Limites de l’humanisme sartrien

 Limites de l’humanisme sartrien

Généralités sur l’existentialisme 

Existence L’existence vient du latin ex, au-dehors, et sistere, se tenir, qui signifie fait d’apparaître et de se manifester au dehors. Dire d’une chose qu’elle existe, c’est simplement dire qu’elle est, affirmer sa réalité. Dire ce qu’elle est, c’est dire son essence. La question de l’existence a été formulée par Leibniz (Principe de la Nature et de la Grâce, 1714) dans la question : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »7 . Dire d’une chose qu’elle est n’apporte rien à la compréhension de la chose ; inversement, si je définis l’essence du triangle comme un polygone de trois côtés, le fait qu’il soit dessiné à la craie ou sur le sable, ou qu’il soit même effacé, ne change rien à sa définition. Le fait qu’il existe ou qu’il n’existe pas est un accident, qui n’affecte pas son essence. Mais donner la définition du triangle, c’est définir tous les triangles possibles, et n’en réaliser aucun. La différence entre l’essence et l’existence est celle qui sépare le possible du réel. L’existence ne se prouve pas, elle s’éprouve. La pensée échoue à en fonder la nécessité. La philosophie « existentialiste » (terme créé par Heidegger en 1927) place l’existence, c’est-à-dire le fait contingent d’être, au centre de la réflexion. Est contingent ce qui peut être ou ne pas être. Dire que ce qui existe est contingent, c’est donc dire que ce qui existe aurait pu ne pas être : c’est placer la temporalité et la finitude (la mort) au cœur de la réflexion sur l’homme et sur le monde, c’est le thème de Etre et Temps, 1927. Exister, au sens étymologique (ex-sistere), c’est sortir de soi : lorsque l’esprit se projette vers le passé, il rebondit sur la contingence de la 7 Leibniz, Principe de la Nature et de la Grâce, p 233 11 naissance (de la « facticité » ou fait d’être là purement arbitraire et inexplicable) ; lorsqu’il se projette vers l’avenir, il rebondit sur l’inéluctabilité de la mort. De ce double rebond naît, selon Heidegger, la conscience de l’existence authentique, de notre finitude absolue. Jean-Paul Sartre donne à la notion d’existence une signification plus humaniste : n’étant ni la réalisation d’un projet divin, ni l’aspiration à un salut au-delà de la vie, l’existence est uniquement ce que la liberté fait d’elle-même. Exister, c’est se « projeter » hors de soi-même, faire des projets, s’arracher à son état dans une action toujours nouvelle. Parce qu’il est temporalité, l’homme peut se rapporter à ce qu’il n’est pas, aussi bien à ce qui n’est plus (passé) qu’à ce qui n’est pas encore (l’avenir). Il est l’être par qui le néant arrive dans le monde : l’homme transcende, c’est-à-dire dépasse sans cesse le simple donné, pour viser au-delà de lui ce qui n’est pas encore. Ex-sistere, s’est finalement s’engager, et pour l’homme cet engagement définit « son point de vue sur le monde » 8 A noter que Hegel avait déjà distingué, dans la Phénoménologie de l’esprit (1806), les deux notions d’existence et de vie : l’existence est la « conscience de la vie », c’est-à-dire la vie avec la conscience de la mort. La vie est la vie organique ; seule l’existence est le propre de l’homme.

Existentiel : qui appartient au sentiment de L’existence

La philosophie existentielle est une description psychologique ou morale de ce sentiment de l’existence comme chez Karl Jaspers, tel qu’il peut se manifester dans les situations les plus diverses (la souffrance, le combat, la faute, et même des situations limites comme la mort). Elle se 8 Merleau-Ponty, Sens et non-sens, pp 124-125 12 distingue de la philosophie existentielle, qui est l’analyse métaphysique des éléments essentiels qui constituent l’existence comme chez Heidegger, tels sont la liberté, le non-savoir (l’errance), la contingence de notre présence, etc. La philosophie existentielle décrit donc des situations particulières ; la philosophie existentielle analyse les caractères universels de toute existence humaine.

