (1994), « Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité », Sociologie du Travail, n°4/94, pp.587-607.], sans pour autant négliger leur fonction première. En effet, si l’on s’accorde à penser que l’accord-cadre est une entité agissante, il n’en reste pas moins caractérisé par une certaine inertie, propre à l’ensemble des outils dont dispose le politique. A l’instar de l’avertissement formulé par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès.