Évaluation de la théorie de l’esprit
Il existe différentes façons d’évaluer le développement de la TdE chez les enfants. Cinq épreuves, de nature et de complexité différentes, peuvent être administrées auprès des enfants pour évaluer la TdE. Ces différentes tâches décrites sont généralement utilisées auprès des enfants âgés entre 3 et 8 ans. Chacune de ces épreuves comporte des variations méthodologiques. D’ abord, l’épreuve apparence/réalité (Flavell, Everett, Croft, & Flavell, 1981; Melot, 1997) évalue la capacité de l’enfant à se distancier par rapport à l’apparence trompeuse d’un objet qui lui est présenté et de comprendre qu ‘ il a été trompé par l’adulte quant à sa croyance vis-à-vis de l’ état du monde. L’adulte invite l’enfant à identifier un objet, par exemple, qui en apparence a l’ air d’un téléphone portable mais qui est en réalité une lampe de poche. Ce n’ est que dans un second temps que la vraie nature de l’objet est révélée à l’enfant. Il doit pouvoir reconnaitre que lui-même tout comme autrui ont été trompés par l’ apparence initiale de l’ objet. Une seconde épreuve est celle du contenu insolite (Perner, Leekam, & Wimmer, 1987). Cette tâche évalue la capacité de l’ enfant à comprendre qu ‘ il a été trompé par l’ adulte dans sa croyance quant au contenu d’ une boîte. Par exemple, l’ enfant se voit présenter une boîte de friandises qui contient en fait des crayons. La tâche vise à évaluer la capacité de l’ enfant à reconnaitre sa propre fausse croyance et à comprendre qu’ autrui pourrait également être trompé dans sa croyance quant au contenu de la boîte.
La troisième épreuve concerne le changement de lieu (Wimmer & Perner, 1983) et est fréquemment appelée « Maxi et le chocolat». Elle évalue la capacité de l’enfant à comprendre qu ‘un personnage d’une histoire racontée et jouée avec des figurines est trompé dans sa croyance quant à l’emplacement d’un objet rangé dans une maison de poupée. Par exemple, la mère de Maxi déplace une tablette de chocolat en l’absence de ce dernier. L’enfant est amené à reconnaitre la fausse croyance du personnage et à prédire le comportement de ce personnage en tenant compte de sa fausse croyance. La quatrième épreuve est le test d’aptitude à la tromperie (Oswald & Ollendick, 1989), lequel évalue la capacité de l’enfant à tromper l’adulte en cachant dans ses mains un petit objet. Pour réussir cette épreuve, l’enfant doit se mettre à la place de l’adulte et cacher l’objet sans que ce dernier puisse savoir où il se trouve. Par exemple, l’enfant a caché l’objet en tenant ses mains dans son dos et en présentant ses deux poings fermés à l’adulte. Finalement, il y a l’ épreuve de changement de représentation (Flavell et al., 1981). Cette tâche évalue la capacité de l’enfant à adopter la perspective visuelle de l’adulte assis en face de lui et à comprendre que deux individus perçoivent différemment la réalité du monde en fonction de la perspective visuelle qu ‘ ils ont sur cette réalité. Par exemple, une feuille ayant des images différentes sur chaque face est présentée à l’enfant et celui-ci doit dire ce que chacun y voit lorsque la feuille est présentée verticalement.
Théorie de l’esprit chez les enfants en milieu défavorisé
Les chercheurs ont étudié la relation entre la TdE chez l’ enfant et diverses caractéristiques sociales, familiales et environnementales. À ce jour, de nombreuses études ont évalué le lien entre le statut socioéconomique familial et le développement de la TdE chez des populations d’enfants tout-venant, donc à faible risque socioéconomique (Bradley & Corwyn, 2002). Par contre, peu d’études se sont intéressées à évaluer la TdE chez des populations d’enfants en situation de faible revenu (Wellman et al., 2001). Celles qui ont testé la TdE auprès de cette population ont, dans plusieurs cas, observé des différences dans l’ acquisition de la TdE en fonction que les enfants soient issus d’un milieu favorisé ou défavorisé sur le plan socioéconomique. Notamment, deux études menées au Royaume-Uni indiquent que les enfants issus d’ un milieu en précarité financière sont moins susceptibles de réussir une tâche de fausse croyance durant la période préscolaire comparativement aux jeunes vivant en milieu favorisé (Cole & Mitchell, 1998; Cutting & Dunn, 1999). Plus faible est le statut socioéconomique des familles, moins les enfants âgés entre 4 et 5 ans sont susceptibles de réussir une tâche de fausse croyance de type contenu insolite et de type apparence/réalité (Cole & Mitchell, 1998). Cutting et Dunn (1999) ont, quant à eux, montré que les enfants 15 âgés de 3 et 4 ans provenant de la classe moyenne obtiennent de meilleurs résultats à des tâches de fausse croyance de type changement de lieu que les enfants provenant de familles à faible revenu.
D’autres études réalisées aux États-Unis obtiennent des résultats allant dans le même sens. En milieu défavorisé, des enfants âgés entre 3 et 5 ans ont obtenu des scores inférieurs à des tâches de fausse croyance de type contenu insolite et changement de lieu comparativement à des enfants du même âge provenant d’un milieu mieux nanti (Holmes et al., 1996). Une étude réalisée auprès de 230 enfants âgés entre 3 et 4 ans appartenant à un statut socioéconomique moyen à élevé et une étude auprès de 50 enfants provenant d’un milieu à faible statut socioéconomique ont montré que ceux issus d’un milieu plus aisé sur le plan économique obtiennent de meilleurs résultats aux tâches de fausse croyance de type changement de lieu et contenu insolite que leurs pairs issus d’ un milieu défavorisé (Shatz et al., 2003). Une récente étude longitudinale réalisée en Allemagne auprès de 121 enfants âgés de 3 ans a également montré que les enfants issus d’ un milieu nanti obtiennent de meilleurs résultats aux tâches de fausse croyance de type changement de lieu et contenu insolite que les enfants provenant d’un milieu à faible revenu (Ebert et al.,2017).
