L’exposition muséale vue comme média
Le musée d’art
La première étape est celle de la description du contexte global de la visite, c’est-à-dire un bref rappel de ce qu’est un musée et plus particulièrement un musée d’art. Avant de commencer à s’interroger sur l’exposition en elle-même, il est intéressant de la situer dans un contexte plus large, celui du musée. Le musée est un endroit à part, culturellement et socialement construit dans sa forme actuelle depuis la Révolution française, même s’il a subi de nombreuses transformations au point de vue de son fonctionnement. Le musée est originellement vu comme un lieu de conservation des trésors et il a longtemps été défini uniquement par ses missions de sauvegarde et d’archivage. Puis il a commencé à se tourner vers les publics par sa fonction de présentation, de transmission du savoir et du patrimoine dans une optique de délectation9 de ses publics. Il est donc composé de deux pôles en tension : la recherche et la communication. Selon le dictionnaire encyclopédique de muséologie, (Desvallées et Mairesse, 2011), le musée actuel fluctue dans ses formes ; il est à la fois un lieu, une fonction, un phénomène ou une institution spécifique ; son principe fondateur repose sur l’expérience sensible, essentiellement la visualisation ; il ne peut se comprendre « qu’en référence à un système de valeurs (culture) s’attachant aux objets collectés, visant à interpréter ceux-ci dans le présent et dans tout nouveau contexte ». (Desvallées et Mairesse, 2011, p. 181) Le musée semble donc avant tout un lieu d’apprentissage, de connaissances et de transmission de savoir. Cette transmission passe par de nombreux canaux puisque l’expérience muséale fonctionne tant sur le plan social que physique, intellectuel ou affectif. C’est cette constatation qui a mené Dierking à définir l’apprentissage au musée de manière ouverte et large en y intégrant le contexte, social et physique autant que la motivation de visite. En effet, le musée est un environnement de libre choix. Un tel apprentissage prend en compte un large ensemble de processus et de résultats possibles, ce qui comprend l’acquisition de faits et de concepts, mais également la mise en application de ces idées, les changements d’attitude, les expériences esthétiques et kinesthésiques, ainsi que les interactions sociales, facteurs qui contribuent tous à l’apprentissage. (Dierking, 1994, p. p.21) Il faudrait ajouter à cette définition l’importance de l’interdiction au musée, celle de ne pas toucher étant la plus grande mais il y en a d’autres, comme celle de ne pas photographier les œuvres, qui sont des interdictions explicites. Il existe également des interdictions implicites qui tiennent plus du comportement à adopter dans ce lieu public qui impose en général une certaine révérence. Il faut bien se tenir, parler doucement, être conscient des autres et de son corps, ne pas monopoliser la place devant une œuvre etc. Le musée est donc un lieu de règles. Toutefois, le musée est également un lieu de loisir, ce qui est pris en compte dans sa fonction de délectation des publics. La visite de musée est un moyen de passer du bon temps en famille ou entre amis, qui répond à un certain type d’expérience physique et mentale. Les gens considèrent ces lieux comme un cadre de loisir agréable, que ce soit pour des sorties en famille ou entre amis, pour y passer un week-end ou des vacances ou simplement quelques heures de liberté en semaine. (Dierking, 1994, p.19) Il entre ainsi dans la catégorie des loisirs culturels et donc en concurrence avec les autres offres de loisir. La visite de musée est donc un choix en rapport à des attentes (Falk et Dierking, 1992), mais également un lieu d’interaction sociale.
La mise en exposition
Pour répondre aux modes de présentation ou de langages qui seraient propres à tel ou tel type de musée, il doit exister des catégories d’exposition différenciées. Davallon (2000) exprime ces natures différentes selon les intentions auxquelles doivent répondre les expositions principalement par une différence de muséologie. La muséologie d’objet serait principalement le fait des musées d’art tandis que la muséologie de discours serait avant tout présente dans les musées de sciences et de sociétés. Là où sa démarche enrichit ce qui a été dit du musée et de l’exposition c’est par la mise en évidence de la porosité de cette frontière établie a priori. Pour lui, toute exposition peut à la fois produire des effets de types esthétiques, signifiants ou instrumentaux sans être ni simple œuvre d’art ni simple texte sémiotique ni simple instrument commercial. […] Aucune exposition n’est uniquement esthétique, sémiotique, sociale, commerciale, etc. (…) toute exposition peut produire des effets de types esthétiques, signifiants, instrumentaux, sans qu’elle ne soit ni simple œuvre d’art, ni simple texte sémiotique, ni simple instrument commercial didactique ou autre, sans cesser non plus d’être une exposition. (Davallon, 2000, p. 9‑ 10) Il distingue ainsi trois types de stratégies de mise en exposition : la stratégie communicationnelle qui vise la compréhension d’un savoir ; la stratégie esthétique qui vise à faire de l’objet exposé un objet qui apparaît au public ; la stratégie ludique qui vise, au sens propre comme au figuré, un transport du public, c’est-à-dire une sollicitation physique qui est déplacement et dépaysement. Le principe de l’exposition est donc double, à la fois montrer les objets, les choses et indiquer comment les regarder et les comprendre. Ses recherches mènent à l’imbrication des notions de musée et de média puisque la communication engendrée par le contact aux objets dans le musée pourrait en faire un media, comme l’affirme Rasse (1999). Il est corroboré dans sa thèse du musée-média par McLuhan et Parker (2008), qui proposent eux aussi de voir le musée comme un média mais en pur terme de communication sans prendre en compte l’aspect social ou symbolique du musée. Le musée devient un médium de communication spécifique, et, puisqu’ils considèrent le contenu d’un message comme indissociable du canal qui sert à le véhiculer (son medium), un changement de medium entraînerait des différences radicales d’effets. Cette théorie est illustrée par la bipolarité entre médias froids et chauds. Les médias chauds ne s’adressent qu’à un sens, la vue, tandis que les médias froids sont polysensoriels et porteurs d’une information assez pauvre qui réclame en contrepartie une participation active du sujet, destinée à combler les lacunes du message. Du même coup, si ces médias froids donnent à la fois une plus grande liberté et une meilleure insertion dans l’environnement, ils rompent avec le schéma des séquences temporelles pour une exploration intuitive, tâtonnante et discontinue.
