L’HETEROTOPIE PANCREATIQUE DE SIEGE
MESENTERIQUE
INTRODUCTION
L’hétérotopie pancréatique encore appelée pancréas ectopique ou pancréas aberrant se définit par la présence de tissu pancréatique à distance de la glande pancréatique normale en l’absence de toute connexion anatomique, neurologique ou vasculaire . L’hétérotopie pancréatique est une anomalie congénitale relativement rare avec une incidence entre 0,55% et 13,55% dans les séries autopsiques et une moyenne de 1 à 2% . L’incidence des cas de découverte peropératoire est estimée à 1 sur 500 interventions . Les localisations les plus fréquentes concernent l’estomac, le duodénum et le jéjunum plus rarement dans la vésicule biliaire, le diverticule de Meckel, l’œsophage, le médiastin . La localisation mésentérique d’un pancréas hétérotopique est très rare. Quelques cas seulement sont rapportés dans la littérature [6, 14, 18, 34, 38]. Ce travail rapporte un cas d’hétérotopie pancréatique mésentérique de découverte fortuite per-opératoire chez un patient traité en urgence pour une occlusion intestinale aiguë. Le but de ce travail est de rapporter les aspects cliniques, thérapeutiques et anatomo-pathologiques de cette anomalie anatomique rare ; d’effectuer une revue de la littérature sur cette entité qui mérite une attention particulière. Apres une introduction et des rappels, nous rapporterons notre observation avant une discussion qui précèdera la conclusion.
DEVELOPPEMENT NORMAL DU PANCREAS
Le pancréas est une glande mixte exocrine et endocrine jouant un rôle central dans le métabolisme du glucose et la digestion. La partie endocrine comprend 5 types de cellules productrices d’hormones organisées en îlots de Langerhans. Le pancréas exocrine consiste en des cellules acineuses qui produisent et secrètent les enzymes digestives dans un système complexe de conduits formé des cellules ductales. Ce système canalaire transporte les enzymes digestives vers l’intestin où elles assurent la digestion des nutriments ainsi que leur absorption [7]. Le pancréas humain fait son apparition à la 5ème semaine sous la forme de deux bourgeons, prenant leur origine dans l’épithélium endodermique du duodénum : un bourgeon dorsal (en face et légèrement au-dessus du diverticule hépatique) et un bourgeon ventral (dans l’angle inferieur de l’ébauche hépatique). Le bourgeon dorsal qui est le plus important apparait en premier et croit rapidement vers le mésentère dorsal. Ce bourgeon forme la partie principale du pancréas, à savoir la moitié supérieure de la tête, l’isthme, le corps et la queue. Le bourgeon ventral se développe près de l’abouchement de la voie biliaire principale dans le duodénum. Lorsque le duodénum, en se développant, se tourne vers la droite et prend une forme de « C », le bourgeon ventral pancréatique est attiré en arrière, avec la voie biliaire principale. Il vient se placer dans le mésoduodénum juste en dessous et en arrière du bourgeon dorsal (figure 1). Le parenchyme et les canaux des deux bourgeons vont ensuite fusionner. Le bourgeon ventral forme le crochet et la partie inférieure de la tête du pancréas. Lors de la fusion des bourgeons pancréatiques leurs canaux s’anastomosent entre eux. Le conduit pancréatique principal (de Wirsung) se développe à partir du conduit du bourgeon ventral et de la partie distale du conduit du bourgeon dorsal. La portion proximale du conduit pancréatique accessoire (conduit de Santorini), s’ouvre juste au-dessus du conduit principal Le cholédoque et le conduit pancréatique principal s’abouchent au niveau de l’ampoule de Vater, dans la deuxième portion du