L’HISTORIQUE DES FILMS COMIQUES ET MUSICAUX

L’HISTORIQUE DES FILMS COMIQUES ET MUSICAUX

Le contexte social, politique et économique du Brésil de la période précédant l’émergence des chanchadas

Les années 1950 au Brésil, point de départ de notre recherche, sont socialement, politiquement et culturellement, une conséquence directe des mutations survenues dans les années 1930 et dans la première partie des années 1940. Ces deux dernières décennies virent la mise en œuvre d’un nationalisme culturel et politique initié quelques années auparavant avec le Romantisme brésilien au XIXe siècle et puis avec le Modernisme, au XXe siècle. Mais c’est dans les années 1930 que l’idée d’un populaire lié au national et non plus au nativisme, comme ce fut le cas pendant le Romantisme, commence à gagner une dimension totalisante et à se mettre en place. Par conséquent, il nous faut faire un bref résumé de ces années-là afin de mieux comprendre la décennie qui nous intéresse. C’est le Romantisme qui a ouvert la voie à un nationalisme artistique à travers la recherche d’une littérature typiquement brésilienne. Néanmoins, malgré leurs bonnes intentions, les romantiques brésiliens étaient encore trop influencés par les idées européennes, notamment par les romantiques français. Ainsi, leur indianisme, l’idée de valorisation des indiens brésiliens et le premier grand projet de quête d’un élément authentiquement brésilien, portaient l’empreinte des théories racistes alors en vogue en Europe et au Brésil. En outre, les « bons sauvages » brésiliens, trop idéalisés, ne passaient que pour les équivalents locaux des chevaliers du Moyen-Âge du Romantisme européen. Ensuite, le Modernisme brésilien a réactualisé cet idéal d’art typiquement national du Romantisme brésilien. Très influencés par la modernité européenne, les principaux auteurs de ce mouvement ont, toutefois, essayé de chercher une authenticité moins nativiste et moins socialement restreinte,  plus moderne donc, que celle d’un indianisme idéalisé. La notion de brésilité qu’ils défendaient ne se restreignait pas aux éléments nativistes, ce qui permettait une intégration des influences étrangères, situation absolument normale pour un pays formé par trois peuples dont deux étaient « étrangers », transplantés. L’altérité y était admise, à condition d’être « anthropophagisée ». Une culture typiquement brésilienne devait être le résultat de la macération des trois cultures ayant formé le pays ; et la culture en résultant, la seule véritablement brésilienne, devait être préservée afin de ne pas subir d’autres influences, comme s’il était possible de mettre une culture à l’écart du progrès et des évolutions contingentes. Initialement formaliste, plus le mouvement s’est nationalisé, plus il s’est idéologisé et s’est tourné vers la réalité du quotidien, se rapprochant du peuple et de la culture populaire brésilienne. La deuxième génération du mouvement, celle qui coïncide avec le premier gouvernement de Getúlio Vargas (1930-1945) a beaucoup influencé les deux mouvements cinématographiques qui seront analysés dans cette recherche. Nous reviendrons sur le Romantisme et le Modernisme dans le chapitre suivant. Avant d’entamer l’analyse des années 1950, la période à l’origine du cadre historique de cette recherche, nous ferons un bref panorama de l’histoire brésilienne des deux décennies antérieures en soulignant les aspects qui auront une importance directe ou indirecte sur cette recherche, comme la fondation en 1941 de l’Atlântida, le principal studio