L’identification de quatre bascules le caractère novateur des résultats
Les résultats de cette étude seront discutés en trois temps. *Le premier temps cherchera à envisager les réponses aux questions de recherche à travers le caractère novateur de la recherche. *Le deuxième temps ambitionnera de comprendre le façonnage identitaire dans sa dimension temporelle et en lien avec l’augmentation du pouvoir d’agir. Nous situerons la discussion au regard des concepts retenus dans notre revue de littérature et dans notre cadre théorique. *Le troisième temps portera sur les aspects méthodologiques de l’étude, d’abord la dimension supposée transformative de la démarche, ensuite sur certaines spécificités de l’étude par rapport aux outils de la clinique de l’activité. A propos des postulats relatifs à la définition de l’IP, nos travaux rejoignent ceux de nombreux auteurs qui posent celle-ci comme un processus (Beijaard & al., 2000 ; 2004 ; Flores & Day, 2006 ; Riopel, 2006 ; Sutherland, Howard & Markauskaite, 2010 ; Vloet, 2009). Cette partie nous permettra de discuter et prolonger les travaux cités en pointant les circonstances et les environnements favorables à ce que nous avons défini comme des bascules dans le processus de construction identitaire.
Les responsabilités assumées de la classe
La construction identitaire est favorisée par les choix effectués par les PEFI, témoignant de leur responsabilité à propos des événements de la classe. La reconnaissance ici mise en exergue résulte de la bascule des responsabilités assumées par les PEFI. Cette bascule est probablement celle qui était la plus éloignée de nos intuitions de départ. En effet, en abordant la question identitaire, nous percevions que nous allions être confronté aux problématiques de la reconnaissance ou à celle de la renormalisation / de l’émancipation ; autant d’éléments présents dans la définition heuristique que nous avons donnée de l’IP (Zimmermann, Méard & Flavier, 2012). En revanche, nous n’avions initialement pas perçu l’importance des responsabilités assumées dans le processus identitaire. Les stagiaires qui attribuent l’origine de ce qu’il se passe en classe à autrui (aux élèves, à la présence d’un parent, à la titulaire…) manifestent une sorte de passivité qui va de pair avec une identité à peine ébauchée. Les enseignants débutants se déchargent ainsi de leur responsabilité et des dysfonctionnements.
Ces manières de faire expliquent les tensions liées à la division du travail (Engeström, 1987). En s’écartant temporairement et volontairement de la classe (lors de la première séance de natation, lors d’une affectation dans une classe qu’ils ne connaissent pas), les PEFI ne participent plus à la situation ordinaire de l’enseignant avec les élèves. Pour reprendre les travaux de Wertsch et les appliquer aux enseignants débutants, ces derniers se distancient de la situation définie par l’organisation sociale (un maître responsable enseigne à ses élèves), ce qui ne favorise pas le processus identitaire (Wertsch, 1991). Les tâches sont réalisées par autrui alors qu’elles relèvent de l’enseignant. Le pouvoir et le contrôle de la classe sont laissés à autrui. Nous nous rapprochons là des travaux de Daniels (2007) sur l’importance des dialogues entre les participants. Ceux-ci sont constitutifs de positions sociales qui contribuent au façonnage identitaire. Or en laissant le pouvoir et la parole à autrui (le maître-nageur, l’ATSEM), le PEFI n’endosse pas une position d’enseignant mais d’apprenant, d’observateur. A l’inverse, malgré un environnement parfois jugé difficile par les PEFI, certains s’attribuent la responsabilité des événements et ne cessent de chercher des solutions, à travers la construction d’opérations. Nous pointons l’importance des responsabilités connues et assumées par les stagiaires en classe, comme contribuant au façonnage de leur IP. La collaboration entre le PEFI et d’autres professionnels (maître-nageur, ATSEM, directeur de l’école, titulaire de la classe) relève d’une division du travail non stabilisée et source de tensions (Leontiev, 1976 ; Engeström, 2000). Cette division du travail dans laquelle baigne l’IP des enseignants débutants est problématique car ceux-ci travaillent