Liberté pour l’Histoire des Arméniens
Le ministère turc de la Culture a mis en ligne un site internet visant à présenter le site historique arménien d’Ani (près de Kars) sans mentionner une seule fois le mot « arménien ». Exemple parfait d’une réécriture d’Etat d’une histoire encombrante. Rappel historique : Ani, existant depuis l’époque d’Ourartou, est devenue la forteresse des seigneurs arméniens de la famille Kamsarakan vers le Ve siècle, puis est passée sous la main des Princes arméniens des Bagratides. L’an mil a vu l’époque de la splendeur d’Ani. Le roi d’Arménie Achot III en a fait sa capitale en 961 : il a construit d’abord les remparts puis un grand palais et sa citadelle. Ani s’est alors développée : elle s’est agrandie grâce à sa situation sur une route commerciale : elle était le centre religieux, administratif et aussi culturel de toute l’Arménie médiévale. La « ville aux mille et unes églises » a pris de l’importance : vers 989, le roi arménien Smbat II a fait édifier des murailles plus grandes que les précédentes, ainsi que la grande cathédrale d’Ani, terminée en 1001, sous le règne du roi Gagik Ier (989-1020). Un nouvel essor a dynamisé la ville sous le règne de celui-ci : c’est l’époque de la construction de la plupart des églises. La population d’Ani vers l’an mil aurait atteint les 100 000 habitants, et la cité était le siège du catholicos arménien. Ce rappel incomplet était nécessaire pour apprécier à sa juste valeur les « efforts de restauration et de présentation » d’Ani, menés par le ministère turc de la Culture qui réussit l’exploit de consacrer un site internet à cette antique cité arménienne sans mentionner une seule fois le mot « arménien ».
Alors, Pierre Nora n’a-t-il pas quelque chose à dire sur cette réécriture étatique de l’histoire qui concerne pourtant un trésor de l’humanité ? Voici le résumé de trois articles parus dans la presse turque ou arméno-turque sur ce sujet. Liberté au point de ‘Ani’ ! Un article relatif au site internet d’Ani est paru dans le journal arménien de Turquie, Agos. L’article a souligné le fait que le ministère turc de la Culture a créé un site internet présentant le site historique d’Ani. Problème : le point de la lettre ‘i’ a été enlevé. Ce qui correspond à un autre son dans la langue turque et cela change le sens même du mot, car ‘ANI’ (sans point sur le « i ») signifie en turc « souvenir ». Agos a dénoncé l’absence du mot ‘Arménien’ sur le site. L’article d’Umit Kivanç, paru dans le journal turc Taraf du 29 Novembre 2008 (également repris par Agos du 5/12/2008) dénonce également plusieurs erreurs sur ce site internet. D’après lui, c’est une vraie pollution d’informations : il y a à plusieurs reprises des allusions aux événements de 1915, on parle de la dynastie des Bagratides et du roi Gagik mais on ne sait pas d’où ils viennent car il n’y a pas un seul mot sur les Arméniens. Soi-disant la ville était déjà à cette époque-là, entre les mains des Turcs. Umit Kivanc se moque de cette désinformation en disant que bientôt ils vont ajouter que les Bagratides étaient des tribus turques. Il s’interroge «comment pouvaient-ils faire disparaître Ani ? Comme elle est un peu trop connue, ils ne peuvent pas la faire disparaître alors comment est-ce qu’ils devaient faire pour attribuer cette ville aux Seldjoukides ?
D’abord, en enlevant le point du ‘i’, ensuite, on va apprendre à nos citoyens que c’était une ville seldjoukide, ensuite on pourra dire que quelques Arméniens étaient passés par là etc…etc…». (Nota CVAN : on ne peut pas ne pas penser au rapprochement fait par un juge turc avec 1984 d’Orwell, où un ministère s’occupe de la réécriture de l’histoire). Umit Kivanç conclut en disant que les choses ne se passent plus comme ça. Il dit que si l’État insiste pour nier que cette ville est une ville arménienne même les plus opposants (aux Arméniens) vont finir par connaître la vérité. Quant à la question « vont-ils pouvoir dire la vérité ? » Kivanç reste septique et répond en disant «Halte ! Je n’ai pas dit que l’État échouait dans tous les domaines » (Nota CVAN : il fait allusion à la liberté d’expression bafouée en Turquie) Le ministère de la Culture a ressenti le besoin de répondre à l’article d’Agos. La déclaration dit que le site n’est pas encore complet et que les travaux se poursuivent. En l’état actuel, le site a un caractère de ‘pré-information’. Même dans cette déclaration envoyée à Agos, le mot ‘Arménien’ est absent. La commission effectuant ces travaux est composée exclusivement de Turcs. Ils disent que l’article paru dans Radikal les avait gênés alors que la commission des musées avait donné la priorité pour pouvoir restaurer et présenter au mieux Ani.