L’histoire et la normalisation de la comptabilité

Comptabilité générale

L’histoire et la normalisation de la comptabilité

Le modèle comptable, souvent présenté ex abrupto comme s’il s’imposait logiquement à l’intelligence, est en réalité le résultat d’une longue histoire marquée par des enjeux successifs différents qui ont ensuite coexisté au fur et à mesure de leur émergence. Sa forme actuelle traduit une certaine forme de compromis – en constante évolution – entre ses divers utilisateurs, entreprises, actionnaires, prêteurs, investisseurs, analystes financiers, fisc, etc. Pour bien comprendre les fondements de la comptabilité, il est donc utile d’analyser ce processus historique, comme nous allons tenter de le faire ci-après.

HISTOIRE RAPIDE DE LA COMPTABILITÉ
L’origine de la comptabilité à parties doubles

Il existe de remarquables ouvrages historiques sur l’évolution de la comptabilité depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Ils se fondent entre autres sur de nombreuses traces de comptabilités tenues chez les Sumériens, les Égyptiens, les Grecs, les Romains par des propriétaires terriens, des marchands, des administrateurs des temples, des banquiers et plus près de nous par les commerçants de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance.
Les premiers, bien que parfois handicapés par des mathématiques peu développées (les Égyptiens) et par un système de numération peu adapté à la visualisation des calculs, établissaient ou faisaient établir des comptes déjà assez sophistiqués pour tenir des inventaires d’objets, en termes physiques ou monétaires, suivre des comptes bancaires (l’équivalent du virement existait dans l’antiquité), suivre des paiements de salaires, et surtout tenir des comptes de caisse de type recettes-dépenses. Il s’agissait d’une comptabilité à partie simple, une inscription dans un compte ne se traduisant pas par une autre dans un autre compte.
Le haut Moyen Âge constitua une rupture dans les pratiques comptables qui ne subsistèrent que sous des formes très rudimentaires excluant quasiment l’écriture.
Les croisades provoquèrent un développement des échanges, des marchands s’associèrent et eurent recours à des mandataires pour négocier à distance. La répartition des bénéfices et le contrôle des mandataires nécessitaient une technique comptable plus évoluée qui consista d’abord en une comptabilité de caisse de type recettes-dépenses ainsi réinventée. Le crédit, peu développé jusque vers 1250,ne donnait lieu qu’à de simples aide-mémoire extra comptables. Mais son accroissement donna naissance aux « comptes de personnes »,correspondant aux créanciers et aux débiteurs et qui constituaient le germe de notre moderne comptabilité à parties doubles.
Lorsqu’un tiers devait de l’argent au marchand, on inscrivait la somme dans une colonne « doit ». Lorsque c’était l’inverse dans une colonne « avoir ». C’est là l’origine des colonnes débit et crédit des comptes d’une comptabilité et celle de l’inversion sémantique qui trouble tant les élèves : une créance est un débit !Peu à peu l’idée vint aux commerçants et à leurs comptables de tenir des comptes de valeurs, d’abord des stocks puis des autres biens mobiliers et immobiliers. Nous passerons sur les multiples errements et tâtonnements qui aboutirent au schéma définitif de la comptabilité en parties doubles et notamment à l’invention d’un compte « de Pertes et Profits » qui seule permettait de constater l’écart entre une sortie de stock au coût d’achat et une rentrée en caisse incluant un bénéfice. On peut suivre cette évolution dans les registres de grands commerçants italiens du XIVe siècle. La pratique précéda largement la théorie puisque le premier et le plus célèbre ouvrage de comptabilité, le «Tractatus» du grand savant mathématicien Luca Pacioli, souvent considéré un peu abusivement comme le père de la comptabilité, ne parut à Venise qu’en 14941.À partir de cette date, de très nombreux ouvrages théoriques se succédèrent dans tous les pays, qui ne firent que perfectionner et approfondir les principes de Pacioli : trois types de comptes, de personnes, de valeurs, de pertes et profits, réunis par une écriture double, le mouvement de l’un impliquant nécessairement celui d’un autre. Au XVIe siècle apparaît la notion de bilan d’abord présenté comme le simple état récapitulatif des balances des comptes puis comme un état où apparaît le souci de prévision. C’est la notion de réserve qui donna naissance peu à peu à celle de capital social: sur le bénéfice, somme qui apparaissait disponible au commerçant au travers du bilan comptable, on réservait les sommes qui paraissaient nécessaires pour le maintien ou le développement de l’activité sociale. Plus tard le capital apparut également comme une garantie constituée au profit des créanciers de l’entreprise. Les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles virent se multiplier des ouvrages, de plus en plus éloignés des préoccupations concrètes de gestion et de contrôle des marchands, et des industriels pour se tourner soit vers la doctrine pure (quelle est la «nature» de la comptabilité?),soit vers la pédagogie aux futurs
1. Le Tractatus – Particularis de computis et scripturis n’est qu’une partie d’une encyclopédie monumentale des sciences mathématiques, conçue par Pacioli, et intitulée Summa di arithmetica, geometrica, proportioni et proportionalita.
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comptables à grand renfort de procédés explicatifs souvent artificiels ou des présentations algébriques de la « théorie mathématique » des comptes.
Quittons donc là l’histoire des techniques et des théories comptables pour nous tourner vers l’histoire des obligations légales et fiscales qui conditionnèrent largement l’évolution de l’usage de l’information comptable et de sa présentation.