producteur de chanchadas qui a produit la plupart de celles qui seront analysées ici et qui est une conséquence directe du contexte sociopolitique et économique de l’époque. En 1941, année de la fondation de l’Atlântida, le Brésil vivait sous la dictature de l’« Estado Novo » (Etat Nouveau) de Getúlio Vargas. Arrivé au pouvoir en octobre 1930 par un coup d’État connu sous le nom de Révolution de 1930, Vargas n’a été élu président par l’Assemblée Nationale brésilienne qu’en 1934 avec la promesse de convoquer des élections directes en 1938. Mais en 1937, on a découvert l’existence d’un supposé « plano Cohen45 » à propos d’une deuxième tentative d’insurrection coFilho, le plan était un faux dans la mesure où il n’était « qu’une fantaisie destinée à être publiée dans un bulletin de l’AIB [Ação Integralista Brasileira]. Il décrivait comment se déroulerait une insurrection communiste et comment réagiraient les integralistas si elle avait lieu. L’insurrection provoquerait massacres, pillages, manque de respect aux foyers, incendies d’églises etc. Le fait est que d’œuvre de fiction, le document a été transformé en réalité, passant de la main des integralistas aux mains de l’état-major de l’Armée de terre. Le 30 septembre 1937, il a été transmis dans une émission officielle à à la radio et publié en partie dans les journaux48 ». C’était tout ce dont Vargas avait besoin pour annuler la Charte Constitutionnelle de 1934 et déclencher son deuxième coup d’État. Le 10 novembre 1937, la fermeture du Congrès brésilien officialisait le début de la dictature de l’État Nouveau, nom inspiré de la dictature portugaise de Salazar, qui demeura au pouvoir jusqu’en 1945. Une nouvelle Constitution, rédigée à la hâte en 1937, donne d’amples pouvoirs au président au détriment des états, qui disparurent presque comme unités politiques, leurs drapeaux ayant même été brûlés en place publique à Rio de Janeiro. Des intervenants nommés par le président remplacent les gouverneurs élus directement par le peuple. Le Congrès est fermé et tous les partis et organisations politiques, y compris l’AIB, grand soutien du gouvernement, sont interdits. Ceci conduisit les integralistas à une tentative échouée de renversement du dictateur en 1938, quand plusieurs de leurs membres furent assassinés dans le jardin du palais présidentiel à Rio de Janeiro. En agissant de la sorte, la dictature ne faisait que donner suite à la politique centralisatrice commencée par la révolution de 193049 et, une fois de plus, le président Vargas a compté avec lammuniste46. Découvert en possession d’un officiel integralista47, Olimpio Mourao énédiction des classes dominantes et d’une partie des députés qui, malgré l’emprisonnement de centaines de leurs collègues, n’ont pas hésité à montrer leur soutien au dictateur. Comme l’affirme l’historien brésilien Boris Fausto : « L’État Nouveau n’a pas représenté une coupure radicale avec le passé. Plusieurs de ses institutions et pratiques ont commencé à prendre forme pendant la période 1930-1937. Mais à partir de novembre 1937, elles se sont intégrées et ont pris forme au sein du nouveau régime. L’inclination centralisatrice, révélée tout de suite après la Révolution de 1930, s’est pleinement réalisée. Les États ont commencé à être gouvernés par des intervenants, nommés par le gouvernement central et choisis selon différents critères. Des parents de Vargas, militaires, ont été désignés. De manière générale, cependant, dans les plus grands États, quelques secteurs des oligarchies ont été maintenus50 ».