duodénum, soit ensemble soit séparément, la voie biliaire étant au-dessus du conduit pancréatique Le parenchyme pancréatique est d’origine endodermique et constitue un réseau canalaire tubulaire primitif. o Les acini, se développent au début de la vie fœtale à partir des groupes des cellulaires entourant les extrémités des tubules. o Les îlots de Langerhans se développent au 3ème mois à partir du parenchyme pancréatique, qui les sépare des tubules. Ils sont situés entre les acini. o La sécrétion de l’insuline débute au 5ème mois environ. Comme les niveaux de l’insuline chez le fœtus sont indépendants des niveaux maternels, il est peu vraisemblable que l’insuline traverse le placenta. o Le tissu conjonctif et les septa pancréatiques se forment à partir du mésenchyme splanchnique voisin [26, 31]. 6 Figure 1 : Développement du foie, de la vésicule biliaire, du pancréas et de leurs conduits [27]. Gauche Haut
ANOMALIES DE DEVELOPPEMENT DU PANCREAS
Agénésie et hypoplasie pancréatiques
L’agénésie complète du pancréas représente une maladie très rare et le plus souvent fatale. A côté de sa manifestation par le diabète sucré permanent et la malabsorption dès la naissance, elle est toujours associée à un retard de croissance intra-utérin, ce qui reflète l’importance de l’insuline comme un important facteur de croissance intra-utérin. Contrairement à une agénésie totale du pancréas l’hypoplasie ou agénésie partielle peut rester asymptomatique en raison des réserves fonctionnelles élevées de tissu pancréatique endocrine et exocrine. L’agénésie partielle du pancréas a le plus souvent été décrite comme affectant la partie dorsale et est également connu comme le pancréas congénital court, une condition où seule une tête du pancréas et l’uncus sont présents, le corps et la queue étant absents [7]( figure 2A). 2. Pancréas divisum Le pancréas divisum est caractérisé par l’absence de fusion des canaux respectifs des ébauches pancréatiques dorsale et ventrale [16] (Figure 2B). C’est l’anomalie la plus commune du développement pancréatique [7]. Considérant une incidence d’environ 4% -14% en séries d’autopsie et entre 2% et 7% dans les études de pancréatographies endoscopiques, le pancréas divisum peut être considéré comme une variante de la normale au lieu d’une vraie malformation. L’analyse des séries endoscopiques a conduit à postuler l’existence d’une relation entre l’anomalie canalaire et certaines manifestations pathologiques et a finalement débouché sur des propositions thérapeutiques [16]. 8 3. Pancréas annulaire Le pancréas annulaire est caractérisé par la présence autour du deuxième duodénum d’un anneau de tissu pancréatique (figure 3). L’incidence de cette malformation a été estimée à 1 pour 20 000 [7]. Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer la formation du pancréas annulaire : absence de rotation du bourgeon ventral, accolement anormal de l’ébauche ventrale au duodénum gênant sa migration et même apparition aberrante de tissu pancréatique au niveau du duodénum. En fait, la formation du pancréas annulaire est généralement attribuée à la non-régression de l’ébauche ventrale gauche [16]. Bien que le pancréas annulaire puisse rester silencieux ou se manifester seulement dans la vie adulte, à peu près la moitié des patients deviennent symptomatiques à la naissance ou au cours de la première année de vie avec des signes d’occlusion néonatale. Le pancréas annulaire est la cause de 8% à 21% d’occlusion duodénale à la naissance [7, 16]. Son traitement chirurgical doit tenir compte de ses particularités anatomiques qui sont maintenant bien connues .
