L’homéostasie du cuivre chez la protéobactérie
Rubrivivax gelatinosus
Les métaux lourds
Ces éléments traces métalliques, appelés abusivement métaux lourds, incluent aussi bien les métaux présents dans l’environnement à l’état de trace (cadmium, cuivre, mercure, plomb, nickel, zinc, etc.), que des éléments non-métalliques comme l’arsenic ou le fluor. Comme tous les minerais, ces éléments métalliques sont présents dans les roches mais ils sont également présents dans l’eau et dans le sol. Des phénomènes naturels comme l’érosion et les éruptions volcaniques touchant ces réserves naturelles entrainent la diffusion de ces métaux dans l’environnement. L’activité humaine contribue également largement à la propagation de ces métaux dans l’environnement via l’exploitation minière de ces gisements et via les industries de fabrication des métaux et des alliages qui rejettent leurs effluents dans l’environnement (eaux et sols). L’eau constitue un élément fondamental en matière de pollution de la chaîne alimentaire (algues, poissons, mammifères) par ces éléments métalliques. Ces métaux lourds peuvent ainsi s’accumuler dans les organismes vivants et avoir des effets toxiques à court et long terme. Certains de ces métaux comme le plomb (Pb), le cadmium (Cd), le mercure (Hg) et l’argent (Ag) souvent utilisés en industrie ne sont pas nécessaires à la vie et sont préjudiciables à faible et forte concentrations. Cependant, plusieurs de ces éléments métalliques sont des oligo-éléments indispensables à la vie à très faible dose (la concentration du cuivre libre dans la cellule est inférieur à de 10- 18 M) (Rae, Schmidt et al. 1999). Ils interviennent comme des cofacteurs dans diverses réactions biochimiques cruciales. C’est le cas du fer (Fe), du cuivre (Cu), du zinc (Zn), du nickel (Ni), du cobalt (Co), du sélénium (Se), du molybdène (Mo), du manganèse (Mn) et du magnésium (Mg). Le nickel, par exemple, est le cofacteur des uréases et des hydrogénases, le cobalt est le cofacteur de quelques enzymes impliquées dans le métabolisme de la vitamine B12, le molybdène est le cofacteur de la DMSO réductase ou encore de la nitrate réductase (Nap/Nar), le manganèse est le cofacteur du photosystème de type II. L’homoéostasie des ions métalliques est maintenue par un processus finement réglé mettant en jeu des systèmes d’imports, de stockage et de l’efflux. Le maintien du bon équilibre des concentrations en ions métalliques dans la cellule est orchestré par des transporteurs de métaux de faible et de forte affinité. Ces transporteurs peuvent être groupés en deux classes à savoir ceux qui transportent le métal en utilisant l’énergie chimique générée par l’hydrolyse de l’ATP et ceux qui transportent l’ion en utilisant le gradient électrochimique des protons. Un dysfonctionnement dans le système d’homéostasie (import / efflux) de ces métaux peut causer des désordres physiologiques chez les procaryotes et les eucaryotes. Chez les procaryotes, la toxicité intracellulaire des ions métalliques lourds liée à un dysfonctionnement de leurs systèmes d’homéostasie relève de divers mécanismes. En particulier, la fixation non spécifique des cations métalliques en excès sur certains résidus (cystéine, acide glutamique ou aspartique) qui constituent le site actif des enzymes conduit à l’inhibition de leurs activités enzymatiques. Un excès en cuivre ou encore en cobalt diminue l’activité des protéines à cluster Fe-S chez Escherichia coli ou Salmonella enterica serovar typhimurium LT2 (Macomber and Imlay 2009 ; Thorgersen and Downs 2007). Le cuivre endommagerait le centre Fe-S des déhydratases impliquées dans la biosynthèse des acides aminés branchés chez Echerichia (E.) coli (Macomber and Imlay 2009). Il a été proposé également que certains métaux tels que le fer puissent provoquer un stress oxydatif à cause de leurs potentiels redox entrainant ainsi la formation de radicaux libres via des réactions du type Fenton pouvant endommager les protéines, les lipides et l’ADN (Keyer and Imlay 1996). Par ailleurs, un déficit en ions métalliques peut altérer la croissance des bactéries ou leur aptitude à coloniser certains milieux. C’est le cas de certaines bactéries pathogènes comme 15 Mycobacterium (M.) tuberculosis, Salmonella ou Pseudomonas (P.) aeruginosa chez lesquelles l’acquisition du fer est indispensable pour le déclenchement des mécanismes infectieux (Dupont, Grass et al. 2011). Ces bactéries possèdent également des systèmes d’homéostasie de métaux indispensables au maintien de leur pouvoir virulent (Dupont, Grass et al. 2011). Chez les eucaryotes, il est connu que l’altération de l’homéostasie des ions métalliques est responsable de plusieurs pathologies (Nelson 1999). Un défaut dans l’absorption du cuivre chez l’homme est responsable des syndrômes de Menkes et de Wilson (Cox and Moore 2002 ; Mercer and Llanos 2003). De même, un défaut de transport du Fer conduit à l’hémochromatose (Nelson 1999). Des organismes tel que la levure et la drosophile servent de modèles d’étude de l’homéostasie des métaux chez les eucaryotes.