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L’évolution des normes légales

Dès le XIVe siècle, les marchands de nombreuses villes devaient aller à un bureau des marchands exposer les règles qu’ils suivaient pour la tenue de leurs comptes et faire apposer un visa spécial sur la première page de leurs registres, lesquels étaient fréquemment montrés aux partenaires commerciaux pour faire preuve de bonne gestion. L’ordonnance de Colbert en 1673 institua officiellement l’usage des livres de commerce et fut reprise presque textuellement dans le code de commerce de 1808, ancêtre du code actuel. De là date l’obligation stricte faite aux commerçants de tenir un « livre qui contiendra tout leur négoce, leurs lettres de change, leurs dettes actives et passives et leurs deniers employés à la dépense de leur maison ». Ils étaient tenus également de faire tous les 2 ans « l’inventaire de tous leurs effets mobiliers et immobiliers et de leurs dettes actives et passives » c’est-à-dire d’établir leur bilan. Cette obligation légale correspondait au souci de réglementer l’information entre commerçants et de disposer de preuves en cas de litige judiciaire, de succession, de partage de société et de faillite. Cette optique a prévalu jusqu’à la fin du XIXe siècle. C’est en effet au cours de ce siècle que se multiplièrent les sociétés par actions, et que la séparation entre propriété du capital et direction des entreprises s’institua de plus en plus: il en résulta un nouveau besoin d’information périodique des associés par l’analyse de l’évolution de leur patrimoine et de leur revenu, besoin qui se traduisit par les prescriptions de la loi française de 1867 sur les sociétés anonymes. Le législateur est depuis intervenu à de nombreuses reprises pour accroître cette protection des actionnaires et l’étendre aux salariés et aux créanciers mais les principes actuels de confection du bilan et du compte de résultat sont nés à ce moment.
Les besoins financiers de la guerre de 1914-1918 entraînèrent la naissance (en 1916 en France) de l’impôt global sur le revenu et la nécessité d’une information comptable sur les bénéfices industriels et commerciaux. La fiscalité des entreprises ne cessa ensuite de s’alourdir et de se complexifier, mais il fallut attendre un demi siècle pour que la préoccupation fiscale associée au souci croissant d’information statistique des États et à l’organisation de la profession comptable entraîne une véritable normalisation des comptabilités : jusque là les entreprises disposaient d’une très grande liberté pour établir leurs comptes. Nous évoquerons plus loin ce processus de normalisation et le phénomène récent d’harmonisation internationale qui ont caractérisé les dernières décennies.

La comptabilité analytique : une origine récente

On voit donc comment historiquement l’évolution du contexte socio-économique a façonné l’outil comptable par l’apparition successive d’usages différents. Hormis l’usage d’origine des commerçants italiens de la Renaissance, ces usages sont essentiellement externes, juridiques puis fiscaux. La comptabilité de gestion à usage interne n’a commencé à apparaître qu’à la fin du XIXe siècle où quelques entreprises industrielles ont commencé à calculer les coûts de leurs produits pour définir leur politique de prix. Mais ce n’est qu’à partir de 1930, surtout aux États-Unis que la comptabilité analytique s’est vraiment développée. L’Europe, qui connaissait ces outils mais les utilisait peu ou mal ne commença à s’y intéresser que dans les années 1950 sous l’effet de missions d’information aux États-Unis, de l’émergence d’une plus forte concurrence sur les marchés, due notamment à l’ouverture progressive des frontières. Axées tout d’abord vers la connaissance des prix de revient complets des produits par la méthode des sections homogènes, inventée en 1928 par un militaire et promue par le plan comptable de 1947, les entreprises se tournèrent à partir de 1960 vers des systèmes destinés au contrôle à court terme, de type gestion budgétaire. Parallèlement des méthodes de comptabilité en coûts partiels (« directs » ou « variables ») apparurent pour parer aux difficultés d’usage des coûts complets dans une optique de contrôle et d’aide à la décision.

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