MATÉRIEL ET MÉTHODES
Le transect étudié s’étend sur 196 km selon un axe nord-sud le long de la route de la Baie de James dans la taïga du Québec (Figure 1). Plus précisément, il se situe entre les latitudes S 1 °91 ‘ N et S3 °69′ N autour de la longitude 70°30’ o. Ce territoire fait partie du bouclier canadien composé principalement de roches granitiques et gneissiques. La route de la Baie de James a été construite en 1972. Le relief est peu prononcé et comprend quelques collines d’une altitude maximale variant entre 2S0 m et 300 m (Hardy 1977). De grandes tourbières ombrotrophes occupent les secteurs plats alors que des dépôts glaciaires et fluvioglaciaires recouvrent les parties plus élevées du relief. Les sommets de collines sont généralement parsemés d’affleurements rocheux. Plusieurs petits lacs sont présents . En quelques endroits, la route a été construite sur la moraine de Sakami, une série discontinue de terrasses fluvioglaciaires mises en place il y a près de 8000 ans au moment du drainage du lac proglaciaire Ojibway dans la mer de Tyrrell (Hillaire-Michel et al. 1981). Ces terrasses sablonneuses ont une superficie qui varie de quelques hectares à quelques kilomètres carrés et sont espacées de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres.
Les données climatiques (1971- 2000) de la station météorologique de La Grande Rivière, localisée dans la partie nord de l’aire étudiée, indiquent que la température moyenne annuelle est de -3,1 oc. Les températures moyennes en janvier et en juillet sont respectivement de -23,2 oC et de 13,8 oc. Les précipitations totales annuelles sont de 684 mm dont 64 % sous forme de pluie. Le nombre moyen de degrés jours au dessus de 5 oC est de 862 (Environnement Canada, 2010). L’épinette noire et le pin gris sont souvent co-dominants dans les sites mésiques, au sein de forêts ouvertes sur tapis de lichens. L’épinette noire domine surtout les milieux à drainage lent en périphérie des tourbières où elle forme des pessières ouvertes à sphaignes et éricacées. Le pin gris domine plutôt dans les milieux à drainage rapide tels que les dépôts fluvioglaciaires et les affleurements rocheux. Le sapin baumier (Abies balsamea), le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides), le bouleau blanc (Betula papyrifera) et le mélèze laricin (Larix laricina) peuvent aussi être présents, mais leur abondance est faible . Le cycle de feux est estimé à 100-115 ans (Payette et al. 1989, Parisien et Sirois 2003). Ce territoire n’est pas soumis à une suppression active des feux , ni à l’exploitation forestière. Une forte majorité des feux sont causés par la foudre . Toutefois, un important feu d’origine anthropique est survenu en 1972 lors de la construction de la route. Le seul feu important survenu après la construction de la route a été causé par la foudre en 1989. Sa propagation ne semble pas avoir été affectée par la présence de la route puisqu’il a couvert presque toute la longueur du transect, à l’exception du territoire brûlé en 1972.
Acquisition des échantillons et des données
Le transect de 196 km a été divisé en 93 cellules contiguës de 2 km x 1 km (Figure 1). Une cellule a été raccourcie 0,60 km) et 22 ont été allongées (moyenne = 2,57 ± 0,44 km) pour s ‘ajuster aux courbes de la route. La ligne centrale des cellules ne devait pas s’éloigner à plus de 1 km de la route pour éviter les longs déplacements lors de la recherche de cicatrices. Les cellules ont été positionnées dans un SIG grâce au module ArcMap du logiciel ArcGIS 9.1 (ESRI 2005). Une recherche intensive de cicatrices de feux a été effectuée dans chaque cellule de manière à recenser le plus grand nombre possible de feux. À cause de leur taille relativement grande, les cellules comprenaient chacune des milieux diversifiés avec une probabilité variable d’être incendiés ou de permettre la formation de cicatrices lors d’un feu. La première étape de l’échantillonnage visait à découvrir dans chaque cellule les sites qui ont été propices à la formation des cicatrices lors d’un ou de plusieurs feux. De tels gisements de cicatrices étaient souvent localisés dans les contextes susceptibles de ralentir la propagation des feux, tels que les contacts entre les sites bien drainés et les tourbières ou les affleurements rocheux. La seconde étape consistait à échantillonner un nombre variable d’arbres (généralement 2-6) dans chaque gisement de cicatrices, de manière à dater le plus grand nombre possible de feux différents. Des indices comme le nombre de cernes annuels de croissance entre les cicatrices multiples ou entre la moelle et la première cicatrice permettaient d’évaluer le nombre de feux représentés dans chaque gisement. Des arbres supplémentaires ont été échantillonnés à l’extérieur des gisements de cicatrices lorsque les mêmes indices suggéraient des feux additionnels dans une cellule.