Des cofacteurs métalliques essentiels chez les bactéries
Divers cofacteurs métalliques sont indispensables pour assurer la croissance et la multiplication des bactéries. Ainsi, les ions cuivre sont nécessaires pour les superoxides dismutases à Cu mais également pour les oxydases terminales (les quinols et les cytochromes oxydases) impliquées dans la chaîne respiratoire de plusieurs bactéries. Le fer est également incorporé au niveau du centre catalytique de nombreux enzymes intervenant dans diverses réactions redox. Ces enzymes jouent un rôle central dans plusieurs processus cellulaires comme le transport d’électrons (cytochromes solubles, cytochrome oxydase, Ferredoxines, complexe bc1, etc…), la biosynthèse des acides aminés à chaîne branchée (valine, leucine et isoleucine) via l’action des déshydratases à cluster Fe-S, la régulation des gènes selon l’état redox du milieu ou la disponibilité du fer via des facteurs de transcription à cluster Fe-S comme FnrL ou le facteur à fer Fur. Parmi les métaux indispensables pour le développement des bactéries photosynthétiques comme Rhodobacter (R.) capsulatus, Rhodobacter (R.) sphaeroides, Rhodopseudomonas (R.) palustris ou R. gelatinosus on peut citer le magnésium, le fer et le cuivre. Ces métaux sont les plus étudiés chez ces bactéries où ils interviennent dans des processus vitaux. Le fer et le magnésium jouent notamment un rôle important dans la voie de biosynthèse des porphyrines (hèmes et bactériochlorophylles), cofacteurs nécessaires à la respiration et à la photosynthèse. 16 D’une part, le magnésium constitue le facteur métallique pour la bactériochlorophylle associée au centre réactionnel. Ce pigment joue un rôle dans l’absorption de l’énergie lumineuse au niveau des photosystèmes. D’autre part, l’hème est essentiel pour la synthèse des cytochromes nécessaires pour le complexe bc1 ou encore pour la nitrite réductase à cytochrome cd1 (cd1NIR) et l’oxyde nitrique réductase (NOR). De plus, le fer est également important pour le centre réactionnel des photosystèmes mais aussi pour la formation des clusters Fe-S de plusieurs enzymes impliquées dans divers voies métaboliques comme la protéine Rieske contenant un cluster [2Fe-2S]. Quant au cuivre, il a une fonction importante dans les oxydases type hème-cuivre (les cytochromes c oxydases) et les quinols oxydases ainsi que dans d’autres cuproprotéines membranaires comme la nitrous oxyde réductase (la NOS réductase) ou la nitrate réductase à cuivre (Cu-NIR). Chez les cyanobactéries, le cuivre est le cofacteur de la plastocyanine impliquée dans le transfert d’électrons au niveau de la chaîne photosynthétique. L’approvisionnement des bactéries en ces métaux est assuré par des systèmes de transports (import, efflux) assez spécifiques identifiés et caractérisés chez certaines bactéries dont certains sont présents chez les bactéries photosynthétiques.
