L’héritage des médias communautaires, libres ou associatifs
Du NOMIC au SMSI
Dans l’article que nous avons cité un peu plus haut, Fabien Granjon et Dominique Cardon tentent de reconstituer la généalogie de ces médias communautaires dont hérite d’après eux le développement des mobilisations informationnelles auxquelles nous assistons aujourd’hui129. C’est par rapport à cet article – dont l’intérêt principal est de se présenter comme une synthèse assez exhaustive de la littérature scientifique anglo-saxonne en matière de médias communautaires – que nous tenterons de mettre en évidence les éléments de continuité et de fracture entre médias communautaires et cette nouvelle génération de médias alternatifs issus d’Internet.
Les formes autour desquelles se sont structurés les médias communautaires pendant les années 1970 s’enracinent, sous l’influence des travaux de l’Ecole de Francfort, dans l’émergence de débats sur les médias de masse et l’internationalisation de la communication. Cette critique, menée par des universitaires, des experts d’organisations internationales ou des responsables d’entreprises de presse, a contribué au développement, notamment dans les pays du Sud, d’agences internationales d’information alternatives.
La déclaration de la quatrième conférence des chefs d’État ou de Gouvernement des pays non-alignés en 1973 à Alger qui entérinera le principe d’un « Nouvel Ordre Politique International » – ratifiée l’année suivante par l’Assemblée Générale des Nations Unies – est un tournant important dans l’émergence d’une telle conception alternative de l’information. Face au « colonialisme culturel » imposé par l’Occident, les non-alignés décident de promouvoir cette conception alternative de l’information en réorganisant les circuits de communication hérités du passé colonial et affirment leur volonté de « décoloniser l’information » dans la résolution de la cinquième conférence à Colombo en 1976 :
« Tant en opposition au dogme libéral nord-américain du Free Flow of Information qu’aux thèses de la souveraineté nationale chère au bloc soviétique, les pays du tiers-monde veulent donc s’appuyer sur la dénonciation de l’impérialisme culturel pour négocier les conditions d’une autodétermination culturelle et d’une autonomie médiatique130 ». À partir de ce moment vont se développer, sous cette impulsion des grandes organisations internationales, des agences de presse nationales ou pool d’agences régionales. On peut ici citer la création à cette époque de l’agence latino-américaine Inter Press Service, celle de l’agence yougoslave Tanjug, qui prétend regrouper plus de onze agences de presse du tiers-monde, la PANA, agence panafricaine d’information ou l’Action de Systèmes Informatifs Nationaux (ASIN) en Amérique Latine.
Les médias communautaires et des chaînes d’accès public américains
L’héritage des médias d’accès public puis communautaires américains, nés de la rencontre tenue aux États-Unis entre des groupes organisés (partis, syndicats, églises, etc.) et des communautés locales, ethniques ou marginalisées reste aujourd’hui encore très prégnant. Il s’enracine, comme le soulignent Dominique Cardon et Fabien Granjon dans la tradition de la contre-culture américaine, installée sur des terrains de luttes spécifiques (guerre, communautés ethniques ou sexuelles, immigration, etc.) conduites par des militants ayant suivi des trajectoires de professionnalisation dans les métiers de la culture, de l’information et de la communicationC’est probablement cette professionnalisation et la soumission de leurs pratiques aux impératifs tant formels qu’économiques des opérateurs publics ou privés de télécommunication qui commencent à être remises en cause à partir des années quatre-vingtdix.
On peut documenter cette critique dans des vidéos telles que Twin Towers , montage (footage) qui reprend de nombreuses séquences du film Le Seigneur des Anneaux . Cette vidéo, exemplairement explicite, a été réalisée par St01en collective, un collectif de vidéastes en partenariat notamment avec le réseau de média-activistes du Net San-Francisco. L’objet de cette vidéo diffusée dans le cadre de la campagne électorale présidentielle américaine de l’automne 2004, est de requalifier les personnages du film (Legolas devenant la figure du courant écologiste, Gimli, celle du prolétariat, etc.) et d’ajouter des sous-titres politiques au film initial pour dénoncer la guerre en Irak et le « complexe-militaro-industriel »