la plupart du temps avec des professionnels plus expérimentés qu’eux et davantage au fait des circonstances de fonctionnement de la classe. Dans ces conditions, les responsabilités du stagiaire sont empiétées régulièrement par le pouvoir d’action de ces collaborateurs. Le PEFI s’affirme comme l’enseignant de la classe et tente d’assumer ses responsabilités. Mais le paradoxe provient de ce qu’il est parfois satisfait, voire soulagé, que les ATSEM (par exemple) « franchissent les frontières » en agissant à sa place (par exemple quand il ne sait comment faire dans une situation inédite). Ce « boundary crossing », tel qu’il est décrit par Engeström, est source de tensions d’autant plus fortes qu’il se développe dans un système de décision, de pouvoir, non pas « en réseau » mais hiérarchique (que ce soit entre l’enseignant et les élèves ou entre l’enseignant débutant et sa tutelle). Les responsabilités assumées que nous évoquons ici permettent une implication progressive dans ce qu’il se passe dans la classe, une participation de plus en plus forte de la part des PEFI. Ces résultats ne sont pas sans rappeler les changements profonds de l’IP au moment où les enseignants débutent le travail dans les écoles (Feiman-Nemser, 2001 ; Flores & Day, 2006 ; Herbert & Worthy, 2001 ; Mukamurera & Gringas, 2004 ; 2005a ; Ottesen, 2007). Les auteurs pointent précisément la difficulté éprouvée par les PEFI à passer de l’absence de responsabilité à l’IUFM à la responsabilité d’enseignant (Guibert, Lazuech & Rimbert, 2008), à passer de l’ « élève enseignant » à « l’enseignant d’élève » (Smith & Ingersoll, 2004). Notre recherche prolonge ces travaux dans la compréhension fine du processus. Mais ils rendent compte de dimensions supplémentaires. A travers l’identification, dans les résultats de notre étude, des quatre bascules marquant le processus de construction identitaire de l’enseignant du premier degré, ils mettent en exergue l’instabilité de la reconnaissance, ce que les travaux antérieurs passent souvent sous silence. La reconnaissance évolue dans la manière dont les PEFI prennent en compte les observations, les prescriptions et les conseils des collègues, dans l’origine des tiraillements, des hésitations, des conflits intrapsychiques qui les contraignent par moments à ne pas agir comme ils l’auraient souhaité. Dans ces situations, nos résultats montrent l’importance des compromis opératoires (Saujat, 2004a) dans le façonnage identitaire. Les PEFI se forcent par exemple à être sévères à contrecoeur ou encore mettent en œuvre des opérations qu’ils considèrent « anti-pédagogiques » pour contrôler la classe, parce qu’ils sont également préoccupés par le fait de donner à voir une image positive d’eux- mêmes. Les choix qu’ils effectuent sont considérés comme les meilleurs au moment où ils les font, in situ. Cette efficacité bornée contraste parfois avec l’efficacité projetée qu’ils envisagent lorsque l’occasion leur est donnée de revenir sur leurs choix, par exemple au cours des entretiens d’AC. Ainsi, la question du personnage ne se pose pas en termes de « savoir qui je suis », mais plutôt en termes de responsabilités à assumer.
La reconnaissance de son activité par soi
La question du personnage à jouer devant les élèves met en évidence la mise en jeu des enseignants bien au-delà des limites de l’école. Nos résultats rejoignent en ce sens ceux de Guibert, Lazuech & Rimbert (2008) dont l’approche sociale sur les enseignants débutants du second degré pointe l’importance des relations professionnelles et des relations aux autres pour construire les repères nécessaires à leur installation dans le métier. L’IP déborde le strict cadre du milieu professionnel. La difficulté qu’ont les stagiaires à trouver le bon personnage en témoigne. Pourtant, cet équilibre est au centre de la question du façonnage de l’IP. Pour évoquer la diversité de rôles que doivent tenir les enseignants, plusieurs auteurs évoquent des « sous-identités » (McCarthy, 2001 ; Vloet, 2009) ou parlent d’identité plurielle (Beijaard, Meijer & Verloop, 2004 ; Cooper & Olson, 1996). Nous nuancerons cette perception car notre travail montre que l’IP peut prendre plusieurs facettes mais qu’il n’existe qu’une seule.