Les systèmes de transport du magnésium
Le Mg2+ est le cation bivalent le plus abondant dans les cellules vivantes. Contrairement au cuivre et au fer dont la concentration cellulaire est de l’ordre du nanomolaire, la concentration totale en Mg2+ dans les cellules procaryotes et eucaryotes est de l’ordre de 15 à 25 mM (Maguire and Cowan 2002). Plusieurs transporteurs de Mg2+ ont été caractérisés mais parmi eux aucun système d’efflux du Mg n’a été identifié bien qu’il a été suggéré que le transporteur CorA serait également impliqué dans l’efflux du Mg (Maguire and Cowan 2002). . Ceci semble indiquer que le magnésium n’est pas toxique pour les cellules à l’inverse des autres métaux. Les systèmes de transport du magnésium ont été majoritairement étudiés chez la bactérie Gram négative Salmonella typhimurium. Quatre transporteurs sont identifiés comme impliqués dans l’import du Mg2+ : deux ATPase MgtA/B, MgtE et le transporteur CorA (Figure 1). Ces deux derniers sont largement répandus chez les bactéries et les archées alors que la classe des transporteurs MgtA/MgtB est présente principalement chez les eubactéries. 17 Figure 1 : Les complexes membranaires impliqués dans le transport du Mg2+. L’entrée du Mg2+ dans la cellule se fait par l’intermédiaire d’une porine de la membrane externe (OM). Une fois dans le périplasme, le Mg2+ est transporté vers le cytoplasme via des transporteurs de la membrane interne CorA, MgtA, MgtB et MgtE. MgtC n’est pas connu pour transporter le Mg2+. Seule CorA est capable d’assurer l’efflux et l’import du Mg2+. PhoQ est un récepteur du Mg2+ qui régule avec PhoP l’expression de plusieurs gènes notamment MgtA et MgtB. Le cation Mg2+ hydraté associé aux porines et aux différents transporteurs du magnésium est représenté par un grand cercle gris. Le petit cercle en gris foncé représente la forme ionique de Mg2+ sans sa coquille d’hydratation (Maguire and Cowan 2002). Le transport du Mg2+ par MgtE et CorA dépend du gradient électrochimique membranaire alors que MgtA/B utilisent l’énergie générée par l’hydrolyse de l’ATP. CorA est exprimée d’une manière constitutive alors que l’expression des ATPases MgtA/MgtB est induite en présence de faible concentration de Mg2+ dans le milieu via le système à double composante PhoP/PhoQ. Chez les bactéries photosynthétiques, rien n’est connu sur le transport du magnésium. La recherche des séquences codantes pour ces transporteurs dans le génome de R. gelatinosus, révèle la présence de la protéine CorA présentant 46% d’identité avec celle d’E. coli ainsi que les ATPases MgtA/MgtB et le régulateur à double composants PhoP/PhoQ. Le métabolisme du Mg2+ est peu étudié chez les cyanobactéries ainsi que chez les bactéries pourpres malgré l’importance du Mg2+ pour la synthèse de la chlorophylle, ceci peut être due au fait que ce métal n’est pas toxique pour ces organismes.
Les systèmes de transport du Fer
Le fer participe à des processus biologiques majeurs comme la photosynthèse, la fixation de l’azote (N2), la respiration, le transport de l’oxygène, le cycle des acides tricarboxyliques (TCA), la régulation des gènes et la biosynthèse de l’ADN. Sa fonctionnalité biologique découle presque entièrement de son incorporation dans des protéines, comme espèces mono- ou binucléaires (Fe ou Fe-Fe), ou sous une forme plus complexe en tant qu’élément des clusters fer-soufre ou des groupes hémiques. A l’origine, l’atmosphère de la Terre était hautement réductrice et anaérobie. La forme prédominante du fer se trouvait à l’état ferreux Fe2+ relativement soluble. L’enrichissement de l’atmosphère terrestre en dioxygène grâce à la photosynthèse oxygénique des cyanobactéries aurait commencé il y a environ 3.8 milliards d’années. Cet évènement majeur bouleversa la vie sur Terre entrainant l’apparition du fer ferrique Fe3+ extrêmement insoluble. Au cours de l’évolution, les bactéries ont développé des systèmes d’homéostasie leur permettant de maintenir un approvisionnement suffisant en fer tout en gérant le niveau cellulaire du fer. Ces systèmes sont bien étudiés chez E. coli en particulier. Les bactéries élaborent et secrètent des chélateurs ferriques extracellulaires de haut-affinité appelés sidérophores. Plusieurs siderophores ont été caractérisés, les plus connus sont l’entérobactine et le ferrichrome. Ces derniers chélatant le Fe3+ passent à travers des récepteurs spécifiques de la membrane externe vers le périplasme. Ce processus de transport nécessite de l’énergie sous forme de force motrice de protons et le complexe protéique de la membrane interne TonB-ExbB-ExbD, pour transmettre cette énergie au récepteur de la membrane externe (Figure 2A) (Noinaj, Guillier et al. 2010). E. coli K12 possède six récepteurs de Fer-sidérophore au niveau de la membrane externe (FhuE, FhuA, FecA, FepA, Cir, Fiu) permettant ainsi l’acquisition de différents complexes chélatés de fer. Au niveau du périplasme, le complexe Fer-sidérophore est pris en charge par une protéine périplasmique liant le fer-sidérophore (FhuB, FecB et FepB) afin de le transporter vers un transporteur de type ABC de la membrane interne (FhuCD, FecCDE et FepCDEG) (Andrews, Robinson et al. 2003). Ce dernier délivre le fer-sidérophore au cytoplasme où le complexe est probablement dissocié par la réduction de l’ion ferrique (Fe3+) en ion fer ferreux (Fe2+). Le Fer est alors soit destiné au stockage soit à l’incorporation dans des enzymes. Les sidérophores sont détruits ou recyclés vers le milieu extérieur (Figure 2B
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