L’île Seguin et les rives de Seine avant la fermeture de l’usine Renault
Au début du 20ème siècle, le fabricant d’automobiles Renault implante des ateliers au cœur de la commune de Boulogne Billancourt, qui, au détriment d’un espace semi-rural, commence à affirmer sa vocation industrielle { l’ouest et aux portes de Paris. Très rapidement, la mutation de l’espace s’amplifie, accélérée par la 1ère guerre mondiale, qui renforce l’activité de l’entreprise Renault dans sa participation { l’effort de guerre, le développement de sa logique de rationalisation de production industrielle et consécutivement son déploiement territorial local, par la recherche de terrains disponibles au détriment de l’urbanisation d’habitation classique. Un des caractéristiques principales du développement de l’industrie automobile est que l’évolution rapide de la demande et les perfectionnements technologiques s’accompagnent rapidement de constructions et reconstructions d’ateliers toujours plus grands et d’une main- d’œuvre toujours plus importante. Ces contraintes amènent logiquement { occuper un espace plus vaste. La participation { l’effort de guerre en 1914-1918, hâte la transformation et la mutation de l’espace. Renault grignote peu { peu la ville ancienne, sur la rive droite de la Seine. L’usine absorbe les terrains, efface les immeubles anciens, « s’approprie » des rues. Cela demande du temps et engendre certaines résistances et conflits. C’est une véritable « bataille de rues ». L’entreprise Renault utilise tous les arguments pour occuper le terrain ; elle joue en particulier sur son rôle dans l’économie de guerre et sur les besoins liés { la « Défense Nationale » pour justifier ces annexions. 31
La rue de l’Isle, bordée sur toute sa longueur par les ateliers Renault est totalement annexée par Louis Renault, jusqu’{ être fermée par un portail, sous prétexte que les fabrications « militaires » réclament un évident surcroît de sécurité. Cependant, Louis Renault ne demande aucune autorisation pour clore cet espace, et la mairie ferme les yeux sur ce qui peut paraître un abus, car ces rues dépendent de la commune. Il reste encore { l’intérieur de cet espace fermé des habitants qui n’ont pas encore voulu vendre, mais qui vont être obligés, pour rentrer et sortir de chez eux, d’obtenir un laissez-passer. 32 Ainsi, les anciens occupants finissent presque toujours par partir. Toutefois, exemple unique, la famille Gallice propriétaire dans l’île Seguin ne cède pas aux pressions émises par Louis Renault pour obtenir la parcelle convoitée et résiste jusqu’en 1945. 33 Au milieu du 20ème siècle, l’expansion maximale de l’espace occupé par Renault est inscrite dans le « trapèze » schématique, borné par la Seine, l’avenue du Général Leclerc, la rue Nationale, auquel viennent s’ajouter de grandes parcelles rue du Point du Jour, avenue Pierre Grenier, le territoire de l’ile Seguin et des parcelles longilignes { Meudon sur la rive du bras de Seine en face de l’ile Seguin, route de Versailles. Dans les années 1930-1940 et jusqu’{ la nationalisation de l’entreprise Renault, le 15 janvier 1945, cet espace territorial industriel atteint une superficie totale de 50 hectares (11,5 sur l’île, 32 sur la rive de Boulogne-Billancourt et 6,5 à Meudon) et devient le lieu de vie et de travail de 22 000 ouvriers, agents de maîtrise et cadres.
L’habitat ouvrier avec ses murs de brique et ses maisons basses, ne changera que très peu au cours des décennies. L’apport des immeubles HLM (logements Régie) ne se fera qu’{ la fin des années 1970 (plus précisément entre 1976 et 1978) avec les immeubles de la rue de Billancourt, du boulevard Jean-Jaurès et de la rue du Pont-de-Sèvres.37 Malgré le développement des moyens de transport et la concurrence d’implantation d’autres types de logements pour des classes sociales plus aisées, une part non négligeable des travailleurs de Renault habite encore à proximité de l’usine. En 1984, on estime que 14 % des ouvriers de Renault-Billancourt vivent encore à Boulogne.38 Au 18ème siècle, l’île Seguin, jusqu’alors propriété agricole princière, située sur une boucle du fleuve Seine en aval et l’ouest de Paris, est marquée par une intéressante séquence pré- industrielle, d’installation de blanchisseries, puis de tanneries, grâce { la présence en abondance de l’eau courante.41 Mais au début du 19ème siècle, l’expérience tourne court.