Existentialisme

Il est difficile de donner une définition exacte de l’existentialisme puisque ce terme a acquis aujourd’hui une telle élasticité que loin de renvoyer à un ensemble bien déterminé et bien circonscrit de doctrine philosophique, il évoque le plus souvent une tendance, un style ou un milieu. D’une manière générale, l’existentialisme est une doctrine philosophique selon laquelle l’homme n’est pas déterminé d’avance par son essence, mais est libre et responsable de son existence. C’est un caractère d’une philosophie qui est centrée sur l’homme, avec ses caractères irréductibles. C’est aussi un courant philosophique et littéraire plaçant au cœur de la réflexion l’existence individuelle, la liberté et le choix personnels. En somme, l’existentialisme est une doctrine philosophique qui a pour objet l’existence de l’homme prise dans sa réalité concrète, et au niveau de l’individu engagé dans la société. Opposé aux grands systèmes philosophiques et englobant des vues d’une grande diversité, l’existentialisme se caractérise par des grands thèmes liés à une préoccupation majeure : l’existence individuelle déterminée par la subjectivité, la liberté et les choix de l’individu. 13 Cet « angle de prise de vues » est diamétralement opposé à celui de la philosophie cartésienne et, en général, de tous les systèmes rationalistes : c’est une réaction de la philosophie de l’homme contre les philosophes de la raison et des idées. Loin de constituer un « être » donné au départ et doué de raison, l’homme n’est d’abord que néant, et le fait même d’exister est « absurde », c’est-à-dire dénué de toute signification. En un mot, l’homme existe avant d’être (ce qui exprime la célèbre formule de Sartre : « L’existence précède l’essence. ») C’est donc l’homme lui-même qui doit donner à sa propre vie un sens et devenir dans sa vie un être raisonnable ; l’homme n’est que ce qu’il fait de lui-même. En d’autres termes : être, c’est se choisir par un libre engagement. Au surplus, il ne saurait être question de refuser cette liberté, car elle est « liberté absolue » : l’homme est condamné à être libre. D’où l’angoisse métaphysique par laquelle il ressent, à la fois, le néant d’où il sort et pressent l’incertitude du choix qui le fera accéder à l’être. Historiquement, le terme d’ « existentialisme » a été créé par Heidegger en 1927, dans Etre et Temps, et repris par Jaspers dans Philosophie de l’existence (1938). En France, les principaux représentants de cette doctrine sont Gabriel Marcel, Merleau-Ponty et surtout Jean-Paul Sartre. On distingue communément deux courants dans la philosophie existentialiste ; l’existentialisme chrétien (Jaspers, Gabriel Marcel) et l’existentialisme athée (Sartre, Camus). En fait, cette distinction reste assez superficielle et n’enveloppe pas toutes les formes d’existentialisme. Il est plus exact de distinguer la philosophie existentielle, qui s’attache à comprendre la vie concrète de l’homme dans le monde et dans l’histoire, à décrire ses « attitudes fondamentales »-Jaspers, Merleau-Ponty, et la philosophie existentielle, qui s’attache à comprendre l’être de l’homme, la réalité ontologique du « Dasein » (être-là)- Heidegger et Sartre dans l’Etre 14 et le Néant ; la première est une description empirique de l’existence, la seconde une métaphysique qui cherche sa signification fondamentale. 

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Fondement de l’existentialisme

En tant que courant philosophique et littéraire distinct, l’existentialisme remonte au XIXe siècle. Nous pouvons dégager des éléments existentialistes dans des œuvres de quelques philosophes appelés penseurs existentialistes, comme Blaise Pascal, Søren Kierkegaard, Friedrich Nietzsche, Martin Heidegger et Jean-Paul Sartre 

Blaise Pascal

Le premier philosophe à anticiper les thèmes de l’existentialisme moderne est Blaise Pascal qui, au XVIIe siècle, rejette le rationalisme rigoureux de son contemporain René Descartes. Voici ce qu’il a dit : « Une philosophie systématique qui entend expliquer Dieu et l’humanité est une forme de vanité »9 Comme plus tard les existentialistes, Pascal analyse la vie humaine en termes de paradoxes : le moi humain, à la fois corps et esprit, est en soi un paradoxe et une contradiction.

Søren Kierkegaard

Kierkegaard, considéré comme le fondateur de l’existentialisme moderne, s’oppose au système de l’idéalisme absolu de Hegel, qui prétend avoir forgé une conception entièrement rationnelle de l’humanité et de  l’histoire. Kierkegaard, au contraire, souligne l’ambiguïté et l’absurdité de la condition humaine. L’individu doit réagir à cette situation en optant pour une vie totalement engagée, engagement compréhensible pour lui seul. Ainsi doit-il être toujours prêt à défier les normes de la société au nom de la valeur supérieure d’un mode de vie qui ne convient qu’à lui. Kierkegaard préconise, en dernier lieu, « un saut de la foi » vers un mode de vie chrétien qui, bien qu’inexplicable et périlleux, constitue à ses yeux le seul engagement susceptible de sauver l’individu du désespoir. 