Pancréas hétérotopique
Définition L’hétérotopie pancréatique se définit par la présence de tissu pancréatique à distance de la glande pancréatique normale en l’absence de toute connexion anatomique ou vasculaire[16]. 4.2.Historique La première observation aurait été rapportée par Jean Schultz en 1727. C’est au cours d’une autopsie sur un nouveau-né qu’il trouva une masse similaire à la glande dans un diverticule iléal mais la confirmation histologique fut défaut. Il revient à Klob de présenter cette anomalie avec une confirmation histologique en 1858 ou 1859 [12]. 9 Figure 2 : Anomalies de développement pancréatique. A : Pancréas divisum ; – B : Pancréas congénital court [7] Gauche Haut Pancréas Estomac Duodénum B A Estomac Duodénum Pancréas 10 Figure 3 : Aspects anatomiques du pancréas annulaire. A : forme habituelle (anneau complet) – B : pancréas annulaire incomplet [16]. Gauche Haut Pancréas Pancréas Duodénum Duodénum 11 4.3.Etude épidémiologique L’incidence de l’hétérotopie pancréatique est difficile à définir en raison de son caractère souvent asymptomatique, mais a été estimée entre 1 et 15 % [10-12]. Une importante prédominance masculine (sex-ratio entre 2 et 3) est retrouvée dans toutes les séries. Bien qu’il puisse se rencontrer à tout âge, le pancréas hétérotopique est le plus souvent découvert entre 40 et 60 ans . Il s’agit d’une anomalie anatomique peu commune, mais probablement fréquemment méconnue car souvent asymptomatique.
Etude anatomique et étio-pathogénique
Siège Le pancréas aberrant peut se rencontrer dans tous les segments du tube digestif ou de ses annexes. Les localisations gastriques, jéjunales, duodénales et iléales sont les plus fréquentes des observations rapportées [11, 25, 35]. Dans l’iléon, l’hétérotopie siège le plus souvent dans un diverticule de Meckel [16]. Les autres localisations abdominales sont exceptionnelles. Des observations de pancréas aberrant ont été rapportées au niveau de divers organes : vésicule, cholédoque, foie, hile de la rate, épiploons, mésentère, côlon, le mésocôlon, trompes. La localisation mésentérique est très rare et peu des cas sont décrits dans la littérature.Les localisations extra-abdominales sont exceptionnelles. Elles sont œsophagiennes, médiastinales et surtout pulmonaires .
Aspect macroscopique
Le pancréas aberrant se présente comme un nodule ferme, jaune, dont la taille varie de 2 mm à 4 cm. Il siège dans l’épaisseur de la paroi, le plus souvent (3/4 des cas) dans la sous-muqueuse, parfois dans la musculeuse voire dans la sous-séreuse. Les tissus de voisinage (sous-muqueuse, musculeuse) peuvent être 12 le siège de phénomènes inflammatoires réactionnels et la muqueuse en regard, habituellement saine, peut présenter une ulcération centrale .
Aspect histologique
Le pancréas hétérotopique peut renfermer tous les éléments du pancréas normal (acini, îlots de Langerhans, canaux pancréatiques). Des îlots de Langerhans sont retrouvés dans 33 à 68 % des cas et on distingue classiquement à côté des formes normales, des formes exocrines pures, endocrines pures et même canalaires pures. La capacité sécrétoire du pancréas aberrant reste très controversée. Bien qu’un stock enzymatique soit identifié, qu’un liquide sourde volontiers par l’ombilication muqueuse en regard et qu’un conduit excréteur soit dans quelques cas exceptionnels mis en évidence l’activité sécrétoire, si elle existe, n’a probablement que peu de signification pathologique [12]. Enfin, le pancréas aberrant peut, comme le pancréas normal, être le siège de lésions inflammatoires aiguës ou chroniques et néoplasiques. Si les observations de pancréatite aiguë sur hétérotopie pancréatique restent exceptionnelles , des lésions de pancréatite chronique sont plus volontiers retrouvées en particulier sous la forme de dystrophies kystiques. Celles-ci constituent de petites cavités siégeant dans la musculeuse et renfermant un liquide séreux. Elles sont le plus souvent associées à une pancréatite chronique céphalique [28] et les formes strictement localisées au pancréas aberrant sont rarissimes . Des tumeurs bénignes ou malignes peuvent exceptionnellement se développer à partir des différents contingents cellulaires du pancréas aberrant : adénocarcinomes (25 observations en 1979) [28], gastrinomes [19], insulinomes .
LISTE DES FIGURES |