Malgré un certain nombre d’études ayant observé des différences dans l’acquisition de la TdE en fonction du niveau socioéconomique des familles, deux études n’ont pas obtenu de tels résultats. Une étude, réalisée auprès de 126 enfants âgés entre 5 et 6 ans, a montré qu’un score global de TdE généré à partir d’une série de tâches de fausse croyance ne se distinguait pas en fonction du niveau socioéconomique des enfants, mais était plutôt associé aux capacités langagières de ces derniers (Lucariello et al., 2007). Certaines hypothèses peuvent être émises pour expliquer l’absence de résultat dans cette étude en comparaison à ceux obtenus dans les études précédemment décrites. D’abord, cette étude comportait une évaluation beaucoup plus complète de la TdE en comparaison aux autres études (p. ex., Holmes et al., 1996; Shatz et al., 2003) puisque les auteurs ont administré des tâches d’apparence/réalité, de changement de représentation et de contenu insolite. Une évaluation plus exhaustive de la TdE pourrait favoriser la réussite des enfants aux tâches de fausse croyance puisque diverses modalités sont alors évaluées.
Aussi, les participants à cette recherche étaient âgés entre 5 et 6 ans, donc un peu plus âgés que les enfants évalués dans les études précédemment rapportées. Il est possible qu ‘ après l’âge de 5 ans, les enfants issus d’un milieu socioéconomique défavorisé rattrapent un certain retard dans l’ acquisition de la TdE et rejoignent le niveau développemental des enfants issus d’un milieu plus favorisé. Une seconde étude a également trouvé un niveau comparable de TdE chez les enfants, peu importe leur statut socioéconomique. Cette étude a été réalisée auprès d’enfants turques âgés entre 4 et 5 ans issus de différents milieux de vie à l’aide de trois tâches de fausse croyance, soit deux de type changement de lieu et une de type contenu insolite (Yagmurlu, Berument, & Celimli, 2005). Par contre, l’ étude a observé que les enfants élevés en institution présentent de plus faibles performances aux tâches de TdE que ceux demeurant en milieu familial. La condition des enfants en institution et en milieu défavorisé est semblable au terme de la rareté des ressources matérielles comme les jeux et les livres, mais ceux du deuxième groupe demeurent avec leurs parents et leur fratrie, et le nombre d’ enfants par adulte est inférieur dans cette condition comparativement à ceux placés en institution. Que l’enfant ait davantage d’ occasions de parler aux adultes et qu ‘ il entende plus de conversations entre adultes pourraient expliquer les performances supérieures aux tâches de fausse croyance obtenues par les enfants demeurant en milieu familial. Les scores aux tâches de TdE étaient positivement corrélés à l’ intelligence nonverbale et aux habiletés langagières dans cette étude.
Interactions familiales
Les interactions parent-enfant font partie des contextes sociaux ayant une influence, tant sur le développement affectif que cognitif de l’enfant (Favez & Frascarolo, 20 Il ; Tissot, Favez, Udry-Jorgensen, Frascarolo, & Despland; 2015; Vesely, Brown, & Mahatmya, 2013). Les interactions parent-enfant ont été largement étudiées en contexte dyadique. De nombreux articles scientifiques décrivent l’association entre la relation parent-enfant et le développement cognitif de l’ enfant et, parmi ces études, une majorité a porté sur la relation mère-enfant. Le lien entre la qualité des interactions mère-enfant et le développement cognitif et socioémotionnel des enfants a donc été largement documenté (pour un résumé, voir Marvin et al. , 2016). Par contre, les études ayant comme objet la TdE sont moins nombreuses. Toutefois, celles qui s’y sont penchées ont permis d’ identifier différentes dimensions de la relation mère-enfant comme étant associées au développement de la TdE chez l’ enfant. Notamment, la sensibilité des mères (Hughes, Deater-Deckard, & Cutting, 1999), leur chaleur et leur réciprocité (Cahill et al., 2007), le fait qu ‘ elles évoquent des états mentaux (Carr, Siade, Yuill, Sullivan, & Ruffman, 2018; Hughes, Devine, & Wang, 2018) et qu ‘ elles traitent leur enfant comme étant un individu ayant ses propres perceptions (Meins, Fernyhough, Russell, & Clark-Carter, 1998) sont des dimensions qui ont été associées au développement de la TdE chez l’enfant.
La qualité des interactions père-enfant a également été associée au développement cognitif, social et affectif de l’enfant (Lundy & Fyfe, 2016; Vesely et al., 2013). Toutefois, à notre connaissance, aucune information dans la littérature ne semble évaluer spécifiquement le lien entre la qualité des interactions père-enfant et le développement de la TdE. Néanmoins, des études ont montré un lien entre la qualité des interactions pèreenfant et le développement cognitif (Bernier, Carlson, Deschênes, & Matte-Gagné, 2012; Bernier, Carlson, & Whipple, 2010; Bernier et al. , 2017) et socioémotionnel de l’enfant (Dumont & Paquette, 2013; Gaumon & Paquette, 2013; Lamb & Tamis-LeMonda, 2004; Lee & Schoppe-Sullivan, 2017). Une hypothèse avancée par certains pour expliquer le rôle du père dans le développement du jeune enfant est l’ idée que le père favorise l’ouverture au monde, c’ est-à-dire qu ‘ il invite et stimule son enfant à découvrir ce qui l’entoure lorsqu ‘ il joue avec lui (Dumont & Paquette, 2008).
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