Une section transversale a été récoltée le plus bas possible sur les tiges au travers des cicatrices sélectionnées. Ces arbres ont été décrits (nombre de cicatrices, hauteur d’échantillonnage, vivant ou mort, debout ou au sol, souche attachée ou détachée du tronc). La présence ou l’absence de charbon sur les branches ou le tronc a été notée, un tronc calciné indiquant un arbre mort avant un feu, alors que des traces de feu uniquement sur les branches indiquent un arbre tué par le dernier feu . Chaque arbre échantillonné a été localisé avec un GPS à correcteur différentiel de marque GeoExplorer. Une première séquence d’échantillonnage a été réalisée aux étés 2005 et 2006. Une comparaison des séquences de feux entre les cellules adjacentes a ensuite permis d’identifier les cellules qui semblaient contenir une séquence incomplète de feux. Ces dernières ont été parcourues systématiquement en 2007 pour combler les lacunes dans la base de données. En laboratoire, les échantillons ont été sablés, afin de bien discerner les cellules individuelles dans les cernes annuels de croissance. Pour les arbres vivants, les feux ont été datés sous la binoculaire en dénombrant les cernes alilluels recouvrant les cicatrices de feux . Les arbres morts ont d’abord été interdatés entre eux en comparant leurs séries de largeurs de cernes annuels de croissance. La largeur des cernes a été mesurée avec le logiciel OSM3 sur une image numérisée à 4800 dpi. Les séries de croissance ont été interdatées avec le logiciel Past 4 (SCIEM 2004) en utilisant des chronologies de référence développées dans la même région (Bouchon et Arseneault 2004, Busque et Arseneault 2005, Arseneault et al. 2007). La validation des datations a été réalisée avec le logiciel COFECHA (Holmes 1983), de même qu’avec les chronologies de cernes pâles et de cernes marqueurs disponibles pour le nord du Québec (Filion et al. 1986, Delwaide et al. 1991).__
Au total, 422 arbres vivants et 1 173 arbres morts ont été échantillonnés dans les 93 cellules, dont une forte majorité de pins (Tableau 2). La plus vieille épinette comportait 369 cernes annuels de croissance contre 263 pour le plus vieux pin. Quarante-cinq pins vivants ou morts comportaient plus de 200 cernes annuels. Un taux élevé de datation des spéci mens morts, qui augmentait avec le nombre de cicatrices de feux, a permis d’obtenir un total de 1 481 dates de feu à partir des cicatrices seulement. La datation de feux à partir de la cOlTection des premiers cernes de croissance, pour les pins gris avec moelle et souche attachée ayant été récoltés à moins de 1 m du sol, a pour sa part permis de déterminer 68 cohortes représentant autant de dates de feu additionnelles. Au total, la datation des cicatrices et des dates d’établissement des cohortes de pins a permis d’obtenir 1 549 dates de feu. Ces échantillons ont permis de détecter 52 années de feux entre 1620 et 2008, correspondant à un total de 409 cellules incendiées réparties entre 118 segments (Figure 2 et Tableau 1). Le nombre d’années de feux par cellule variait entre 1 et 8. La distance totale brûlée par année de feu (en moyenne 16,27 ± 24,23 km) a varié entre 2 km (7 années différentes) et 108 km (1989), alors que la distance corrigée (en moyenne 12,25 ± 20,95 km) a oscillé entre 1 et 95 km. Le nombre de segments brûlés par année de fe u osci ll ait (moyenne ± écart-type de 2,6 ± 2,3 segments) entre 1 (plusieurs années) et Il (1922) . La longueur brute des segments individuels variait entre 2 et 56 km (moyenne de 6,93 ± 8,68 km ; alors que la longueur corrigée oscill ait entre 1 et 54 km). La longueur des inten-uptions entre les segments d’ une même année oscillait entre 2 km et 92 km (moyenne de 14,7 ± 20,5 km) . L’ intervalle de temps le plus court entre deux fe ux successifs dans une même cellule a été de 2 ans (de 1939 à 1941 ) et le plus long de 262 ans (de 1620 à 1882) (Figure 2).
Le XIXc et le XXC siècles ont été marqués par des régimes de feux fortement contrastés. Même si le nombre d’années de feu par décennie est demeuré relativement stable entre 1810 et 2008, oscillant entre 1 et 2 par décennie (Figure 3a), les feux ont été beaucoup plus grands après 1910 (Figures 2, 3b et 3c). Au total, 475 km de transect ont brûlé pour la période 1910 à 2008 comparativement à 150 km pour la période 1810-1909. Les distances brûlées ont été particulièrement importantes au cours des décennies de 1920, 1940, 1970 et 1980, en raison de l’occurrence d’années de feu extrêmement importantes en 1922 (distances brutes et corrigées de respectivement 106 km et 89 km), 1941 (86 km et 71 km), 1972 (66 km et 52 km) et 1989 (108 km et 95 km). Cinq des six plus importantes années de feu sont survenues après 1910 (Tableau 3). Les décennies de très grands feux de la période 1910-2008 ont été entrecoupées par une ou deux décennies de très petits feux (Figure 3). Toutes les années de grands feux (distance corrigée de plus de 10 km) du XXC siècle correspondent à des pics importants de l’indice mensuel de sécheresse du mois de juillet, indiquant qu’ils sont survenus lors des années les plus sèches (Figure 4).
REMERCIEMENTS |