Friedrich Nietzsche

Nietzsche, philosophe allemand, à qui l’œuvre de Kierkegaard n’est pas familière, marque de son influence la pensée existentialiste par la critique des hypothèses métaphysiques et morales traditionnelles et par son adhésion au pessimisme tragique et à la volonté individuelle opposée au conformisme moral de la majorité. Contrairement à Kierkegaard, que ses attaques contre la morale conventionnelle ont conduit à prôner un christianisme radicalement individuel, Nietzsche proclame la « mort de Dieu » et en vient à rejeter la tradition morale judéo-chrétienne dans son ensemble en faveur d’un idéal païen héroïque. 

Martin Heidegger

Comme Pascal et Kierkegaard, Heidegger récuse la tentative de donner à la philosophie un fondement rationnel définitif, en critiquant notamment la phénoménologie d’Edmund Husserl. Heidegger pose que l’humanité se trouve dans un monde incompréhensible et indifférent ; 16 l’homme ne pouvant espérer comprendre la raison de sa présence ici-bas, il est appelé à se donner un but et à le suivre avec conviction et passion, conscient de la certitude de la mort et de l’absurdité ultime de sa propre vie. Heidegger contribue à enrichir la pensée existentialiste par ses développements inédits sur l’étant et l’ontologie, ainsi que sur le langage.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : L’EXISTENTIALISME
CHAPITRE 1 : GENERALITES SUR L’EXISTENTIALISME
I.1.1: Existence
I.1.2: Existentiel : qui appartient au sentiment de l’existence
I.1.3: Existentialisme
I.1.4: Fondement de l’existentialisme
I.1.4.1: Blaise Pascal
I.1.4.2: Søren Kierkegaard
I.1.4.3: Friedrich Nietzsche
I.1.4.4: Martin Heidegger
I.1.4.5: Jean-Paul Sartre
CHAPITRE 2 : L’EXISTENTIALISME SARTRIEN
I.2.1: Origine de la pensée sartrienne
I.2.1.1: Environnement socioculturel
I.2.1.2: La phénoménologie de Husserl
I.2.1.3: L’ontologie fondamentale de Heidegger
I.2.2: L’existence sartrienne
I.2.2.1: La conception sartrienne de l’homme
I.2.2.1.1: L’homme comme subjectivité
I.2.2.1.2: L’homme comme projet
I.2.2.1.3: Deux modes d’être
I.2.2.1.3.1: L’en-soi
I.2.2.1.3.2: Le pour-soi
I.2.2.2: L’homme et son essence
DEUXIEME PARTIE : L’HUMANISME SARTRIEN
CHAPITRE 1 : GENERALITES SUR L’HUMANISME
II.1.1: Définition de l’humanisme
II.1.2: Genèse de l’humanisme
CHAPITRE 2 : LA SPECIFICITE DE L’EXISTENCE HUMAINE
II.2.1: L’infinie liberté et ses conséquences
II.2.1.1: La facticité
II.2.1.2: L’angoisse
II.2.1.3: La mauvaise foi
II.2.1.4: La nausée
II.2.1.5: Le désespoir
II.2.2: Le choix
II.2.3: L’engagement
II.2.4: La responsabilité
II.2.4.1: La responsabilité sur soi-même
II.2.4.2: La responsabilité sur le monde
II.2.4.3: La valeur morale de l’humanisme
II.2.5: La mort
II.2.5.1: Définition
II.2.5.2: Généralités
II.2.5.3: La mort comme phénomène naturel
II.2.5.4: La mort comme phénomène humain
II.2.5.5: Attitudes philosophiques face à la mort
II.2.5.5.1: La mort comme une étape
II.2.5.5.2: La mort, sens de l’existence
TROISIEME PARTIE : L’ATHEISME SARTRIEN
CHAPITRE 1 : GENERALITES SUR L’ATHEISME
III.1.1: Définition de l’athéisme
III.1.1.1: Historique de l’athéisme
III.1.1.2: Formes d’athéisme
III.1.2: Genèse de l’athéisme sartrien
III.1.3: Formes de l’athéisme sartrien
III.1.3.1: L’existentialisme et l’essentialisme
III.1.3.2: Les concepts existentiels fondamentaux
CHAPITRE 2 : PROBLEMES DE L’ATHEISME SARTRIEN
III.2.1: Problèmes métaphysiques
III.2.1.1: L’origine de l’homme et de l’univers
III.2.1.2: L’au-delà de la mort
III.2.1.3: Position de Sartre face à la mort
III.2.2: Conséquences
III.2.2.1: Dépendance aux autres forces
III.2.2.2: Le délaissement
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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