Lieux de socialisation au djihad salafiste

Lieux de socialisation au djihad salafiste

Le recrutement djihadiste est, certes, une opération complexe, dont les formes et les mécanismes diffèrent selon les contextes et les structures d’opportunité qui se présentent aux groupes armés recruteurs. Si ces derniers doivent, d’une manière ou d’une autre, se mettre en contact avec les recrues potentielles, il leur serait difficile de mener à bien leur stratégie d’enrôlement sans s’appuyer sur des espaces de socialisation ciblés, fiables et sûrs.

Cela nous amène à nous interroger sur la nature des espaces de socialisation propices à une radicalisation au profit de l’action armée. Nous proposerons plus bas deux cas d’étude sur les lieux de socialisation au djihad, les mosquées et les lieux d’internements. Non pas que ces lieux soient les seuls à avoir servi au recrutement pour le djihad, mais parce que dans le cas algérien il nous semble qu’ils ont été les plus cités et mis en avant dans les témoignages de tous nos interviewés. 

Les mosquées, lieux de socialisation au cœur du dispositif de recrutement djihadiste

L’année 2016 sera marquée par un débat houleux autour de la construction d’une gigantesque infrastructure : celle de la grande mosquée d’Alger, Al Djami’h Al Ahdham, troisième plus grande mosquée au monde1473. Au-delà des considérations économiques liées au coût du projet (1 milliard d’euros), à l’emplacement controversé du site de construction ou à la politique de prestige derrière l’édification de ce monument religieux, se cachent en réalité d’autres questions d’ordres politique, social, et surtout, idéologico-religieuses. En effet, répondant aux questions posées par les médias, le ministre des Affaires religieuses Mohamed Aissa affirmait : « L’usage de cette mosquée n’est pas l’embellissement de la capitale ou du front de mer, mais nous voulons sécuriser la vie intellectuelle et confessionnelle des Algériens (…), nous ne voulons plus avoir deux niveaux d’islamité, ni un niveau d’Islam officiel et un niveau d’Islam d’opposition et de résistance, c’est pourquoi nous avons besoin de cette grande mosquée parce qu’elle est emblématique et symbolique »  .

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le débat s’est étendu à l’aspect sécuritaire ; on parle de doter cette mosquée d’un centre de recherche sur la lutte contre la radicalisation. Pour l’État algérien, comme pour les autres États arabes, l’enjeu que soulève la question de la gestion des lieux de culte, repose sur la nécessité de limiter les ressources institutionnelles et l’espace public disponibles, susceptibles de servir à la diffusion de cadres religieux alternatifs qui pourraient remettre en question la légitimité des régimes en place1475 .

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Si dans les sociétés musulmanes la mosquée constitue une institution centrale pour la pratique religieuse, elle fut aussi (et continue d’être) fréquemment utilisée comme une structure de mobilisation par divers mouvements islamiques1476 . À ce titre, cette mobilisation à travers les mosquées nous rappelle, dans une certaine mesure, l’utilisation des églises par le mouvement des droits civiques aux États-Unis.

La lutte pour le contrôle des mosquées au cœur du processus de recrutement djihadiste

« Dans ce magma urbain où la ville a disparu sous les décombres des non-lieux, où la cité a implosé sous le poids des logiques concurrentes des différents groupes en cohabitation dont chacune tente de s’ériger en modèle dominant, les équipements urbains structurants et organisateurs de l’être ensemble ne concourent plus à la fabrication et au réaffermissement du lien social. Face à cette panne, le recours à la mosquée, équipement symbole, a pu jouer un rôle à la fois de prothèse et de substitution. La mosquée devient très tôt un espace-enjeu en matière de violences urbaines, et c’est tout naturellement que la mouvance islamiste s’en saisit ».

Puissamment incrustées dans le tissu social et bien réparties dans le tissu urbain, les mosquées au nombre de 150001483 (chiffre officiel au début des années 90) vont vite constituer l’un des socles de la mobilisation sociale et politique de la mouvance islamique, bien avant d’avoir constitué une base arrière du djihad1484 .

Le FIS avait pris possession de la majorité des mosquées, où chaque prière constituait un rituel dans lequel se mêlent le sacré et le politique. Cela pourrait expliquer la fréquence importante des meetings organisés par les dirigeants du parti ; comme l’a déclaré Ahmed Merani l’un des membres fondateurs du FIS : « Le FIS faisait plus de 1000 meetings… par jour !…, moi-même je faisais 2 à 3 meetings par jour, pas par semaine, Abassi Madani faisait 3 à 4 meetings par jour, Ali Belhadj aussi »

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