L’EXTENSION DE LA SOUVERAINETE TAEFIENNE

L’EXTENSION DE LA SOUVERAINETE TAEFIENNE

Le 30 janvier, la guerre interchrétienne la plus connue au Liban est déclenchée à Furn el Chebbak . Elle dure plusieurs mois, entrecoupée de cessez-le-feu non respectés ou de périodes de stagnation de troupes. Je ne compte pas développer les combats meurtriers qui ont touché tout le « réduit chrétien ». Et comme le dirait madame Éddé, « je ne suis pas là pour juger, accuser ou mettre la faute sur quelqu’un. Je suis là pour essayer de comprendre ce qui s’est passé ». Et comme inévitablement, la violence engendre la violence et « on fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut »192, je laisse à d’autres le choix de travailler sur cette guerre et sur son développement militaire. Par contre, on peut se demander légitimement pourquoi ces combats ont commencé ? Toutes les parties chrétiennes sont en position de faiblesse et en attente d’un bouleversement du statu quo qui pourrait être à leur avantage, ou bien se retourner contre eux. Dans le « réduit chrétien », deux forces sont militairement présentes et prêtes au combat193 : la Troupe relevant de Aoun et les miliciens de Samir Geagea.

Comme on a pu le voir plus haut dans cette étude, les deux hommes ne se font pas confiance, ils ne se sont jamais entendus, sauf quand il s’agissait d’éliminer d’autres chefs chrétiens195. De plus, les frictions entre les combattants des deux bords sont courantes, notamment en temps d’accalmie. Des combats violents avaient déjà momentanément éclaté entre les deux en février 1989196 et, personnellement, je pense qu’ils auraient repris si la guerre de Libération n’avait pas été déclenchée en mars 1989.

C’est pour cela que je considère que, quelle que soit la source de la première balle tirée, Aoun et Geagea sont prêts à se battre. Le premier a besoin de renforcer son assise politico- militaire pour prouver que toute solution au Liban ne peut passer que par son gouvernement, donc par lui, tandis que l’autre s’attend depuis longtemps à l’affrontement : « nous [FL] ne pouvons admettre, qu’il nous traite comme des maudits, des pestiférés. Sans nous il n’aurait jamais été Premier ministre et sans nous il ne le resterait pas une minute de plus. Le jour où nous arriverons au carrefour, je ne serai pas étonné que nous ne prenions pas la même « Je crains qu’en fin de compte, le fossé entre les deux hommes et les deux institutions ne soit désormais trop large et trop profond. L’unité que j’avais réussie à préserver tout au long du mandat d’Amine Gemayel ne lui aura survécu que quatre mois. Michel Aoun et Samir Geagea Alors que les quartiers chrétiens s’entredéchirent, deux fronts politiques se mettent en place : d’une part, Aoun et Geagea s’affaiblissent militairement et tentent de se faire de nouveaux alliés tandis que le pouvoir à l’Ouest s’active pour faire adopter les amendements constitutionnels de Taëf. Quant au Patriarche il « ne savait à quel saint se vouer »199, et se démenait pour un arrêt pur et simple des combats, quel qu’en soit le coût politique. Tout d’abord, dès la première semaine des combats, Geagea prend contact avec Hraoui indirectement en appelant les « autorités légales libanaises » 200 à intervenir, et directement par lettres personnelles datées du 6, 14, et 19 février201 où il y propose même d’arrêter ses attaques contre officiel et public à Taëf et tente même, pour ne pas y être en position de faiblesse, de prendre Aoun avec lui202. Ce ralliement était déjà une option pour Geagea avant même le début des combats : le Secrétaire Général des FL, Roger Dib, qui est en même temps Secrétaire Général des Kataëb disait « Si notre participation au Cabinet peut sauver l’Est, alors nous participerons ».

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En effet, depuis la formation du premier gouvernement Hoss de l’ère Hraoui au lendemain de son élection où Saadé fut nommé ministre, le chef des Kataëb hésitait : fallait-il adhérer coûte que coûte au pouvoir issu de Taëf et soutenu par les Syriens, les ennemis de « l’Est » au point de perdre l’assise populaire dans cette région ? Ou faire volte-face et laisser tomber le Document d’Entente nationale dont il était le parrain et donc perdre sa crédibilité politique ? Pourquoi le boycott du Conseil des ministres est politiquement intéressant ? Car « les ministres, engagés dans une compétition acharnée pour obtenir des services et avantages, se sentent rarement liés par le principe constitutionnel de « responsabilité collective ». En fait, dans la période après Taëf208, nombreuses ont été les occasions où des ministres ont publiquement critiqué la formation du Cabinet auquel ils appartenaient, condamné des positions prises par leurs collègues, désapprouvé l’action du président du Conseil des ministres, dénoncé l’orientation générale du Cabinet ou même boycotté ses réunions pour quelques temps sans ressentir le besoin ni l’obligation de démissionner – ou être acculés à le faire. […] Il serait utile d’indiquer à cet égard que les mêmes facteurs qui ont déterminé la politique libanaise et entravé le fonctionnement du gouvernement en tant que collège ont aussi empêché les membres de l’opposition de former des alliances nationales […] et d’établir de véritables Le boycott du Conseil des ministres, sans démissionner, était la moins pire des solutions. Cette pratique permet à un ministre de conserver ses prérogatives au sein de son ministère, avec les avantages que sa fonction lui accorde – avantages personnels ou clientélistes par une redistribution à travers la fonction publique – tout en étant opposé ou pas tout à fait d’accord avec la politique de l’Exécutif. Et puisqu’une opposition à l’occidentale ne peut exister, rien ne sert de démissionner.

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