L’Identité professionnelle
Identité ou travail identitaire Objet de multiples revendications, concept très développé actuellement dans de nombreux domaines (droit, sociologie, anthropologie, psychologie), l’identité reste « un fourre-tout aux contours flous » [De GAULEJAC-2002] dont témoigne DUBAR (1991-2010) : « Résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers L’Identité professionnelle processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions ». BRUBAKER (2001) s’interroge et s’inquiète de cette prolifération d’usage : « Si l’identité est partout, elle n’est nulle part. Si elle est fluide, comment expliquer la manière dont les autocompréhensions peuvent se durcir, se solidifier et se cristalliser ? », rejoignant ERIKSON321 qui déjà en 1968 affirme que « plus on écrit sur ce thème et plus les mots s’érigent en limite autour d’une réalité aussi insondable que partout envahissante ». Pour KAUFMANN (2004), l’identité est insaisissable, changeante, multiple et contradictoire. Multi référentielle et complexe, l’identité est même parfois mis en doute tant sa définition semble difficile, ou, au contraire subissant des tentatives d’instrumentalisation et de normalisation par des groupes dominants [MUCHIELLI-2015], KAUFMANN (2014) y voyant même une « bombe à retardement » tant les enjeux sociétaux qu’elle suscite sont considérables . Parfois galvaudée, cette notion est devenue à la mode, voire obsédante, tant dans les discours politiques que dans les écrits universitaires. Cette inflation discursive est peut-être à mettre en lien avec une individualisation exacerbée dans un contexte de malaise sociétal grandissant, possible conséquence d’une mondialisation qui tend à effacer les cadres qu’ils soient nationaux, sociaux, culturels. Pour CITOT (2015), la difficulté s’accroit surtout lorsque l’on s’intéresse à l’identité de l’être vivant tenant « davantage de l’organisation et du fonctionnement organique que de la matière brute en tant que telle- car il n’est pas constitué d’atomes différents de ceux du monde extérieur ». L’identité doit donc se penser en mouvement. Un effort de clarification est donc nécessaire même si on peut cependant dire qu’elle « est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle »323 . L’identité serait donc ni un objet, ni une caractéristique, ni un état, mais « se donne d’abord à voir comme une construction mentale et/ou discursive opérée par des sujets » [BARBIER-2006]. Etymologiquement, identité a une double origine latine, identitas et idem, signifiant respectivement « qualité de ce qui est le même » et « le même ». Le mot identité a une longue histoire, présent dans la philosophie des grecs anciens, avec une vision essentiellement existentialiste, mais employé sans frontières disciplinaires depuis la période d’après-guerre (1950) et surtout à partir des années soixante où l’aspect collectif et communautaire de l’identité émerge. Pour KAUFMANN (2004), les premières traces officielles de l’identité325 sont les registres paroissiaux. L’identité est donc inscrite au sein d’une communauté, rattachée à un lieu où chacun connait tout le monde prévaut. De fait, les premiers papiers d’identité, sous forme de sauf conduits ou d’extraits baptistaires, vont être attribués à des personnes qui sortent des villages, dans un but de contrôle par la maréchaussée : les vagabonds, les déserteurs, les tziganes, les étrangers puis les ouvriers qui se déplacent de ville en ville326. La carte d’identité française, après une première tentative de mise en place en 1921, sans succès327, est instaurée sous le régime de Vichy, en 1940, vis-à-vis de la communauté juive puis à l’ensemble de la population en 1943. Son caractère obligatoire sur le territoire national est abrogé en 1955. Même si actuellement la carte d’identité n’est pas exigée, la justification de son identité est une obligation pour toutes démarches administratives et face à un contrôle d’identité par la police ou la gendarmerie. Les éléments inscrits sur les documents officiels (sexe, âge, nom, prénom, condition civile…) relativement standardisés permettent une individualisation. Cependant, le terme d’identité, qu’il serait plus juste de qualifier d’identification dans ce contexte, n’est qu’une somme d’identifiants mais ne représente en rien le concept de l’identité comme le signifie SERRE (1994): «Votre carte d’identité, bien nommée, ne comporte donc que deux ou trois de vos appartenances, parmi celles qui demeurent fixes toute votre vie, car vous resterez mâle ou femelle et enfant de votre mère. Une telle pauvreté logique confine à la misère, car, en fait, votre authentique identité se détaille et, sans doute, se perd, dans une description de l’infinité virtuelle de telles catégories, changeantes sans cesse avec le temps réel de votre existence ».
Identité professionnelle
L’identité professionnelle est à la fois une superposition et une nouvelle composante de l’identité propre. Elle s’inscrit dans une histoire singulière mais aussi dans un collectif. Il s’agit de l’intégration de l’individu au travail dans un milieu professionnel défini par lui-même et par la collectivité au sens plus large. Elle « renvoie à la manière dont les personnes appartenant à une profession définissent leur objet de travail mais aussi leur champ de compétence et leur domaine d’intervention » [BOUCHAYER-1984]. SAINSAULIEU (1977) va plus loin en parlant d’identification aux pairs, s’appuyant sur « l’expérience relationnelle et sociale du pouvoir ». Le lieu de travail en tant qu’espace social est producteur de définitions identitaires dont les enjeux sont autant individuels que collectifs [OSTY-2003]. C’est ainsi que LAROUCHE et LEGAULT (2003) proposent la schématisation des identités mobilisées dans le contexte du travail : 160 Figure 1 Identité personnelle, identité professionnelle, identité sociale [LAROUCHE, LEGAULT-2003] On peut donc dire que la construction de l’identité professionnelle résulte d’un triple processus dont les entités sont interdépendantes : Une transaction biographique où le sujet pressent l’avenir à partir de son passé entre continuité et changement (en rupture de sa trajectoire de vie), une transaction relationnelle (entre soi et autrui) dont l’objectif est la reconnaissance ou l’absence de reconnaissance par la hiérarchie du monde professionnel visé. La troisième composante est « intégrative (entre sentiment de cohérence et diversité des registres de pensée et d’action déployés par les sujets)» [PEREZ-ROUX 2016]. L’identité professionnelle est la résultante de toutes les facettes individuelles rationnelles ou non, factuelles ou émotionnelles, alliant l’image de soi du sujet mais aussi ses actes, aspects perceptibles par autrui. Les mutations permanentes, conscientes ou inconscientes sont le fait de l’individu lui-même par ses expériences, de l’environnement social… non figé. Les expériences successives étayent, modulent, modifient les différentes composantes identitaires. L’identité professionnelle se construit donc par le travail, mais tout autant, au travers des interactions avec l’environnement professionnel. En tant que composante de l’identité globale, elle s’articule nécessairement selon la triangulaire du Moi, de Autrui et du Nous [DUBAR-1991]. Il s’agit d’une socialisation secondaire [DUBAR, TRIPIER-1998], dépendante du contexte organisationnel où se trouve l’individu mais aussi de son parcours biographique. Pour DUBAR (1991), la socialisation secondaire fait suite à la socialisation primaire au sein de la famille et s’effectue au contact de groupes sociaux, formels ou informels, à l’école, dans le cercle d’amis, dans un contexte du sport, du travail… L’auteur distingue deux processus de socialisation : La « socialisation biographique » qui est la résultante de l’histoire personnelle du sujet, essentiellement de son histoire sociale, construction à partir d’une « identité héritée » issue du passé vers une « identité visée », projection sur l’avenir. L’identité pour Soi se forge ainsi à partir de cette transaction interne.