Le média exposition
L’approche du musée en tant que média semble, à ce stade, encore confuse et certainement trop large pour en comprendre le fonctionnement précis. Les écrits de Davallon permettent de dépasser ce point critique en proposant de considérer non pas le musée comme un média mais bien plutôt l’exposition. En effet, les théoriciens du musée comme média s’appuient toujours sur les objets et leur relation aux visiteurs. Cette rencontre se produit spécifiquement dans l’espace d’exposition. Or, un musée n’est pas qu’un espace d’exposition, il possède des espaces d’accueils, de recherche etc. Il semblerait donc que sa dimension communicationnelle se trouve bel et bien précisément dans l’exposition. Poursuivant les recherches sur la validité de média du musée, Davallon part du constat que le musée est un média dans le sens où il « met en relation des acteurs sociaux et des objets de musée » et que l’exposition est une dimension constitutive du musée comme média puisqu’elle organise l’espace d’une rencontre (Davallon, 1992, p. 104-105). Cela implique que l’exposition est un fait instrumental puisque sa production fait appel à des techniques spécialisées mais aussi un fait social et un fait sémiotique puisqu’elle est capable de communiquer et de signifier. Ainsi, toute exposition paraît pouvoir être décrite par la terminologie de la communication à partir des éléments que sont le message, l’émetteur, le média et le récepteur. Ceci amène Schiele et Boucher (in Desvallées, Drouguet, et Shärer, 2011) à considérer que l’exposition vivrait en trois étapes : la production qui correspond à l’axe de la communication et concerne le producteur ; la mise en forme qui correspond à l’axe de la représentation et au message; l’appropriation qui correspond à l’axe de la reformulation et concerne les visiteurs. Le 105 fonctionnement de l’exposition comme média s’appuie donc sur l’interaction objet/visiteur, et forcément le rôle assigné à l’objet, en fonction du message à communiquer. L’exposition est ainsi créatrice de sens à partir de trois domaines : le fonctionnement spatial et ses rapports de séparation (objet isolé de son usage), de juxtaposition (un objet à côté d’un autre), de substitution (un schéma à la place d’un processus), d’emboitement (un objet et un cartel dans une vitrine elle-même dans une sale avec des visiteurs), de centralité, de succession (le déroulement de la visite qui va successivement d’un point à un autre) ; le fonctionnement pragmatique, l’exposition instaure un rapport aux objets qui est sur le mode du contact ou de la ressemblance plus que sur celui d’une règle régie par une convention explicite ; le fonctionnement informationnel, toute exposition requiert un travail d’interprétation. Une exposition est donc un langage spatial mais également une construction mentale réalisée par chacun des visiteurs qui l’arpente. Nous pouvons ainsi caractériser la spécificité du média exposition : c’est un mass-média dont l’ordre dominant, celui qui définit sa structure de base, est l’ordre métonymique : l’exposition se constitue comme un réseau de renvois dans l’espace temporalisé par le corps signifiant du sujet, lors de l’appropriation. (Véron et Levasseur in Desvallées et Mairesse, 2011, p. 162) La création du sens dans l’exposition est personnelle, subjective mais également inspirée et définie par l’agencement spatial, le parcours et les écrits. L’exposition peut donc être définie comme un assemblage de composants de différents types qui appartiennent à différents registres médiatiques, ou sémiotiques, comme des images, des objets, du texte ou du matériel de présentation etc. Leur agencement constitue le support technique de l’exposition qui tire sa force de la présence physique des visiteurs qui sont libres de choisir leur parcours et leurs points d’intérêts. Ils créent ainsi leurs propres scenarii de l’exposition ce qui implique une difficulté du contrôle du message de l’exposition mais également une ouverture dans la réception de ce message.