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Les premiers films sur le carnaval

Avant de commenter brièvement l’importance des années 1950 pour les chanchadas, il est tout aussi important de faire une synthèse historique des films ayant le carnaval comme thématique, ainsi que des films musicaux et comiques brésiliens. Etant donné que le cinéma et la musique ont toujours été associés, l’absence de son dans le cinéma muet n’empêchait pas certains films de se faire éventuellement accompagner par un piano ni les patrons de certaines salles d’embaucher souvent des musiciens pour jouer dans le hall d’entrée afin d’attirer le public à un art encore méconnu. La musique, le chant et la danse sont des éléments importants et très présents dans la culture des trois peuples qui ont constitué le Brésil, notamment dans la culture des Indiens et des Noirs. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le carnaval (qui mélange musique, chant et danse) est la principale fête populaire du pays et la samba (chant et danse), le seul rythme brésilien considéré comme le symbole de l’identité nationale ou si, un peu partout dans le pays, les principales fêtes sont liées au chant et à la danse. Cela nous permet d’inférer qu’au Brésil, l’association entre cinéma et musique paraît comme une conséquence naturelle, une alliance prolifique et incontournable. Malgré la fréquentation élitiste du cinéma à ses débuts et les préjugés envers la culture populaire et les Noirs, le carnaval et les fêtes populaires n’ont pas tardé à envahir les écrans brésiliens. Les premières images cinématographiques furent projetées au Brésil le 8 juillet 1896 avec un appareil dénommé omniographo. « Avec ce nom, d’une composition si hybride, on a inauguré hier à 2 heures de l’après-midi, (…), un appareil qui projette sur une toile placée au fond de la salle des spectacles divers et scènes animées, à travers une très grande série de photographies70», a commenté un journaliste de l’époque. La présence du carnaval sur les écrans ne s’est pas faite beaucoup attendre et l’un des premiers films sur le sujet apparus sur les écrans brésiliens fut le documentaire – un naturel, comme on les appelait à l’époque au Brésil – O carnaval de Veneza (« Le carnaval de Venise »), projeté le 17 juin 1898 au cinématographe Paris à Rio. Ce cinéma appartenait à José Roberto Cunha Sales et à l’italien Pascoal Segreto qui, avec ses frères Gaetano et Afonso, fut l’un des pionniers du cinéma brésilien. Afonso est d’ailleurs l’auteur des premières images tournées au Brésil. De retour d’un voyage en Europe, où il était allé acheter des films et des équipements de tournage, il filme le 19 juin 1898, du bateau qui le ramène, des images de la baie de Rio de Janeiro avec ses bateaux de guerre et ses forteresses. L’origine italienne de ces pionniers nous permet de comprend pourquoi l’un des premiers films sur le carnaval aborde la fête italienne plutôt que la brésilienne. De toute façon, en l’absence de matériel de tournage au Brésil, nous pouvons voir cette première projection d’un film carnavalesque comme une demande ou un besoin du marché. Presque tous les ans, pendant la période du carnaval, ces « vues », comme on appelait ces films à l’époque, envahissaient les écrans des cinémas à Rio de Janeiro. Ainsi, on a pu voir en 1900 O maxixe71 no outro mundo (« Un maxixe dans l’autre monde ») et Um pierrot embriagado (« Un pierrot ivre »). En 1901, on a pu voir les films Carnaval em Nice (« Carnaval à Nice »), Baile Brahma (« Bal de la Brahma », le nom d’une marque de bière) et Baile Excelsior (« Bal de l’Excelsior », le nom d’un hôtel). En 1906, il y a eu O carnaval na avenida Central (« Le carnaval dans l’avenue Centrale »), peut-être le premier film brésilien avec des images du carnaval de rue. En 1908, le public a pu assister aux films O corso de 19 de fevereiro (« Le cortège du 19 février »), Batalha de confetes na avenida Botafogo (« Bataille de confettis sur l’avenue Botafogo »), O carnaval de 1908 no Rio (« Le carnaval de 1908 à Rio ») et O préstito dos Democráticos (Le défilé des Démocratiques », le nom d’un club de carnaval), sur lequel un critique a écrit que « dire que ce film est une merveille de perfection est servir de phonographe au public qui tous les jours va au [cinéma] Rio Branco. Jamais on n’a vu dans le genre une chose plus parfaite ; dans un grand défilé on y distingue plus de deux cents participants de l’élégante Société72 ». 1909 a été une année très riche pour les films portant sur le carnaval. Tout d’abord il y a eu Aspectos populares do carnaval do Rio (« Aspects populaires du carnaval de Rio »), « vue nationale d’actualité qui montre plusieurs phases de la fête en l’honneur du roi du carnaval…73», puis il y a ce qui peut très bien être le premier film à avoir utilisé les rythmes noirs brésiliens en cherchant l’effet comique : il s’agit de la comédie O professor de dança nacional ou uma liçao de maxixe (« Le professeur de danse nationale ou une leçon de maxixe »), produite dans les studios du cinéma Palace à Rio de Janeiro. Mais l’événement cinématographique le plus important de 1909 fut sans doute la sortie sur les écrans du cinéma Palace du film que Vicente de Paula Araújo considère comme le premier film de fiction sur le carnaval et qui comptait une dizaine d’acteurs : Pela vitória dos clubes carnavalescos (« Pour la victoire des clubs carnavalesques »). 

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